Chapitre 14 : Amitiés


 Les élèves de Diolyde avait vu leur école se métamorphoser en l'espace de quelques heures. Kourrage leur avait tenu un bref discours qui résumait, à lui seul, les raisons de cette décision inopinée et les changements qui s'opéreraient une fois le changement agencé. Chacun avait accueilli cette nouvelle différemment. Une part se murant dans un silence éloquent, mais audible, d'autres en discutant avec leurs camarades, ne sachant pas quoi en penser, et d'autres laissant éclater une colère bien sentie.

Plusieurs camps s'étaient formés et l'ensemble des élèves avait attendu que l'inévitable se produise, avec un mélange indiscernable d'appréhensions et d'impatience. L'éclosion de Diolyde et l'instant où le phénomène se produirait n'était pas du ressort des dirigeants de l'établissement. Une nuit, les murs avaient été pris de secousses. La plupart des élèves endormis s'étaient réveillés le lendemain sans avoir rien relevé du processus. Le nouveau visage de Diolyde les y attendait, surprise et offrande des Dieux.

Ceux qui tenaient tant à déguerpir, affolés par la tournure que prenaient les événements, avaient d'ores et déjà plié bagages. Alors, les autres avaient expérimenté le matériel dévoilé. Les infrastructures se trouvaient sous les étages qu'ils occupaient d'ordinaire. Des équipements spécifiques destinés à les entraîner au combat, à développer leurs atouts et à annihiler leurs faiblesses. Les élèves expérimentaient des armes, en bois pour ceux qui débutaient, des machines folles dont la plupart de connaissaient même pas l'existence et qui étaient destinés à les endurcir.

Diolyde n'était pas seulement une école, en digne création des Dieux, elle était comme un être vivant. Un être vivant qui représentait la planète tout entière par extension et qui avait bien failli sombrer sous le joug de l'espion. Cette conscience propre qui ne souhaitait que le bien, avait vu le Mal la ronger jusqu'à mettre en péril son intégrité et celle de la terre entière. Diolyde dévoilait désormais un autre visage, celui de ses racines, peut-être même une part de son cœur. Les équipements dévoilés étaient un miracle de la main des divinités qui régissaient ces lieux. Diolyde se déployait, grandissait, se transfigurait, établissement vivant et renfermant l'avenir du monde.

À l'heure où ses camarades se complaisaient dans leur nouveau terrain de jeu, une part d'entre eux sans comprendre l'urgence que comprenait la mise en place de tout ce matériel, Aaron se trouvait oisif, installé sur les marches à l'entrée de l'école. Il observait les plantes qui courraient sur l'un des murs et goûtait à cette vitalité, espérant y puiser un moral qui, pour la première fois depuis bien longtemps, lui faisait défaut. Il avait repoussé toutes les représentantes de la gent féminine, las de leurs bavardages incessants. Elles n'étaient pourtant pas idiotes, mais cherchaient tant à le séduire que leurs paroles perdaient tout intérêt. Il s'était imposé cette solitude, lui qui ne connaissait que la popularité et qui se trouvait toujours si bien entouré. L'Australien avait demandé une pause, un instant où personne ne viendrait déranger le fil de sa réflexion.

— Est-ce que je peux me joindre à toi ? s'enquit une voix, derrière lui.

Les yeux d'Aaron roulèrent dans ses orbites. Etait-ce trop demandé que de s'octroyer une heure paisible au cœur de la journée ? Mais il reconnut l'ombre androgyne et triste d'Eole et n'eut plus à cœur de lui refuser sa requête.

— Non.

Son visage se décomposa encore davantage, le Russe ne percevant pas le second degré, moins audible qu'à l'accoutumée dans la voix de son ami.

— Allez, je rigole ! Assieds-toi !

Eole se détendit et s'installa sur les marches, son regard sans fond se portant devant lui par pur automatisme. Il embrassa la cour du regard, ce lieu prisé des élèves durant leurs heures libres et qui se trouvait étrangement désert.

— Les filles racontent que tu les as envoyées paître, dit le garçon, l'air de rien.

— Pour une fois qu'une rumeur n'est pas infondée. Détends-toi, j'ai épargné Eléonore, j'ai compris avec le temps.

Les joues du capitaine de l'équipe de football s'empourprèrent et le trahirent avant qu'il n'ait le loisir de se justifier. Ses pensées se focalisèrent immédiatement sur leur récent baiser. Une délivrance pour celui qui était tombé amoureux de cette fille discrète, effacée, timide à l'extrême, depuis de longs mois. La concrétisation de ses souhaits les plus intimes et que son caractère proprement pudique n'aurait avoué pour rien au monde.

— Pas la peine de me le cacher, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !

— Tu as pourtant mis un certain temps à le remarquer.

— Je suis aveugle, quand il s'agit de filles, admit le Don Juan, un sourire ravageur au creux de ses lèvres.

— Elles te rendent la pareille.

— Ne me fais pas croire que tu es venu me parler de filles, je ne te croirai pas ! Sauf si tu viens me demander des conseils en matière de couples, là on peut discuter...

— Non ! Non, je ne te dérange pas en ce but ! garantit Eole, ses joues d'une pâleur maladive se colorèrent une fois encore de cette nuance vermeille.

Aaron le considéra d'un regard surpris et le détailla longuement. S'il pouvait se vanter de son physique avantageux, il n'avait rien à envier à son ami. Le Russe était de ces personnes aux beautés inexplicables, presque irréelles. Ces beautés qui effrayaient les gens plus qu'ils ne les attiraient. L'œil de l'Australien savait les reconnaître et, surtout, les apprécier. Un goût indéniable pour les jolies choses, comme une pièce d'exception que seul un expert pourrait dévoiler. Sauf qu'il s'agissait de son camarade et d'un de ses plus proches amis, et que le reconnaître comme tel aurait paru indécent aux yeux du monde.

— Tu ne me déranges pas, Eole, je te l'ai déjà dit.

— Tu as l'air mal en point.

— J'avais besoin d'être seul. Les filles ont dramatisé, c'est dans leurs habitudes.

Eole leva les yeux au ciel sans que son homologue le remarque. Aaron éloignait le sujet de la conversation sciemment et le Russe n'était pas assez dupe pour ne pas le réaliser. Cela fonctionnait peut-être sur son entourage proche, mais certainement pas sur lui.

— T'as l'air plus mal en point que moi, lui fit remarquer l'Australien, d'une voix moqueuse. Kristal ?

Eole déglutit. Rares étaient ceux qui osaient prononcer ce nom en sa présence. Depuis les récents événements qui avaient troublé la paix de Diolyde, le démon qui l'habitait était presque devenu un tabou. Kristal demeurait dans tous les esprits, mais sans que personne n'énonce à haute voix son prénom.

— Je n'ai plus aucun répit et... et j'ai peur. Je crains que m'entraîner m'affaiblisse et rende Kristal plus puissant encore.

— Et si cet entraînement t'aiderait à foutre la raclée à cette saleté de démon ?

Le sourire d'Aaron n'était qu'une façade, mais il donnait une ampleur moins pénible à ses dires. La gorge du Russe se noua et il recroquevilla ses genoux comme pour les enserrer entre ses mains. Un réflexe destiné à se protéger. La voix de Kristal s'était tue, mais pour combien de temps ? Il savait qu'il ne s'en débarrasserait pas, que l'être ne capitulerait pour rien au monde. Le démon désirait son corps et il l'aurait !

— Avant Diolyde, Kristal et moi avions un terrain d'entente, comme une forme de respect mutuel. Je m'étais mis à aimer cet être sans savoir de quoi il était constitué, il était comme un ami, un ami invisible qui parlait dans ma tête et qui m'aidait à combattre l'ennui. J'ai toujours été seul, mes parents ne s'occupaient que peu de moi, mais ne supportaient pas que je m'amuse avec les jeunes de mon âge. Kristal m'aidait, il était mon unique ami et parfois, je m'abandonnais pour qu'il agisse à ma place. Le temps passait plus vite et... c'était comme un jeu.

— Comment ça a pu changer à ce point ? s'enquit Aaron, concevant à quel point ces confidences étaient précieuses.

— Tout a changé le jour où j'ai mis les pieds ici. Diolyde a éveillé un nouveau visage, il a effacé l'ami pour laisser le démon, une créature ambitieuse que je suis aujourd'hui incapable de contenir. L'arrivée de Delkateï a précipité les choses et je sais qu'un jour, je disparaîtrai. Je ne suis pas assez fort pour lui tenir tête. J'arrive à peine à lutter et je suis conscient que cela ne durera pas éternellement. Je crains le jour où il m'effacera, le jour où il n'y aura plus Eole et Kristal, mais plus que lui. Le jour où je ne serai plus.

Eole tremblait. Kristal buvait ses paroles dans un coin de son esprit. Tel un fragment personnel d'une âme meurtrie, il s'en délectait comme un monstre assoiffé de cette peine épouvantable. Le garçon souffrait et le démon se nourrissait de cette douleur, de ce chagrin. Aaron se mordit l'intérieur de la bouche. Il passa une main moins assurée qu'à l'ordinaire dans le dos de son ami.

— Ecoute, je peux pas imaginer ce que tu traverses, mais je pense que tu ne devrais pas fuir l'entraînement pour ça. Ce serait donner raison à ce démon de malheur !

Le Russe observait les dalles sous ses pieds et les plantes qui s'élevaient un peu plus loin. La beauté de Diolyde avait éveillé la chose qui l'habitait, elle avait ravivé la mauvaiseté qui y sommeillait. C'était jadis Jyn qui lui avait communiqué la nature exacte de Kristal, un secret que l'aîné avait tu et pour lequel Eole lui était reconnaissant. Où avait disparu l'ami d'autrefois ? Cet être renfermé, mais qui tenait une conversation sans injures, sans jamais lui attirer d'ennuis ? Etait-ce l'établissement qui avait aspiré la bienveillance du démon ou simplement lui-même, inconsciemment ?

— Je vais y réfléchir.

— Je n'aurai peut-être pas la chance de tester tous ces bijoux, alors je compte sur toi pour en profiter pour deux.

— Qu'est-ce que tu entends par là ?

La voix d'Aaron s'était élevée, laconique, lasse. Rares étaient les occasions où son inflexion se dénotait de son timbre rassurant et sûr. Pourtant, si l'étudiant s'était isolé avec autant de ferveur, les raisons ne manquaient pas.

— Rien. Rien du tout, se reprit-il, juste à temps.

— Aaron, je ne suis ni aveugle ni idiot, inutile de me mentir. Je n'ai peut-être pas la clairvoyance de Jyn, mais je sais lorsque tu me mens.

— T'as raison ! Tu t'es confié à moi, je serais ingrat de garder ça pour moi. Je n'ai pas l'habitude de le crier sous tous les toits. En fait, il n'y a qu'une seule personne à Diolyde qui est au courant.

— Ton parrain.

— Dans le mille.

Ils échangèrent un regard à la fois grave et complice. Ils s'abandonnaient à des confidences dans le silence inhabituel de la cour. Ils en avaient si rarement l'occasion que cela leur semblait presque irréel, comme une scène à laquelle ils refusaient d'appartenir. Une mise en scène qu'ils alimentaient pourtant, presque contre leur gré. Les cheveux d'Aaron dévoraient son visage et masquaient le trouble de son regard. Ses yeux d'un noir d'encre étaient voilés par la tourmente, mais le roux flamboyant de sa crinière n'en laissait rien percevoir.

— J'ai le cœur fragile. Une malformation, une connerie comme dirait Del ! Cette connerie a failli me coûter la vie étant enfant. Mes parents n'avaient pas les moyens de financer l'opération et j'ai failli y rester. J'y serais resté sans l'intervention miracle de Kourrage. C'est lui qui a financé les soins dont j'avais besoin, il est devenu mon parrain par la suite.

Le regard dans les vagues, perdu dans de lointains souvenirs, il songeait à la chance inouïe qu'il avait eue. Le sort avait placé Kourrage sur sa route et cette intervention avait sauvé sa vie. Le jeune Australien n'aurait pu imaginer meilleur bienfaiteur que celui-ci. Le directeur de Diolyde lui avait souvent rendu visite à maintes reprises, tel un dieu vivant, l'incarnation des divinités qui peuplaient ses récits.

— Mes parents craignent pour ma santé. Mon cœur n'a pas la force du vôtre et c'est pour cette raison que j'ai toujours occupé le rôle de gardien sur la pelouse. Un entraînement plus intensif inquiète mes parents, ils ne veulent pas que je prenne un risque supplémentaire. Je les ai eu au téléphone ce matin, ils réfléchissent à me retirer de Diolyde.

— Et toi, qu'est-ce que tu...

— Je ne compte pas leur obéir, le coupa Aaron, puisant dans son courage pour nier l'incertitude qui le dominait quelques instants auparavant. Diolyde est mon salut et si je dois mourir pour elle, alors je n'hésiterai pas un seul instant !



Un chapitre un poil transitif, en tout cas pour son début et je voulais le centrer sur une conversation qui exclurait Delkateï et qui réunirait deux élèves, en plus si ça permet de développer un peu leur état d'esprit, mais aussi la psychologie de ces personnages. 

J'espère que votre semaine aura été un peu meilleure que la mienne et je vous souhaite un bon week-end !

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