Chapitre 57 : La plaie inscrite dans la terre

[Le crayonné de la dernière déesse que je n'ai pas retravaillé (maintenant, il va falloir tous les redessiner) : Zaraka ! Une créature qui partage la vie du roi des DieuxC'est une véritable guerrière, même Kyraël ne lui tient pas tête, c'est dire]


Delkateï sentit son corps se reformer. Comme si son âme, par souci d'identité, avait souhaité lui en offrir un à l'image de l'enveloppe charnelle qu'il avait toujours habitée.

Le noir laissa place à ses mains, à ses propres mains, qu'il bougea avec précaution. L'impression était étrange, comme s'il se découvrait pour la première fois. Comme d'un objet créé par son esprit lui-même. Un décor se dessina également autour de lui au fur et à mesure que son regard balaya cette immensité.

Il s'agissait d'une vaste étendue d'herbe tendre. Cette plaine vierge de la moindre influence humaine étonna profondément Delkateï. Jo avait véritablement créé cet endroit, alors pourquoi portait-il une telle apparence ? Un tel équilibre s'en dégageait qu'il était impossible d'imaginer le Mal engendrer une pareille harmonie. Il n'eut pas le loisir de se pencher plus longtemps sur la question, une voix forte résonna dans son esprit :

—C'est pas le moment d'admirer le paysage !

Un puissant impact atteignit l'adolescent en plein plexus. Il se courba en deux et toussa à plusieurs reprises. La douleur lui coupa le souffle instantanément, comme un rappel à l'ordre des plus parlants alors qu'il entrevoyait enfin le corps de Jo, identique à celui qu'il lui connaissait.

—Tu auras tout le temps d'en profiter quand tu agoniseras par terre.

—Ferme ta gueule, articula Delkateï, dont la répartie s'amenuisait en vue des circonstances.

Alors que son adversaire se remettait péniblement du choc absorbé, le regard de l'espion se porta vers le ciel pur, prononçant avec un sérieux presque religieux :

—L'enfant maudit est à vous.

Un court silence s'imposa d'abord tandis que l'intéressé reprenait difficilement son souffle. Une voix gutturale répondit alors, ébranla presque ce décor créé de toute pièce :

Le... fruit des ambitions de mes ...pairs...

—Ce n'est qu'un enfant, protesta Jo, face à cette interpellation trop élogieuse à son goût. Ce n'est pas...

—Silence ! Remplis la... mission et tue-le...

—Mais...

L'air sembla subitement se vider des poumons de l'espion qui suffoqua durant une poignée de secondes, une main invisible qui bloquait l'arrivée d'un oxygène pourtant inexistante en ces lieux. Il balbutia, les yeux révulsés :

—B-Bien, je vous obéirai.

Delkateï se redressa péniblement, frémissant face à ce qui venait de se jouer devant ses yeux. Pouvait-il réellement mourir ici ? Seule l'âme s'y trouvait et son corps demeurait dans la salle de classe à Diolyde, à mille lieues de là. Mais, au fond, qu'était-ce que l'enveloppe charnelle sans son esprit ? Rien qu'un amas de chairs et de sang sans grandes utilités. Une apparence à laquelle les jeux de masques offraient son importance, mais qui, après réflexion, représentait seulement l'aspect éphémère de la vie. Une ineptie qui effleura, l'espace d'un instant, la conscience de l'Italien.

Ce dernier se tourna vers son homologue qui le dévisageait avec une insistance malsaine. Avec l'assurance du meurtrier prêt à remplir sa funeste entreprise. Delkateï ne vit pas l'adolescent que Jo était censé être, mais un individu qui avait perdu toutes traces d'humanité. Un pantin que le garçon dénonçait chez chaque élève de l'école. Une marionnette aux mains du Mal qui exécuterait le moindre ordre sans broncher.

Que pouvait-il faire à présent ? Foncer tête baissée vers son adversaire en espérant l'atteindre avant que celui-ci ne fasse usage de sa magie ? Ou attendre gentiment qu'une issue se présente ? Ses dons semblèrent bien inutiles et la moindre optique de transformation paraissait compromise. Alors quoi ? Rien ? Toujours rien ?

—T'attends quoi exactement ? finit par s'enquérir Delkateï, glissant de l'huile sur le feu sans même réfléchir.

—Rien, et toi ? Tu attends que la mort vienne te cueillir bien gentiment ?

La gorge de l'Italien se noua. La vie, elle-même, les rattrapait pour rejoindre la mort dans sa brillante embuscade. Une étreinte enflammée et la dernière que le jeune homme ne connaîtrait jamais.

—Tu es le héro, pas vrai ? Tu sais, celui qu'on admire dans toutes les histoires. Ces putains de belles histoires ! La fin est faite pour plaire et les gens sont assez cons pour s'en contenter !

—Les héros, ça existe que dans les bouquins, vociféra Delkateï, haussant considérablement la voix.

—Ouais, t'as pas tort, sourit Jo. Et moi je serais le méchant et les méchants, on en parle pas. Ils sont juste méchants et rien de plus. Ça m'a toujours fait marrer les conneries qu'on peut faire gober aux gens ! Ça les satisfait peut-être de penser ça, mais ils se plantent ! Toi, tu es le gentil, mais c'est pas ça qui va te sauver. Les gentils aussi crèvent, et pas mieux que les méchants ! Ils crèvent pareil !

La véhémence dont il faisait preuve avait de quoi surprendre, tout comme cette curieuse métaphore. Les histoires s'écrivaient, certes, et le rôle de chacun n'avait jamais gêné quiconque. Le Napolitain s'étonna à soupçonner une ultime once d'humanité chez l'espion, celle qui s'insurgeait contre une injustice bien particulière et qui continuait de penser comme un adolescent. Comme un être qui souhaitait seulement exister, et ce, au mépris de ce que l'on attendait de lui. Comme une personne, faite d'émotions et d'attirances suspectes.

Delkateï abandonna cette manière de réfléchir à l'instant où Jo éclata de rire. Un son hystérique, un ricanement perfide qui accompagna une nouvelle décharge d'énergie qui atteignit son vis-à-vis en pleine poitrine. La puissance du coup étant supérieure à la première fois, il fallut plusieurs secondes à l'élève pour retrouver un semblant de contenance. Une main pressée contre la zone meurtrie, il cracha :

—Enfoiré.

—Qu'est-ce qu'on s'en fout ! Bientôt, les enfants n'entendront plus les histoires du prince et de la princesse où la fin est forcément heureuse.

La rage de Jo semblait s'être muée en une hystérie proche de la démence. Comme si la responsabilité qu'il portait sur ses épaules était venue à bout de son esprit.

—C'est dommage que tu ne seras plus là pour le voir.

—Je ne suis pas encore mort, rétorqua Delkateï.

—Ne sois pas si pressé, ça arrivera bien assez vite.

Jo se délecta de la rage liquide de son cadet. Il vit, très clairement, la haine s'inviter dans ses prunelles et ses poings se serrer, compulsivement. Cela l'amusa, le divertit. Il jouait, provoquait pour mieux blesser. Son but n'était pas, en cet instant, de tuer. La cruauté de ses gestes le confirmait tout comme le rictus qui cernait ses lèvres. Il s'approcha d'un pas, puis d'un deuxième, faisait mourir une part de cette distance de sécurité. Il était le prédateur qui se dressait face à sa proie. La misérable victime, prise à piège, espérait encore se sortir de l'emprise du carnivore qui jouait avec elle. Pauvre petite souris que le chat ne manquerait pas de dévorer !

—J'ai le pouvoir de tuer l'enfant de la Malédiction, murmura Jo. C'est un honneur, crois-moi.

—Tout le plaisir est pour moi. J'espère que tu te figures pas encore que je vais me laisser faire. Mon poing connait le chemin de ta joue, y'a pas de pardon pour les méchants.

—Oh non, tu as raison. Mais tu n'auras droit à aucun pardon non plus. Te voilà totalement à ma merci et tes Dieux, ces trouillards, préfèrent se cacher plutôt que te venir en aide. Tu ne te sens pas abandonné ? Tu t'es planté de camp, Delkateï Lytaël.

Représentants de leurs deux établissements et des deux plus grandes puissances que le monde ait portées, ils se jaugèrent durant une longue minute. L'un avec la foi absolue de vaincre et l'autre avec le désir, le besoin vital, de sauver sa peau puisque l'égoïsme ne pouvait être blâmé en ces lieux. L'un avec l'euphorie du gagnant et l'autre avec l'incertitude de celui qui n'aurait jamais dû se trouver ici. L'un et l'autre.

Le décor verdoyant contrastait avec la tension qui habitait les deux hommes, cette violence interne qui n'apprêtait à se matérialiser pour de bon. Une sorte d'ironie, de dérision, de la part de l'espion qui ne souffrait visiblement pas de la pression accumulée. Le clinquant décor, tout comme Diolyde, ne tarderait pas à laisser entrevoir la misère qui s'y cachait. Rien en ce monde n'était perfection, aussi dur cela soit-il à accepter.

Jo posa sa main à plat sur le torse de son ennemi qui empoigna son poignet pour le faire lâcher prise. Il n'aurait pas hésité à profiter de son avantage physique, de la force qu'il possédait et qui faisait défaut à l'espion. Ce dernier ne lui laissait pas l'occasion de mettre ses menaces muettes à exécution, sa main se contractant pour éveiller une douleur féroce dans la poitrine de Delkateï. Le cœur de celui-ci se tordit dans sa poitrine, comme si les doigts de son adversaire l'étouffaient, l'écrasaient par simple envie. La pression disparut aussi vite qu'elle était arrivée, abandonnant la victime qui reprenait péniblement son souffle.

La morsure de la peur se liait à la magie qui, soudain, sembla se manifester. Des crépitements apparurent autour de ses poignets pour disparaître l'instant d'après. L'espion pouffa devant cette vaine tentative et Delkateï qui résista à l'envie de détruire le visage de son adversaire à coups de poings.

—C'est dommage, éructa Jo. Une prochaine fois, peut-être ?

—Ils vous apprennent pas à la boucler à la Sixième zone ? T'es trop bavard pour un parfait meurtrier ! gronda l'autre.

L'intéressé ne répondit pas à la provocation, préférant s'en amuser. D'un revers de main, il ouvrit une plaie béante au sein de la plaine, déchirant l'étendue d'herbe verdoyante avec un plaisir non feint. Une blessure affreuse grandit alors où les tréfonds de la Terre se révélaient, laissant entrevoir ses entrailles immondes. Bientôt, le champ de vision des deux garçons se résuma à cette chute vertigineuse.

—C'est trop tard maintenant, tu es mort dès que tu es arrivé ici. Maintenant, fais leur honneur, saute et crève !


 J'espère que ça vous aura plu et que ce chapitre aura été à la hauteur de vos attentes !

Le prochain chapitre "Aide providentiel", je dirais, porte bien le titre que j'ai choisi de lui donner. On bascule un peu plus dans le fantastique, la catégorie à laquelle cette histoire appartient !

Je vous dis à la semaine prochaine pour ce joyeux programme ~

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