Chapitre 19 : Après la chute

Davaran n'agit pas immédiatement, comme intrigué par la vision qui s'offrait à lui. Cet humain, ce simple humain, avait le corps recouvert de roche. La roche qui couvrait le sol ici préservé de la glace s'étendait au pied de Déméter et formait comme une couverture organique. Un voile épais qui l'avait probablement sauvé.

Le Dieu observa l'expression qui seyait les traits de l'adolescent. Il semblait paisible, un peu comme s'il dormait. Ce constat lui parut étrange au vue des circonstances, mais il ne put s'empêcher de la dévisager, se délectant de ce que signifiait cette mascarade muette. Le corps de Déméter se résorbait de lui-même, ses plaies éventuelles, masquées par la protection miraculeuse, guérissaient en l'espace de quelques secondes. Davaran connaissait celui qui, depuis les cieux, agissait dans l'ombre. Une âme généreuse que peu lui connaissait. Il ne sauvait pas uniquement le réceptacle meurtri, mais l'esprit du garçon. Un esprit qu'il était surprenant de découvrir intact après une telle chute.

— Tu peux rendre grâce aux Dieux, petit humain, murmura-t-il.

L'écho porta sa voix en une onde mythique. Il s'accroupit devant le corps inerte, ses ailes se repliant par réflexe dans son dos avant de disparaître. Il pouvait voir le souffle de vie abandonné en suspend entre les lèvres entrouvertes de l'étudiant. Ses cheveux verts retombaient mollement sur le sol et d'importants cernes ombraient un regard qui avait bien failli ne plus jamais voir. Davaran sourcilla devant les veines noires qui striaient le cou du jeune homme.

— C'est l'œuvre du Mal.

La voix qui retentit ne lui tira pas un sursaut, à peine inclina-t-il la tête pour distinguer celle qui venait de lui adresser la parole. Olympe, l'humble messagère des Dieux, s'inclina respectueusement.

— Je te pensais affairée à d'autres occupations, dit-il simplement. Diérika n'a-t-elle plus besoin de tes services ?

Si l'ange en fut froissée, elle n'en montra rien. Son visage lisse au teint clair ne se fendit d'aucune expression. Ses cheveux blonds étaient rassemblés en une natte qui agaçait le creux de ses reins. Ses ailes blanches étaient repliées derrière son dos, comme pour établir la hiérarchie divine qui les séparait.

— Ma maîtresse m'a chargé de surveiller Diolyde. Elle a, pour cela, l'approbation de Kyraël.

— Peux-tu me résumer ce qui a mené ce garçon dans une mauvaise passe.

— Le Mal n'a pas entièrement déserté Diolyde. Seulement, il est si discret qu'il n'est plus ressenti et n'affecte pas vos pouvoirs, ni même ceux de Jyn.

— Cet humain possède d'étonnantes capacités.

— Il est à ce jour le seul à en maîtriser une part aussi importante.

Davaran tiqua. Il n'aimait pas perdre son temps en discussion inutile, mais couva cependant la messagère d'un regard dénoté de jugement. Elle lui rendit son œillade, comme si elle ne parvenait pas à réaliser que l'être qui lui faisait face n'était pas l'étudiant qu'elle protégeait, mais bien une des divinités les plus puissantes qui soit.

— Déméter a été parasité par une forme de vie primitive, mais au pouvoir dévastateur. Jyn est intervenu à temps, car l'être qui possédait son corps avait beau être dépourvu d'intelligence, il aurait pu détruire l'école entière.

— Diolyde se serait difficilement relevée d'une attaque en pleine nuit, confirma Davaran, d'une voix songeuse. Que faisait Déméter à l'extérieur de l'enceinte de Diolyde à pareille heure ?

— Je pense qu'il fuyait, qu'il ne voulait pas devenir le fléau de l'établissement.

Le Dieu plissa les yeux. Ce corps svelte avait beau lui répondre à merveille, comme s'il avait été créé en son nom, il lui faudrait du temps pour s'y habituer. Le colosse se sentait comme à l'étroit dans cette enveloppe charnelle plus réduite. Il passa une main au-dessus du visage, puis du torse, de Déméter sans le toucher. Sa main concentra la magie noire qui s'y trouva au terme d'un effort conséquent. Les sourcils froncés, la divinité de la magie absorbait le Mal qui avait souillé l'être de l'adolescent et qui avait manqué de le précipiter à sa propre déchéance. L'opération dura de longues secondes durant lesquelles Olympe tint le rôle de spectatrice, observant le miracle qui se produisait juste sous ses yeux. Quelques mètres au-dessus de leur tête, Cobra luttait contre les déboires de son propre cours, patientant le retour de celui qu'il avait invoqué au risque de sacrifier ses dernières énergies.

Une substance noirâtre se concentra entre les doigts ouverts de Davaran. L'organisme qui avait parasité le corps de Déméter se défendait, tentait de se soustraire à son emprise. Le Dieu, une fois que l'enveloppe charnelle du garçon fut entièrement libérée, que la moindre goutte fut aspirée, en détruisit la source. Sa main se ferma brusquement et une fumée nauséabonde s'éleva.

— Il était... particulièrement coriace.

— Il est sauvé ?

Davaran opina, détaillant toujours avec une attention presque déplacée le visage endormi de Déméter. Il dit, d'une voix absente :

— Une telle sagesse doublée d'une pareille stupidité...

Il faisait allusion aux choix de l'étudiant. Il avait quitté les lieux et avait mis sa vie en péril au nom de la survie des siens. Un geste suicidaire qui ne manquait pas d'audace, une qualité qui plaisait à Davaran comme à celui qui avait choisi de l'extraire des bras de la Mort. Son étreinte avait saisi l'adolescent l'espace d'un instant et il en conserverait un souvenir glaçant. L'image d'une figure rassurante et bienveillante se superposerait à ce pénible épisode. Il ne se rappellerait guère du visage de son sauveur, mais de sa main s'enroulant autour de la tienne alors qu'il basculait définitivement de l'autre côté. Cette main qui l'avait forcé à choisir la vie, à lutter de toutes ses forces... Un honneur divin !

— Est-il prêt à regagner Diolyde ? le pressa innocemment Olympe.

Un bref silence lui répondit. Davaran sondait le corps de Déméter et lisait en travers des roches protectrices fermement accrochées à son épiderme. Il passa même le bout de ses doigts dessus, les mêmes doigts qui l'avaient libéré de l'emprise du parasite quelques instants plus tôt. Il opina lentement avant d'ajouter :

— Oui, son corps est intact et son esprit également. Il se sentirait certainement...

— Fatigué ?

— Vidé de toute énergie, mais il vivra.

Le geste accompagnant la parole, le Dieu entreprit de libérer le garçon de sa coque de pierre. Ses ongles grattèrent la surface de ce cocon à la redoutable dureté et il parut en écailler la surface. La roche résista plusieurs secondes, mais semblait se ramollir au contact de l'épiderme de Jyn. Davaran, avec une infinie patience qui démentait son empressement de tantôt, libéra les épaules du prisonnier, puis les bras, le ventre et enfin les hanches. En-dessous de l'épaisse couche de matière organique, la peau de Déméter était de la même pâleur que d'ordinaire. Aucune blessure ne déchirait ses flans, la régénération avait parfaitement opéré. La créature tira le corps de l'adolescent de son cocon désormais inefficace. Il lança un regard désapprobateur au fin vêtement qui couvrait la peau du garçon. Le tissu avait été abîmé par la chute, des accrocs et des déchirures visibles çà-et-là et qui n'affolaient pas le Dieu.

— Il n'y a pas un instant à perdre, nous devons regagner l'école au plus vite ou il mourra d'hypothermie.

Olympe ne s'opposa pas à la volonté de celui à qui elle obéissait comme à sa maîtresse. Davaran était l'époux de Diérika, la déesse qu'elle servait depuis des décennies et ce titre lui conférait un pouvoir de domination sur la messagère. Celle-ci comprenait l'urgence de la situation et, ouvrant la voie, elle déploya ses ailes afin de préparer son envol.

— La cavité est trop étroite en haut, vous ne pourrez pas vous y faufiler et Déméter dans vos bras encore moins.

Davaran passa un bras sous la taille de l'étudiant toujours inconscient et darda un regard indisposé à l'étroitesse du gouffre dans lequel il s'était jeté peu avant. Il maudit cette contrainte, levant une main et un rayon noir se projeta contre la surface qui leur interdisait le passage. Des éclats de roches se décrochèrent et, avant qu'elles n'aient pu blesser quiconque, le Dieu dévia leur trajectoire. Elles s'écrasèrent à plusieurs mètres sans faire le moindre dégât.

Un exploit qui n'avait rien d'exceptionnel aux yeux de Davaran. Ses ailes réapparurent dans son dos, majestueuses ailes noires qui le portèrent vers l'extérieur à la suite d'Olympe. Déméter dans ses bras ne pesait rien entre ses bras, il le portait sans la moindre difficulté. La brise glaciale lui cingla le visage à l'instant où il s'extirpa à son tour du gouffre. Ici, la température semblait avoir chuté de quelques degrés et si le Dieu ne ressentait pas la morsure du froid, il avait conscience du danger encouru par celui dont la vie venait d'être sauvée.

Cobra n'avait pas bougé, fidèle au post. Il acquiesça lentement en voyant le corps inerte, mais bel et bien présent, du garçon suspendu au bras de l'un de ses sauveurs.

Est-il vivant ?

Tu en doutais ? L'humain a pu profiter d'une aide presque providentielle, une aide qui pourrait s'avérer inutile si nous ne regagnons pas vite l'enceinte de l'école.

Les résistances des mortels ne leur permettent pas de survivre dans de telles conditions.

Olympe s'était stabilisée à quelques centimètres du sol. La température n'était qu'un simple désagrément à ses yeux, rien qui ne puisse mettre en péril son existence. Cobra cachait à merveille l'épuisement qui était le sien. Il était une force de la nature, un exemple qu'aucun humain n'était en mesure de suivre, un miracle de chairs et d'os. Pourtant, le traitement infligé par la Sixième zone avait laissé des séquelles sur son esprit comme sur son corps, bien qu'il n'en garde aucune trace visite à première vue. Il suivit donc le rythme imposé par le Dieu, puisant dans ses réserves pour ne pas trébucher, pour ne pas abandonner la lutte si près de l'endroit qui lui offrirait le repos.

Ils bravèrent la neige qui, comme pour ajouter un supplice supplémentaire au calvaire de ce groupe des plus singuliers. Diolyde était en vue et sa silhouette, ombre parmi les ombres nocturnes, grandit d'instant en instant. Il leur fallut moins d'une dizaine de minutes pour atteindre la porte de la forteresse. La brèche s'y trouvait encore, plus mince, mais pas entièrement résorbée. Une chance aux yeux de Davaran qui s'y introduisit sans attendre.

Une vague de chaleur les inonda et Déméter sembla reprendre quelques couleurs. Olympe lui octroya une vive œillade : il survivrait, le froid n'avait pas achevé ses dernières résistances et ils venaient de mener à bien une mission des plus périlleuses.

Dans la cour de Diolyde était rassemblée la majeure partie des êtres qu'abritait l'établissement. Une cinquantaine de visages encore plissés de sommeil et rongés par la peur. La scène aurait pu être ridicule, la plupart n'ayant pas eu le temps d'enfiler une tenue décente, enjoints de quitter leurs dortoirs au beau milieu de la nuit, mais l'angoisse qui se dégageait de cette foule dénotait cette idée. Kourrage dépassa ses étudiants pour se camper devant eux, comme pour défier quiconque souhaitant s'en prendre à ses protégés.

Davaran salua cette bravoure et déposa au sol le corps de Déméter comme une offrande. Une offrande de la main d'un Dieu en personne.

Il est vivant, précisa Cobra, avant d'abandonner la lutte et de sombrer dans l'inconscience. 


Et voilà ! Bon, petite storytime : mon ordi a bien failli y passer (bon, il faut dire que c'est un ancêtre, il a bien dix ans !) et j'ai failli perdre deux chapitres d'Instincts. Heureusement que j'avais sauvegardé le reste sur une clé, je n'ose pas imaginer mon état si j'avais tout perdu ! Plus de peur que de mal visiblement, même s'il semble avoir gardé quelques petits séquelles. Voilà, il fallait que je partage ma grosse frayeur !

Sur ce, je vous annonce qu'il me reste six chapitres avant d'achever le tome 2, ce qui me donne une grosse avance sur la publication. Normalement, il n'y aura pas d'attentes pour ce qui est de la publication du tome trois !

Prenez soin de vous et de vos proches :)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top