Chapitre 6 : Exil consenti
Les jours passaient, d'une étrange banalité. Personne ne pouvait deviner que tout un destin était sur le point de changer. Delkateï gardait ce sentiment incompréhensible pour lui seul.
Les nouvelles arrivaient, au fur et à mesure, bien trop lentement au goût de l'adolescent. Laurian les contactait régulièrement, apportant des informations et toutes sortes de documents à remplir, le tout d'une affolante inutilité. Cette situation mettait son principal intéressé en rogne. Il lui semblait se métamorphoser en bombe à retardement.
Delkateï s'était attardé un soir, une semaine après l'arrivée de Laurian à Naples. Sans la moindre raison valable. Il avait observé le ciel, longuement, pris d'émotions comme il l'avait rarement été. Le crépuscule colorait l'horizon de ses multiples nuances flamboyantes. Installé près du terrain de football désert, rien ne venait gâcher ce spectacle. Le soleil se confondait avec l'azur, embrassant la terre dans son dernier soupir de vie. Après un long apogée, l'astre du jour abandonnait la lutte et son règne touchait à sa fin. Il s'agissait bien d'un adieu déchirant et Delkateï y découvrait son propre reflet.
Le regard porté vers le ciel, l'imagination prenait le pouvoir sans que le jeune homme ne n'ait le loisir de s'y opposer. Était-ce là la demeure des Dieux ? Cette sorte de fascination était peut-être explicable. Ces créatures divines l'observaient alors, à son insu. Delkateï ne se sentait plus maître de ses actes, de son destin.
Delkateï ne sut jamais combien de temps il demeura ainsi, à dévisager le néant qu'était désormais le ciel. Il aurait aisément pu deviner l'inquiétude de sa mère qui l'attendait depuis de longues heures, rongée par l'angoisse. Oui, cela lui parut tout naturel à l'instant où il rejoint le domicile familial.
Mais Joy ne parvenait plus à calmer son appréhension : son adolescent quitterait Naples deux jours plus tard pour un avenir inqualifiable. Cela, Delkateï n'avait su le prévoir et il ne put que s'enfermer dans les bras de sa génitrice, espérant y gagner quelques précieuses minutes de répit.
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Le centre de Naples déployait sa grandeur aux visiteurs qui arpentaient ses rues. Un bruit constant et une agitation perpétuelle, le quotidien de n'importe quel citadin. Un nombre incalculable d'humains, des vies dont personne ne saurait jamais rien, des anonymes au milieu de tant d'autres. On croisait une personne et elle quittait notre esprit l'instant d'après, remplacée par une nouvelle. On ne cherchait pas à comprendre, ou même à être différent. Pourquoi tenter une telle folie ? Ils étaient de passage ici et oublieraient bien vite cette matinée, comme on les oublierait bientôt nous aussi. Comme s'ils n'avaient jamais existé. Comme si leur vie ne comptait pour rien !
Delkateï était cette foule sans jamais réussir à s'y fondre réellement. Il n'y parvenait pas, alerté par cette ambiance particulière et effrayante. Ces individus minuscules qui se bousculaient, se heurtaient comme des milliers de fourmis. L'Italien voyait en eux des animaux, pas plus, mais peut-être même moins. Les regards de ces parfaits inconnus l'accrochaient, dévisageant ce garçon dont la différence était bien visible. Un malaise grandissait sans souffrir la moindre limite.
Joy observait son fils avec une certaine appréhension. Elle sentait la terreur qui dévorait l'adolescent. Il n'avait jamais connu la ville telle qu'elle se dévoilait en cette matinée. L'identité se perdait à profit d'une humanité toujours plus rare.
La gare se tenait au beau milieu de la ville. Un train était annoncé pour les mener à l'extérieur de Naples, où un avion privé les attendait pour le grand départ. Une telle organisation et de tels moyens avaient impressionné Delkateï. Et puis, la méfiance était revenue, plus forte encore. Voilà qu'il quittait toute sa vie pour une nouvelle dont il ne savait presque rien.
Le train était bondé et le bruit ambiant ne faiblissait pas. Tout cela agaçait les nerfs et énervait prodigieusement l'adolescent. Il avait besoin de penser, puisqu'il ne pouvait y échapper. De faire un dernier point avec ses réflexions.
Les élèves de Diolyde étaient de toutes nationalités et de tous horizons. Le nombre d'étudiants n'excédait pas la cinquantaine pour un nombre un peu près équivalent d'enseignants et personnes chargées du bon fonctionnement de l'établissement. Le sport occupait donc une place importante, le football, la natation, l'équitation et d'autres encore, liés aux combats. Laurian lui avait promis un diplôme à la sortie de cet établissement, lui permettant un avenir professionnel. C'était certainement ce qui avait fait pencher la balance en faveur du départ de l'Italien. L'élément le plus étonnant restait la localisation de cette fameuse école. En effet, Diolyde était située au Pôle Nord, là où personne ne pourrait jamais la trouver par hasard. Une volonté incompréhensible aux yeux de Delkateï.
Son regard se posa sur sa mère qui semblait aussi perdue dans ses pensées. D'autres raisons l'avaient poussée à accepter la proposition alléchante de l'ancien footballeur. Il avait tenté de lui soustraire des informations, avide de ce qu'elle lui cachait si farouchement. C'était sa vie qui était en jeu !
—Maman ?
Le bruit rendit l'interrogation presque inaudible et pourtant Joy se tourna vers son fils.
—Ça ne va pas Delkateï ?
Ce dernier cherchait les mots justes. Dire le fond de sa pensée avait toujours relevé du défi pour cet adolescent solitaire. C'était là son unique occasion de connaître la vérité.
—Ce Laurian... Comment tu l'as connu ?
Joy pinça les lèvres, passant sa main dans ses cheveux argentés avec lassitude. Elle avait visiblement de bonnes raisons de garder le silence. Pourtant, l'Italien insista plus fortement :
—Maman ! Je vais bientôt partir à l'autre bout du monde, j'ai besoin de savoir ce que tu me caches ! Dis-moi ce que je dois savoir !
La concernée soupira, le regard fuyant. La cacophonie alentour rendait ce mutisme moins réel, moins perturbant. Finalement, la trentenaire se lança, la voix moins assurée que ce qu'elle aurait souhaité :
—J'ai rencontré Laurian en même temps que ton père. C'était son meilleur ami depuis des années déjà. Il était en train de devenir un des joueurs les plus talentueux à cette époque et sa carrière s'est envolée. Nous passions des journées entières ensemble tous les trois. Nous nous sommes perdus de vu après le départ de ton père. Il a disparu subitement et je ne l'ai plus revu depuis.
Joy ne parlait jamais d'Eran, son unique amour et le père de Delkateï. Ce dernier savait en vérité peu de choses sur son géniteur et cela pouvait expliquer la réticence de sa mère. Une histoire enterrée depuis des années déjà, qui ressurgissait soudain, sans crier gare. Ces vieilles histoires allaient lui prendre son fils et le mensonge y était sans doute préférable. Les souvenirs comme d'anciennes blessures et tout ce qui ne pouvait pas encore être su.
—Y'a autre chose que tu me caches et que je devrais savoir ? railla Delkateï, presque trop sèchement.
Sa mère l'observa sans relever le ton déplaisant de l'adolescent. Elle pinça les lèvres, submergée par l'émotion avant de lâcher, du bout des lèvres :
—Non, Delkateï, désolée.
Le susnommé retint un cri, repoussant l'envie de hurler contre la femme. Il sut par instinct qu'il n'obtiendrait plus rien d'elle. Joy s'en voulait atrocement de mentir à son fils et détourna le regard, la bouche hermétiquement close.
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L'arrivée à l'aéroport. Le sourire éclatant de Laurian. L'avion qui attendait patiemment ses passagers. Que dire de plus ?
Le soleil réchauffait l'herbe de ce champ qui s'étalait jusque dans les montagnes. Le vert s'étendait comme jusqu'au bout du monde, comme s'il n'existait rien d'autre que cela. Le vent qui s'emmêlait dans les cheveux trop longs de Delkateï, cette odeur de pureté... Tant de choses qui sonnaient comme un adieu.
Un homme entre deux âges se tenait aux côtés de l'ancien footballeur, d'apparence sympathique, un visage rond et le teint rougeâtre. L'Italien réajusta le vieux sac qui rassemblait à lui seul ses quelques affaires, insondable.
—Joy, Delkateï. Voici Sam, qui nous prête son avion et accepte d'être notre pilote.
Des salutations simples, un minimum de politesse que l'éducation de chacun rendait d'usage. Il n'y avait pas de temps à perdre avec des bavardages inutiles. Pourtant, les paroles échangées étaient elles aussi obligatoires, au grand dam de l'adolescent. Il se coupa de la conversation, jusqu'à ce que le moment du départ s'impose.
Joy contenait déjà à grandes peines ses larmes quand elle prit son fils dans ses bras. Elle offrait un avenir au jeune homme, et ce sacrifice était nécessaire. Elle sentait la chaleur de cet être qui lui était si cher pour la dernière fois avant plusieurs mois. Delkateï soignait la plaie béante sur le point de se former au milieu de son être. Il profitait de cet instant court et bon.
—Appelle-moi dès que tu arrives. Appelle-moi dès que tu peux et... et fais attention à toi ! Je t'aime mon petit bébé...
Le surnom affectueux fit sourire Laurian, mais l'adolescent ne s'en offusqua même pas. Il répondit simplement :
—Moi aussi, je t'aime, maman.
Encore quelques minutes, un moment bien trop bref. Joy caressa fébrilement le visage de son fils, le visage ravagé par les pleurs. Il fallait partir et ce n'est qu'au prix d'un effort immense que Delkateï s'arracha à cette étreinte.
Il suivit Laurian, presque mécaniquement, le cœur aux bords des lèvres. Il accusa un dernier regard à sa mère avant de monter dans l'avion. Avant de franchir le pas. Avant de quitter cette vie pour une autre.
Un adieu à bien des égards, mais rien qu'un au revoir pour la femme qui pleurait son fils au milieu de nulle part. Il lui sourit comme il l'avait si rarement fait. Sincèrement, avec toute la tendresse dont il pouvait disposer.
On avance doucement dans l'intrigue. L'histoire derrière toute cette simplicité est complexe alors il faut du temps pour installer la situation pour éviter les incompréhensions.
Pour le prochain chapitre, il s'intitulera : La montée et la chute. Sensation garantie, et enfin de l'action, de la vraie !
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Jade
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