Chapitre 15 : Désert de glace
[Nouveau fanart (qui est, en fait, assez ancien) d'Olympe, la messagère des dieux.]
Déméter venait d'achever un entraînement particulièrement épuisant. Il ne rechignait pas à poursuivre les exercices jusqu'à tard dans la soirée, sous le regard indulgent de Laurian. Ils étaient une poignée dans son cas, déterminés à honorer l'offrande des Dieux. Les infrastructures que l'éclosion de Diolyde avaient vu naître rendaient hommage aux divinités qui les avaient créées. Un savant mélange de l'esprit antique, chargé d'histoires, de l'établissement et d'une modernité nécessaire.
Déméter marchait en direction de sa chambre, ses pensées s'ébruitant au rythme de ses pas. Laurian l'avait renvoyé de l'impressionnant complexe, le morigénant gentiment sur cet excès de zèle bien étonnant. Delkateï le rattrapa, lui aussi s'étant attardé plus que de raison afin de remplir la promesse qu'il s'était faite.
— Hé !
L'Américain s'arrêta un court instant, étrangement silencieux. La fatigue lui permettait en fait d'endormir une réalité trop pénible, celle qui fourmillait du bout de ses doigts jusqu'à son coude. Un cancer qui progressait sans que personne n'en sache rien. Un mal inconnu qui, telle une gangrène, rongeait ses tissus. Son bras pendait lamentablement contre son corps lorsque Delkateï le rattrapa.
— Les autres doivent déjà être couchés, dit Déméter, avec moins d'entrain qu'il ne l'aurait dû.
— Ouais, et tu devrais peut-être en faire autant. Encore un peu et tu auras le teint aussi inquiétant qu'Eole.
— Tu ne dors pas plus que moi.
— J'ai pourtant moins de cernes, y'a pas à dire !
Le visage défait de Déméter se fendit d'un sourire, mais le cœur n'y était pas. Ses oreilles sifflaient sous l'afflux de réflexions et il ne demandait qu'un peu de répit. L'élancement de son bras lui faisait vivre un calvaire quotidien, mais, en cet instant, la douleur atteignit un seuil intolérable. Il grimaça, contenant une plainte avec un courage qu'il ne se connaissait pas.
— T'es sûr que ça va ? s'enquit Delkateï, masquant mal une inquiétude que son caractère distillait avec rareté.
— O-Oui, je viens de me souvenir que je devais dire quelque chose à Laurian.
— Quelque chose qui ne peut pas attendre demain, rétorqua encore l'Italien, une pointe de suspicion dans la voix.
— Je reviens vite, ne m'attend pas !
L'autre haussa les épaules. À quoi bon ? Delkateï avait suffisamment de tourmentes pour ne pas en ajouter davantage. Il suivit du coin de l'œil son ami disparaître au détour d'un couloir et il poursuivit seul son chemin dans la lueur vacillante des chandeliers.
Déméter traversa les couloirs presque à l'aveugle tant la douleur pulsait dans la moindre de ses cellules. Le mal qui avait investi son corps lui rappelait sa présence et l'urgence de sa situation. Le garçon gémit à l'instant où il arrivait à la hauteur des hautes statues du hall. Il ne vit pas une lueur rougeâtre gagnait les orbes de Kyraël à l'instant où il passa à sa hauteur, ne songeant qu'à goûter l'air frais de la nuit. Un air nocturne qui ne calma pas l'incendie qui le ravageait, ce feu qui léchait son bras meurtrie.
Il eut un regard pour son membre et ne put retenir le haut-le-cœur qui le surprit. Il manqua de rendre le repas qu'il avait ingurgité, ce dîner qu'il lui avait paru sans saveur, à cette vision. La chaire avait pris une couleur calcinée, comme si elle avait été brûlée sans qu'il ne s'en doute. Des veines noires couraient sur son épiderme, diffusant le poison qui le faisait tant souffrir. Un cancer brûlait ses cellules, ces cellules qui appartenaient désormais à un autre que lui. Il gémit encore, titubant maladroitement jusqu'au milieu de la cour.
Il se retourna pour admirer Diolyde dans toute sa splendeur. Il avait peu l'occasion de l'admirer sous cet angle et en prenait rarement le temps. La bâtisse s'élevait, son front se hissait avec audace et la brique vieillie achevait de conférer à son architecture un air venu d'un autre temps. Une chaleur incandescente força l'adolescent à se tirer de ses réflexions. Il ploya sous la puissance impériale de la souffrance et manque de s'écrouler. Ses yeux papillonnèrent, ses globes oculaires étaient secs et ce simple geste le faisait souffrir le martyr. Il crut perdre la tête.
Cela faisait des jours qu'il cachait cette blessure aux yeux de tous. Une honte qui collait à sa peau et qu'il gardait secrète, protégeant son bras comme un animal. Il suppliait les Dieux pour qu'ils le délivrent de ce calvaire. Il marcha jusqu'à atteindre la porte qui délimitait l'enceinte de Diolyde. Il tremblait de peur, agissant par réflexe, ses pensées absorbées par la nuit et par la chose qui rongeait ses chairs. Il ne pouvait infliger ce fléau à l'école, il craignait que le Mal le dévore et qu'il ne reste qu'un pantin, un nouvel ennemi que ses amis seraient forcés d'affronter. Cela, il ne saurait l'accepter. Il planta solidement ses deux pieds dans le sol, appréciant encore quelques instants la tiédeur de la cour. Dehors, au-delà de la barrière qui les protégeait des intempéries, les températures ne grimpaient jamais assez pour quitter les négatives. Déméter imaginait le froid mordre sa peau. Peut-être apaiserait-il la brûlure qui le consumait.
Il ferma les yeux un court instant. Il ramollit son contrôle presque inconsciemment, comme si l'ébauche de cette pensée venait d'être absorbée par l'être qui gagnait du terrain. Il sentit tout nettement une vague le submerger, la houle malodorante et huileuse, d'un noir d'encre, lécha sa volonté sans l'entacher, mais son corps s'y plia. La vague sembla quitter son corps, s'étaler bien au-delà de cette enveloppe charnelle défectueuse puisque, lorsqu'il ouvrit les paupières, une brèche s'était formée dans le dôme protecteur.
Déméter sentit sa respiration se raréfier à ses lèvres. Etait-il possible ? Le froid s'investissait par la craquelure, à peine assez épaisse pour qu'un corps humain s'y faufile. Il hésita encore, mais une part de son être semblait dicter ses lois à la seconde. La douleur ne l'avait pas quitté et refluait à peine, comme pour l'encourager à fuir. Il jeta un coup d'œil derrière son épaule, à demi-persuadé que cette solution était la meilleure à prendre. Il devait se débarrasser du Mal qui le rongeait et, pour se faire, il devait quitter Diolyde. Il ne reviendrait que lorsqu'il serait débarrassé de ce fléau. Cette pensée maladroite et fébrile le convainquit et il courba l'échine pour entrer dans la fissure immonde.
— Je suis désolé.
Et il s'enfonça dans la nuit.
Déméter goûta aux températures glaciales du Pôle Nord. Il était si aisé d'oublier l'implantation géographique de Diolyde puisque l'école paraissait immunisée des contraintes climatiques que le garçon faillit avoir un choc. Il était peu vêtu, un simple vêtement qui n'arrêta pas les bourrasques qui claquaient contre ses os. Le choc fut tel qu'il crut mourir.
La neige ne tombait plus, mais ses pieds s'enfonçaient dans la poudreuse jusqu'à mi-mollet et, par endroit, la glace était en contact direct avec sa peau. Si cela apaisa dans une moindre mesure la brûlure de son être, cela entraîna une douleur tout aussi sinueuse. Il pressa son bras valide contre son torse et entreprit de s'enfoncer dans ce désert blanc.
Il finit par se retourner, de longues minutes après son évasion. Il ne se demanda même pas si l'école était déjà sur le pied de guerre. Son cerveau était aussi vide que l'étendue blanche et stérile qui s'étendait jusqu'à perte de vue. Un blanc qui reflétait la pâleur de la lune et la lumière aveuglante de ses étoiles. Un spectacle qui l'aurait ému en d'autres circonstances, mais qui ne parvint pas à taire l'effroyable sensation qui l'habitait. Ses mains bleuissaient, seul son bras meurtri conservait sa couleur affolante, d'un noir qui ne subissait aucune dépigmentation. Il tremblait furieusement, son corps luttant dans un environnement où il n'était pas supposé survivre. Mais, dans son délire, l'écho de la douleur était trop fort et noyait l'instinct de survie dans une pénible torpeur.
Le malheureux ignorait que, d'ici une heure tout au plus, il mourrait d'hypodermite, son corps n'étant pas conçu pour résister à des conditions aussi extrêmes.
Il jeta un regard en direction de Diolyde, cette forteresse qui, même à une telle distance, paraissait imprenable. Une école qui paraissait prête à parer toute offensive. Mais peut-être pas le danger qui rongeait ses os...
Déméter se retourna avec une détermination à peine entachée, affaibli par ses membres engourdis, et s'enfonça dans la noirceur glaciale.
Un petit chapitre qui ouvre une partie assez... tendue de l'action de ce deuxième tome. Le petit Déméter devrait prouver une part de son importance alors qu'il était plutôt secondaire dans le premier tome.
Ah, et j'avance bien dans l'écriture du second tome, il me reste une petite vingtaine de chapitres avant de le boucler. J'ai donc pas mal d'avance sur la publication, j'espère déjà ne pas avoir à vous laisser attendre entre le second et le troisième tome :)
Je vous embrasse ~
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