Chapitre 7 : La montée et la chute
[En média, un rapide dessin pour vous donner une idée plus précise et sous mon style de Laurian Flaby.]
Delkateï s'était assis sur l'un des quelques sièges alignés dans l'avion. Une certaine angoisse lui serrait l'estomac, ainsi qu'une mélancolie qu'il peinait à dissimuler. Le rictus avait disparu remplacé par l'expression froide et fermée qui lui était bien plus familière.
Laurian s'installa à son tour, d'un calme olympien. Les questions brûlaient les lèvres du jeune Napolitain par dizaines. Il venait de boucler son destin par un choix simple, aux conséquences qu'il savait immenses. Tout prenait un sens, comme si entrer dans cet appareil lui faisait soudain réaliser ce qui l'attendait. Mais qu'allait-il se passer ? Delkateï n'en avait pas la moindre idée. Devant lui, le chemin se couvrait d'une brume épaisse et opaque, un mystère total accompagné par la peur. L'adolescent bouclait sa ceinture dans un bruit sonore, avec le sentiment que bien d'autres choses se refermaient sur lui. L'étau implacable d'une intrigue qu'il touchait du bout des doigts, sans en mesurer l'importance.
L'avion quitta le sol, lentement, alors que l'adolescent retenait sa respiration. La sensation lui était désagréable, il la détestait déjà. La terre ferme s'éloignait au profit du ciel, jusqu'à perte de vue. L'immensité qui s'ouvrait aux yeux de Delkateï. Un bleu pâle où les nuages, cotonneux, déchiraient cette couleur unique, dessinant des formes au gré du vent. Il n'y avait rien d'autre que cela et, malgré un stress permanent, l'Italien se surprit à apprécier cette optique imprenable.
Le temps passait doucement et le jeune homme l'imaginait sous la forme d'un sablier. Immense et doré. Le sable fin s'écoulait grain par grain sur la surface plane. Un passe-temps ridicule mais il ne s'en morigéna même pas, absorbé par le simple objectif de ne pas réfléchir. Il cherchait à fuir les interrogations qui poussaient les barrières de son esprit, celles qui se formaient au creux de ses lèvres en une plainte muette et qui mouraient avant même d'exister.
La voix enjouée de Laurian le tira de ses rêveries, manquant de le faire sursauter :
—Je suis étonné, Delkateï. Je m'attendais à ce que tu me poses des questions jusqu'à notre arrivée ... Et tu ne dis rien ! J'avoue que ça ne m'est jamais réellement arrivé. En général, les élèves sont plus bavards.
Le dénommé dévisagea son aîné quelques instants. Les cheveux légèrement désordonnés ombraient un regard marin. Malgré quelques rides qui creusaient des sillons au bord des yeux, l'ancien footballeur semblait étonnamment jeune. Il s'enquit, de cette même voix rauque :
—Parce qu'il y en a d'autres ?
Le ton en était presque méprisant. Détaché jusqu'en devenir insultant. Pourtant, Laurian ne s'en formalisa pas, trop heureux d'arracher quelques mots à cet étrange garçon. Il s'adossa confortablement avant de reprendre, calmement malgré l'euphorie qui se lisait au fond de ses prunelles :
—Evidemment. Je suis chargé de tous les amener à Diolyde. Ca me permet de voyager aussi, de voir le monde autrement que par mon ancienne carrière. Je fais la connaissance des nouveaux élèves avant même leur arrivée à l'école. Je suis leur premier contact et je me charge de discuter avec les familles aussi. Je les rassure et leur explique ce qu'ils veulent savoir.
—Et vous les connaissez tous, comme ça ?
L'accent possessif dans la voix de Delkateï ne put échapper au plus âgé. Il éclata dans un rire franc qui résonna dans tout l'habitacle, profond et communicatif. Le Napolitain fronça instantanément les sourcils, perturbé par cette manifestation imprévisible de joie.
—Non, non, répondit-il, hilare. Je ne connais pas toutes ces familles. Seulement la tienne !
Le jeune homme fut presque offensé par la réaction de son aîné, bien que celle-ci n'ait rien de particulièrement méchant. Il observait son vis-à-vis, caché par son épaisse masse de cheveux blancs. Laurian pouvait encore distinguer les deux prunelles qui le transperçaient, acérées et glaciales.
—Je connais tes parents depuis plusieurs années, tu sais. C'est plutôt inhabituel pour moi aussi.
Delkateï se détourna légèrement, sceptique. Il porta à nouveau son attention sur le paysage monochrome, derrière le hublot. Une tension extrême bandait ses muscles et il avait besoin de les détendre. Ce ne fut qu'après de longues minutes qu'il lança à nouveau, l'air de rien :
—Comment choisissez-vous les élèves de Diolyde ? Sûrement pas sur le parcours scolaire, je ne suis scolarisé nulle part !
Laurian se tendit, imperceptiblement mais rien qui ne puisse échapper à son homologue. Il semblait réfléchir, fouillait dans ses pensées à la recherche de la meilleure réponse. Un éclair de peur passa dans son regard durant un court instant, une appréhension liée au secret, prisonnière de ce qui ne se disait pas. Il balbutia, visiblement mal à l'aise :
—Eh bien ... Je ...
Il stoppa net toute tentative vouée à l'échec. Il se tut un court moment, juste le temps de reprendre ses esprits correctement, devant le regard dubitatif de Delkateï. L'ancien footballeur reprit, bien plus calmement :
—Delkateï, je ne vais pas te mentir. Je ne peux simplement pas t'en parler. A Diolyde, il y aura un certain nombre de choses dont on ne pourra rien te dire. Je sais que ça doit être dur à avaler pour toi, mais tu n'es pas encore prêt à savoir. Dès qu'il sera temps, nous t'expliquerons. Diolyde est une bonne école et ce qu'elle cache te sera révéler dès que nous le pourrons. Mais pour le moment, c'est mieux ainsi.
La fin de cette petite tirade se fit presque en murmure. L'adolescent serra les dents, retenant une remarque acide qui menaçait de lui échapper. Il n'avait pas besoin d'être materné, cette manière de lui parler comme on le ferait à un enfant en bas âge le dégoûtait profondément.
—Et je devrais rester calme ? Je pars dans un endroit inconnu avec un putain de pote de mes parents. Et vous me dites avec le sourire que vous me cachez des choses avant même notre arrivée ... Qu'est-ce que je suis censé comprendre ? Je viens de quitter toute ma vie, j'ai dit adieu à tout ce que je connaissais !
—Je comprends tes inquiétudes, Delkateï, mais ce n'est pas ...
—Nan, coupa le Napolitain, vous ne comprenez pas ! J'ai laissé ma mère derrière moi. MA MERE ! Vous n'avez aucune idée de ce que ça représente pour moi. Et je parle même pas du reste, tout ça pour que l'on me fasse marcher avec des excuses à la con. Alors ne dites plus jamais que vous comprenez ce que je ressens !
La rage coulait dans ses veines, un venin redoutable dont le jeune homme ne pouvait plus faire abstraction. Une blessure trônait là, au fond de son superbe regard. La solitude touchait pour la première fois un être qui s'en pensait épargné. Laurian pouvait voir cette plaie, dans les prunelles de Delkateï.
—J'aimerais pouvoir répondre à tes questions et ce que tu me demandes est légitime. Mais ... ce n'est plus de mon ressort, tout ça.
Cette phrase presque laissée en suspend agaça le plus jeune. Des sous-entendus à peine dissimulés, laissant apercevoir un mystère béant et inévitable. Il ne parvenait simplement pas à être lucide, à réfléchir de manière rationnelle. Il y avait en lui cette jeunesse à laquelle on pouvait tout pardonner, les erreurs que lui-même n'oublierait pas. Cette envie de hurler à plein poumon, de déferler cette rage, de gueuler les insultes qui lui vrillaient les tympans. Delkateï en avait voulu à la Terre entière pour bien des injustices, pour son existence aussi. Il avait plus que jamais besoin de certitude, de pouvoir se reposer sur des paroles réelles. Mais tout cela lui était refusé, encore une fois !
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Une secousse ébranla l'appareil, provoquant le réveil de ses passagers. Soudain alerte, le Napolitain se redressa sur son siège, encore un peu confus par le sommeil. L'ancien footballeur le rassura instantanément :
—Ce n'est rien. Un trou d'air, sans aucun doute.
Delkateï voulait s'en convaincre, il l'avait souhaité dans le silence dur et la semi-obscurité de l'habitacle. La peur s'était insinuée en lui et refusait de le laisser s'échapper encore une fois.
Laurian paraissait détendu, prêt à se rendormir à nouveau. Son cadet voulait s'en inspirer, en faire de même sans jamais y parvenir. Une seconde secousse suivit, accompagnée d'une troisième et d'une autre encore. Et soudain, un bruit sourd déchira l'obscurité et le silence morbide. La surprise arracha un hoquet de stupeur à Delkateï. Il ne voulait pas comprendre ce qu'il se passait, alors que l'atrocité de la situation s'imposait à lui. Dans la nuit, les flammes étaient bien visibles sur le côté droit de l'appareil.
—Oh nan ... Merde ... murmura Laurian, les yeux écarquillés d'horreur.
C'était pourtant bien réel ! L'explosion venait de l'avion et le feu avait pris, instantanément. Un cauchemar, sans que le réveil ne soit envisageable.
—Par tous les Dieux ... gémit Delkateï, une main plaquée sur sa bouche.
Il comprenait ce que cela impliquait pour lui. Il savait qu'il n'y avait aucune chance pour eux de s'en sortir. Il n'y avait aucune issue possible, une seule fin envisageable et c'était la plus terrible. Les pensées défilaient sous ses yeux, d'une urgence affolante. Sa mère qu'il ne reverrait plus, l'espoir qui avait accompagné son départ, les quartiers sombres de Naples. Sa vie exposée à son simple regard. La Mort serait bientôt là !
—Putain, y'a rien pour nous sauver ? Je ne sais pas moi, un parachute, tout ce que vous voulez !
Laurian hocha négativement la tête, tristement. La peur ne l'épargnait pas, mais il parvenait à la dompter. Une larme silencieuse coula alors qu'il murmurait sans que le sens de ces mots ne parvienne au plus jeune. Ce dernier se laissait consumer par l'effroi, les mains crispées sur son siège. Il savait ce qui les attendait, et l'ignorance aurait été bien plus douce.
Ce qu'ils vécurent dans les minutes qui suivirent était indescriptible. Les secondes les plus longues de leur existence et les plus douloureuses aussi. L'adrénaline endormait la conscience et les sens alourdis par la violence des secousses. L'avion fut ébranlé jusqu' à en perdre le moindre contrôle. L'odeur âcre de fumée en devenait bien secondaire. Ils mourraient de toute façon, quelle qu'en soit la manière.
La ceinture fermement accrochée à la taille de Delkateï lui évitait les chocs les plus rudes. La pression chutait alors que l'appareil perdait de la hauteur. Une montée de bile et une douleur effroyable lui vrillait les tympans. Les deux hommes avaient perdu toute capacité à réfléchir en cet instant, seule l'horreur les atteignait encore. Une tension inouïe prête à prendre fin, d'un instant à l'autre. Laurian murmurait encore, ces mots que personne n'entendrait jamais. Inconsciemment, ils attendaient le choc, celui qui mettrait fin à tout. Ils l'espéraient presque alors que la souffrance en devenait insupportable.
Delkateï n'était qu'un amas de chair, sans la moindre capacité intellectuelle. Le Mal détruisait tout de lui, l'humanité qui le caractérisait jusqu'alors. Cette agonie devait se finir, une telle atrocité ne pouvait être de ce monde. Le nom des Dieux s'imposa à lui en même temps que celui de sa mère comme un dernier moment de lucidité. Et puis tout cessa, la douleur et tout ce qui faisait de l'adolescent un être vivant. Une lumière aveuglante et le néant. Une clarté rassurante et l'obscurité sans la moindre limite.
Delkateï perdit connaissance avant même de sentir le choc désarticuler son corps et la douleur qui l'accompagna. Il rejoignit les Ténèbres avec la conviction qu'il ne reverrait plus jamais les lueurs du jour.
Un chapitre avec ... de l'action !
Le prochain chapitre sera moins conséquent, mais avec sa dose de surnaturel, d'incompréhensible. Le chapitre 8 s'appelle Clair obscur.
J'espère de tout coeur que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à me faire part de vos avis, de vos points de vu et même de vos hypothèses. Vos votes me seront également d'un très grand soutien, ça parait bien peu mais sachez que ça fait la différence pour une jeune auteure telle que moi. Je compte sur vous :3
A bientôt !
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