Chapitre 18 : Un ange passe
[Puisque vous vous êtes familiarisés avec Cobra, je peux vous montrer ce dessin. J'avais adoré le réaliser et j'étais franchement contente du rendu. En espérant que son physique atypique vous plaise tout autant !]
La surprise, Jyn la connaissait bien peu. Il avait pour habitude de maîtriser le cours des événements, de conserver une main ferme et solide sur ce qui se produisait. Pourtant, à cette heure tardive et au cœur d'un froid auquel il n'était pas supposé survivre, il n'avait pu masquer sa stupéfaction. L'étonnement, un étonnement brutal, serti ses traits.
Son ami, son camarade, venait de disparaître. La glace avait cédé sous son poids et il avait disparu dans l'une des cavités que la neige cachait habilement. Ces pièges où peu d'humains sombraient, mais auxquels Déméter venait de succomber.
— Non...
Il n'osa pas s'approcher de la brèche, de ces dizaines de mètres de vide au terme desquels il découvrirait le corps inerte du garçon. L'idée que le parasite puisse encore investir son organisme ne l'effleura pas et il réalisa à quel point l'esprit humain pouvait être une victime de la surprise. Il avait le sentiment de perdre ses moyens car non seulement il n'avait pas su prédire cet événement tragique, mais pire encore, il n'avait pas su empêcher le destin d'opérer.
— C'est... impossible.
Les secondes s'égrenaient et Jyn n'osait approcher le gouffre qui s'ouvrait à quelques mètres à peine. Comme s'il espérait voir Déméter jaillir de cette plaie. La terre l'avait avalé tout entier, ne laissant qu'une vaste étendue de neige.
Confus comme il l'avait rarement été, Jyn sollicita mécaniquement ses dons, ses paumes s'illuminèrent et ses yeux se fermèrent. Cela ne dura qu'un bref instant, un instant qui fut suffisant à l'adolescent pour réaliser l'impuissance de ses pouvoirs. Était-ce la proximité du parasite qui altérait ses capacités ? Pourquoi celles-ci se refusaient-elles à lui ? La présence d'Olympe semblait avoir disparu et seul son souvenir, et la chaleur qu'elle lui avait destiné, demeurait.
Jyn hésitait. Malgré ses grands discours, il n'était pas de ceux qui se jetaient dans la gueule du loup. En fait, dépourvu de sa clairvoyance, il n'en menait pas large. Il s'approcha du gouffre lentement, comme s'il craignait que la glace se dérobe à son tour. Il ne survivrait pas à une telle chute et, avant même de se pencher au-dessus de la cavité vertigineuse, il sut que Déméter n'avait pu s'en tirer vivant. Une douleur s'immobilisa au creux de son ventre et, jetant un œil dans la noirceur qui se déployait sur plusieurs mètres sous ses pieds, il distingua la silhouette de son ami. Son acuité visuelle était excellente, sans doute bien meilleure que la majorité de ses semblables, mais il ne put deviner les contours exacts du corps. Un corps qui lui semblait désarticulé, un corps qui ne souffrait pas le moindre mouvement. Fataliste à juste titre, Jyn déglutit.
— Il n'est pas mort, s'éleva une vois caverneuse, juste derrière lui.
Même celui qui lisait entre les lignes de l'avenir ne put ravaler un solide sursaut. Il se retourna si vite qu'il manqua de perdre l'équilibre. À deux pas de lui se tenait un homme aux traits singuliers, au physique à nul pareil qui laissa sans voix l'adolescent.
— Vous...
— Vous pouvez encore le sauver.
Jyn ne réagit pas, désespérément immobile. Abruti pour l'impuissance de ses capacités, il ne parvenait pas à surmonter ce choc. Lui qui se moquait de ses camarades, incapables de choix cruciaux lorsque l'urgence s'investissait dans leurs vies, prenait conscience de ses propres limites. Pour un garçon aussi fier que lui, c'était une expérience des plus pénibles. Il ne s'extasia pas devant la capacité de son interlocuteur à parler sans que sa bouche n'articule la moindre syllabe, cela s'ajouta seulement à un choc global et immense.
— Nous nous présenterons plus tard, la vie de ce garçon repose sur vos épaules.
— Vous... Je vous ai déjà vu.
Dans des visions et ce, à plusieurs reprises. Cette ombre effrayante, au visage constellé de signes étranges, aux traits fins et ciselés, à la chevelure verte et au teint gris. Il était de ces hommes dont le souvenir vous hante, dont la présence avait quelque chose de mythique, précieux, impalpable. Une sorte d'offrande confiée par les Dieux eux-mêmes.
— Je n'ai pas la force d'accomplir cet exploit à votre place.
— Je n'en ai guère la force non plus. J'ignore comment le sauver.
— Quelqu'un qui a fait l'honneur de vous choisir comme réceptacle en connait la manière.
Cobra approcha et fit mourir le peu d'espace qui existait encore entre eux. Jyn se tendit, cette proximité ne lui inspirant qu'un rejet simple et instinctif. L'être était puissant, l'étudiant l'avait su au premier regard, même sans savoir précisément l'identité de l'entité qui l'honorait de sa puissance. Le Finlandais savait que s'il lui venait à l'esprit de lui faire du mal, il serait impuissant à l'en empêcher. Lui qui n'avait pas pour habitude de poser les questions, mais plutôt d'y répondre avec une pointe de condescendance, venait de faire la connaissance d'une créature qui le surpassait en tout point. Même le froid glacial qui leur cinglait le visage n'aurait pu se révéler plus douloureux.
Je t'en prie, Jyn, il est votre seul chance. Accepte, quoi qu'il te propose. Accepte, tu n'y perdras rien.
Rien, sinon sa dignité. Cobra n'avait que faire de le ménager, de préserver cette faiblesse typiquement humaine et qui différenciait véritablement Jyn d'une divinité. Un penchant regrettable de mortels. Le survivant ne s'embarrassa pas d'explications, il dominait l'adolescent d'une tête et plaqua sans violence sa main immense contre le front du jeune homme.
— Tu es doté d'un esprit brillant, énonça-t-il, de cette même voix profonde. Cet esprit, je te demande d'en extraire les réflexions qui pullulent. Ferme-le à ce qui le parasite, deviens l'hôte, le serviteur, oublie tout ce qui n'est pas cette pensée.
Le timbre était hypnotique et même un cerveau aussi extraordinaire que celui de Jyn ne put y résister. Son pouvoir de persuasion s'apparentait à une arme, à une arme que Cobra avait choisie de confier aux mains de Diolyde. Même Olympe, la messagère des Dieux, s'inclinait face à cette force sans nulle pareille. L'ange souriait, invisible aux yeux de l'humain, mais distinguable à ceux de l'être. Celui-ci lui adressa un regard qui signifiait davantage que toutes les paroles. Il lui promit de ne pas abîmer ce simple mortel, de préserver un corps qu'il savait vulnérable. Olympe opina et invoqua l'âme de son maître, d'un des plus grands Dieux qui soient en ce monde. Davaran sortit de son sommeil, quitta son lieu de repos, pour se créer une place dans la coquille humaine qui s'ouvrait pour lui.
— C'est bien, ne crains rien. Ton ami sera sauvé.
Ces derniers mots, et malgré l'égoïsme de Jyn, annihilèrent ses craintes. Il se plia à un exercice contraignant qu'un autre aurait mis des mots à comprendre. Demander à un génie de taire ses pensées relevait de la folie et, sans l'aide de Cobra, l'élève n'y serait jamais parvenu. Le Dieu de la magie noire ouvrit des yeux nouveaux sur le monde des humains. Un soupir traversa ses lèvres, un soupir brûlant d'un immense soulagement :
— Enfin...
Cobra lui adressait un regard quelconque, comme s'il avait affaire à l'élève plutôt qu'à l'un des six Dieux créateurs de cette planète.
— Cobra, le salua-t-il, presque humblement.
L'intéressé courba l'échine en guise de salutations. Davaran semblait s'éveiller d'un long sommeil, il testait ses sens avec une sorte de discrète avidité. Jyn avait conservé son apparence, mais la créature s'imaginait sans mal les traits du Dieux sous ceux de l'adolescent. Des cheveux hirsutes et d'un noir corbeau, des yeux d'un bleu sombre, se confondant avec la nuit. Une peau tannée par le soleil de la planète où il avait grandi et un corps digne d'un colosse. Le prêtre de la magie noire ne se soupçonnait pas et seules ses parles le distinguaient de celui qui occupait d'ordinaire cette enveloppe charnelle.
— Le corps de votre hôte est-il à votre goût ?
— Il semblerait qu'il a été... créé en mon nom.
Il plia et déplia ses doigts, le regard porté sur les articulations qui répondaient à merveille à la moindre de ses sollicitations. Cette alchimie n'était possible que parce ce corps avait effectivement été conçu pour lui, dans le but de lui servir. De ce point de vu, Jyn n'était guère plus qu'une âme faible venue parasiter ces membres et cette chaire humaine.
Davaran, dans un silence qui lui était bien coutumier, prêta attention à la brèche ouverte dans le sol. Il n'avait pas ses instruments, ses potions et ses filtres pour deviner quel symbole l'avenir avait bien voulu lui laisser sur ses pas, mais il devinait sans mal la situation. Son acuité visuelle était exceptionnelle et, telle un rapace, il distinguait les détails à des dizaines de mètres de distance et l'obscurité n'était pas un handicap, mais un terrain de jeu prédestiné.
— J'en conclus que je dois sauver l'humain.
— Je viens de m'échapper de la Sixième zone, j'ignore les détails de ce qu'il s'est produit, mais j'imagine que tu comprends l'importance de son sauvetage.
Davaran fouilla les souvenirs de Jyn comme on lirait un livre, feuilletant le quotidien de cet adolescent qu'il n'avait jamais connu, mais qu'il aurait reconnu entre mille de ses semblables. Il trouva dans sa mémoire redoutable ce qu'il cherchait, à savoir la réponse à ce mystère. Il en comprit l'enjeu en une poignée de secondes, démêlant l'incompréhension de Jyn, l'existence de ce parasite et, enfin, la chute de Déméter.
— Tu as vu juste, mon ami. Cela va de soi.
— Je suis incapable de lui porter secours seul, ces années d'emprisonnement sont venus à bout de mes résistances, je le crains.
— Diolyde t'ouvrira ses portes, tu y trouveras tout le repos dont tu as besoin, énonça Davaran, l'esprit ailleurs, allant de familiarité en familiarité.
Cobra cachait à merveille sa lassitude. Il avait subi bien des tourmentes depuis le jour où la Sixième zone avait mis la main sur lui, mais gardait la tête haute. Un contrôle sur lui-même né de plusieurs millénaires d'existence, il ne laissait rien paraître de son épuisement ou même de la douleur physique. Son visage semblait avoir été sculpté dans le marbre et Davaran en dévisageait l'absence totale d'expression. Il se détourna finalement, guettant le vide qui s'ouvrait à ses pieds sans en craindre la chute vertigineuse.
— C'est un miracle qu'il ait survécu.
— Je ne suis pas certain que la chance y soit pour quoi que ce soit.
— La chance ou le destin ont toujours un visage.
— Et un nom.
Le visage de Jyn ne se fondit pas d'un sourire, comme si cette joute verbale ne l'amusait guère. Cobra et lui échangèrent une brève œillade, puis Davaran laissa échapper un maigre échantillon de ses capacités. La magie violette ondula contre sa peau, défiant la nuance identique des cheveux de l'adolescent. Puis, lorsque la magie se concentra entre ses doigts ouverts, il la laissa s'exprimer enfin. Une décharge le parcourut et, lorsqu'il écarta les bras, des ailes apparurent dans son dos. Des ailes aussi majestueuses que celles d'Olympe, mais d'une couleur unanimement sombre. Des ailes qui se déployèrent avec une élégance divine sous le regard satisfait de Cobra.
Ni l'un ni l'autre n'étant réputé pour leurs incessants bavardages, Davaran ne fit pas profiter de cette apparence triomphale et s'engouffra dans la cavité. La roche se mêlait à la glace et il se laissa tomber au moins plusieurs mètres. La chute, l'air glacial lui mordant le visage, ne lui tira aucune réaction physique. Lorsqu'il fut à moins à quelques dizaines de centimètres du sol, il stoppa net son saut aux apparences suicidaires. Ses ailes ralentirent ce qui s'était traduit quelques instants plus tôt par une chute libre. La largeur du gouffre était suffisante pour qu'il produise un tel exploit. Il volait désormais, ses pieds frôlant le sol irrégulier.
Déméter gisait là. Contrairement à ce que tous avaient pu imaginer, ce que Jyn lui-même avait présagé, son corps n'était pas désarticulé, recouvert de plaies ouvertes par les roches acérées et les os brisés sous la brutalité de l'instant où il avait rencontré le sol. Non, rien de tout cela.
Seul le visage de l'adolescent se détachait de la roche. La roche qui avait recouvert son corps comme pour le protéger ou pour résorber les blessures que sa chute avait entraîné. Davaran observait les détails de cette œuvre avec attention. Quelqu'un avait volontairement sauvé la vie de ce garçon et ce cocon de roches en était la signature.
Davaran sourit : un de ses pairs tenait à la vie de Déméter.
On dirait que les grands esprits se rencontrent (j'avoue, j'ai adoré confronter ces personnages puissants). Finalement, il semblerait que nos héros s'en sortent à bon compte (enfin, tout n'est pas gagné, mais la situation est moins désespéré !). J'espère que cela vous a plu !
Bon week-end et bonnes vacances (ceux qui le sont :))
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