Chapitre 59 : Intervention désespérée
[Zaraka, encore une fois, juste avant la version finale du dessin]
Aaron et Eole couraient en direction de la fameuse salle de classe en compagnie de Kourrage et Eran. Les deux hommes n'avaient pas été difficiles à convaincre, et s'étaient levés comme de juste, déstabilisés par l'urgence de l'appel à l'aide, mais la détermination intacte.
Ils ne connaissaient que trop bien les risques encourus et les explications des jeunes hommes avaient suffi à les tirer de leurs bureaux. Le repas venait tout juste de s'achever et Laurian avait été chargé de réunir tous les adolescents dans le réfectoire afin d'éviter les prises de risques inutiles. Une sorte d'organisation s'était mise en place en secret, dans le plus grand des calmes et dans un ordre presque parfait. Les dirigeants de Diolyde s'apprêtaient à entrer en scène, à limiter les pertes comme les adultes responsables qu'ils incarnaient. Comme mécanique bien huilée, les réflexes opéraient pour encadrer l'effroi des étudiants tout aussi déboussolés.
Ainsi, les élèves avaient été conduit dans la plus vaste pièce de l'école sans que personne ne leur prodigue les informations nécessaires. L'entraîneur de l'équipe de football avait tu tout ce qui pourrait déclencher la panique au sein de l'établissement, préférant garder ce genre de détails sous silence jusqu'à nouvel ordre. Jusqu'à ce que la situation soit à nouveau sous contrôle.
Jamais Aaron n'oublierait l'expression du visage de son parrain lorsqu'il avait fait irruption dans son bureau. Le directeur venait juste de regagner ses appartements et n'avait pu contenir son émotion. Un mélange de soulagement et de terrible appréhension. Tout cela allait enfin prendre fin, mais à quel prix ? Il ne pouvait ignorer la puissance de l'espion comme Laurian le lui avait rappelé, avant qu'ils ne tournent les talons :
—Ne le sous-estimez pas, il n'est pas seul.
Kourrage avait inscrit ces quelques mots dans son esprit, y trouvant bien vite un sens. Aïrès et ses sbires se cachaient derrière Jo.
Jo... L'étonnement des adultes dépassait toute description physique, comme si elle ne s'y bornait pas uniquement. Eran y pensait sans discontinuer, chaque pas semblant marteler un seul et unique mot : Pourquoi ? Peut-être que cette interrogation des plus justifiées s'accompagnerait alors d'une suivante : Comment ?
Eole menait une tout autre sorte de combat, de ceux qui ne pouvaient se distinguer à l'œil nu. Kristal détestait se voir éloigné des combats et le faisait immédiatement payé à l'adolescent. Sa puissance aurait certainement pu être utile, mais l'instabilité des deux âmes les rendait bien trop dangereux. Personne ne souhaitaient s'y risquer. Si le jeune garçon en avait pleinement conscience, c'était loin d'être le cas de la créature qui s'insurgeait d'une telle décision.
Aaron lui offrit un regard inquiet, ses sourcils rouges vifs froncés sur ses yeux sombres. Eole le rassura d'un faible sourire et d'un geste désinvolte de la main qui ne dupèrent personne. Cette course forcée ne lui pesait en aucun cas et ses capacités physiques hors du commun s'illustraient une fois de plus. Les sons de l'impact de leurs pieds sur le sol se répétaient inlassablement, à la manière d'une plainte sourde.
Enfin, les silhouettes d'Eléonore et Ludo se dessinèrent à l'angle d'un couloir. Leurs corps angoissés se détachèrent de l'uniformité des murs de Diolyde et le Russe accéléra encore pour rejoindre la Brésilienne, entièrement vaincue par la peur.
—Les... les autres... où sont-ils ? s'enquit Kourrage, péniblement.
La respiration bruyante et laborieuse de l'homme se répercutait sur plusieurs mètres et les deux adolescents mirent de près d'une trentaine de secondes à réagir.
—Oui, dit Ludo. Delkateï est rentré en dernier.
—Il y a combien de temps ? souleva Eran, d'une voix plus mesurée malgré l'angoisse qui menaçait déjà de le submerger.
—Un quart d'heure, peut-être un peu plus.
Il n'y avait plus un instant à perdre. Pourtant, malgré l'urgence, la peur et le désespoir, l'organisme humain se braquait. Comme vaincu par la volonté de survivre avant toutes autres formes de réflexions, il s'immobilisait, restait de marbre. Il cherchait une solution pour ne pas affronter directement le danger. Aaron le ressentait et était presque prêt à l'assumer pleinement tandis que son parrain ne pouvait l'énoncer clairement. L'épais nuage qui s'échappait de la pièce avait de quoi mettre à l'épreuve le courage de n'importe quel homme.
—Nous allons rentrer, décida brutalement le directeur. Nous représentons les renforts dont ils ont besoin, nous devons à tout prix leur prêter main-forte !
—Oui, il faut intervenir. On ne sait pas ce qu'il se passe à l'intérieur et ils ont peut-être besoin d'aide, acquiesça Eran, dont l'attention principale était tournée vers son fils.
—Vous voulez que l'on rentre tous ? demanda Eole, dont la gorge s'était inexorablement nouée.
Il n'avait jamais été lâche et le sentiment de culpabilité qu'il ressentit en cet instant faillit le renverser. La peur, celle qui le rongeait, ne justifiait-elle pas une telle interrogation ? Le Russe se refusait la moindre excuse et ne pouvait que se blâmer, encore et encore.
Décidément, tu ne brilleras jamais plus que par ta lâcheté !
Eole accusa le coup en silence, son visage fin ne souffrant aucune expression de douleur. Il garda sagement un œil sur l'incertitude palpable des dirigeants de Diolyde. Ils échangèrent un regard avant qu'Eran ne reprenne la parole, bien plus sûr que son ainé :
—On ne forcera personne à venir, que ce soit clair. Si vous mettez les pieds à l'intérieur, c'est que vous le voulez. Personne ne vous le reprochera !
Kourrage opina en silence, tandis que les élèves s'interrogeaient un à un. Derrière la porte, aucune certitude ne serait permise. Il pouvait se produire le pire comme le meilleur et chacun craignait le spectacle dont ils allaient être témoins. Ludo effectua un pas en avant, déterminé à rejoindre Andrew dans les plus brefs délais, bientôt imité par Eléonore qui échangea, au préalable, un regard timide avec Eole. Cela acheva de persuader ce dernier qui subissait, en parallèle, l'excellente persuasion de Kristal. Aaron, quant à lui, n'avait jamais hésité un seul instant, certain de ses convictions.
—Bien, dit le directeur, d'une voix blanche. Allons-y, dans ce cas.
Sa main se perdit sur la clenche comme s'il cherchait, lui aussi, la force de se rendre jusqu'au bout de ses pensées. D'un geste presque brusque, il ouvrit la porte dont la surface plane laissa place à une obscurité omniprésente.
Il leur fallut de longues secondes pour distinguer quoi que ce soit dans cette étendue monochrome. Ils se pressaient timidement contre l'issue, personne n'osant en franchir le seuil. Des ombres se glissaient au sol, serpentant dans cet amas noir. Ils détaillèrent enfin les volutes denses qui s'élevaient à la manière d'une fumée opaque et glaciale. Kourrage se figea, découvrant pour la première fois l'évolution du Mal, celle qui avait bien failli engloutir l'école entière. Eran partageait la même admiration lugubre pour l'obscure révélation qui se prêtait à leur regard.
Ils remarquèrent ensuite des silhouettes allongées à même le sol, affreusement inertes. Leurs camarades, leurs amis, gisaient dans la poussière, là où le corps de Céleste avait été retrouvé, quelques semaines plus tôt. Une ancienne plaie venait de se rouvrir et le sang jaillissait à flots de cette cicatrice déchirée.
Ludo fut le premier à réagir, reconnaissant les traits d'Andrew. Il s'élança dans la pièce sans réfléchir, son cœur martelant si fort ses côtes qu'il crut, un moment, qu'elles finiraient par céder et laisser l'organe s'écraser quelques mètres plus loin. Une voix sèche l'arrêta net dans son élan, lui imposant l'immobilité :
—N'avancez pas !
L'ordre s'adressait, visiblement, à toute la petite assemblée. Jyn s'était redressé avec difficultés, luttant contre une atroce migraine et contre de terribles courbatures. Appuyé sur ses coudes, le corps à demi-allongé, une grimace saillait ses traits dévorés par la pénombre. Il toisait méchamment son frère qui s'enquit, comme un enfant que l'on priverait d'une friandise :
—P-Pourquoi ?
—Il n'est pas encore temps.
Les autres demeuraient immobiles, sans oser prononcer une seule parole. Le calme macabre de la petite salle leur conférait une sorte de malaise, de ceux qui prennent aux tripes et refusent de vous laisser le moindre répit.
Juste derrière Jyn, Jo gigotait, toujours debout, mais visiblement mal en point. Son visage baigné de sueur illustrait une douleur crue et ses membres étaient parcourus de soubresauts incontrôlables. Une sueur glacée dégoulinait de son front, collant ses cheveux et illustrant le calvaire intérieur auquel il était confronté. Cette vision paralysa Ludo qui recula d'un pas, partagé entre son envie irrésistible de se jeter au secours d'Andrew et la peur qui signait son retour triomphal.
—Écartez-vous !
La voix d'Eole s'éleva, brutale et autoritaire. L'améthyste grignotait ses yeux sans fond, Aaron fit signe aux autres d'obtempérer. Il ne serait pas de bon augure de contrarier le démon. Kristal venait de s'éveiller au contact du Mal, sa puissance accrue par la noirceur qui tournoyait autour du vortex. Alors qu'il s'avançait en direction de son cœur, Kourrage l'arrêta, empoignant doucement son bras :
—Ne t'approche pas, Eole. Nous ignorons la dangerosité de tout ceci !
—Entendu, je passerai le message à mon hôte. Eole sera sans doute ravi de l'apprendre.
Le directeur laissa l'élève échapper à son emprise. Il échangea un regard incrédule avec son collègue qui opta pour un retrait stratégique. Le démon contempla le néant qui s'élargissait à ses pieds, considérant une adoration proche de l'exaltation aux méandres qui ouvraient une gueule béante juste ici. Il articula, détachant chaque syllabe comme si elle constituait un secret enfin révélé :
—N'est-ce pas la plus belle chose qui ne vous ai jamais été donnés de voir ?
Les adultes s'apprêtaient à protester, à faire part de leur grande incompréhension. Jyn leur intima de se taire, le visage grave. Eole, ou plutôt l'enveloppe charnelle lui appartenant, tendit sa main au-dessus du vortex. Se produit alors un phénomène qui glaça le sang des autres, relégués à la place de simple spectateur. Les volutes cessèrent de reproduire leur mouvement hypnotique pour s'élancer en direction de Kristal dont les doigts tendus absorbèrent la noirceur des lieus. Cela ne dura pas plus d'une minute, le démon se nourrissant allégrement de l'essence maléfique pour s'en repaître.
En l'espace d'une poignée de secondes, la créature venait d'aspirer une des plus grandes menaces qui planait sur l'école. Personne ne serait dire s'il fallait y voir une quelconque aide de sa part ou si l'être avait simplement été attiré par l'aura obscur de la pièce.
—Eh bien, pourquoi ne demandez-vous pas à votre ami ce qu'il se passe ? Après tout, tous vos petits camarades pourraient bien être morts, dit Eole, un sourire torve dans la voix.
—Qu'est-ce qu'il se passe, Jyn ? Réponds !
—Jyn, s'il-te-plait, insista Ludo, bien faiblement, encore choqué par la vision précédente.
Assis en tailleur, l'interpellé jouit de son mutisme encore une minute, ignorant superbement la frayeur de ses congénères. Il attendit que les yeux fixes de Jo s'ouvrent sur la réalité, que son visage exprime une souffrance sans nom et que l'Italien ne se tire, tant bien que mal, de l'inconscience pour murmurer, sombrement :
—Le combat n'est pas encore terminé !
L'avant-dernier chapitre ...
J'avoue que ça me fait quelque chose de songer que, la semaine prochaine, vous aurez devant vous le final. L'ultime chapitre de ce premier tome !
Jo est toujours en vie bien que mal en point. Les derniers lignes décideront de son sort et j'espère que la fin sera à la hauteur de vos attentes. N'hésitez pas à vous manifester, les lecteurs se font toujours plus rares et en période de réécriture intensive, ce n'est pas des plus motivant.
Merci à vous et à la semaine prochaine pour le dernier chapitre d'Instincts ~
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