Chapitre 56 : Jouer avec le feu

[Et, enfin, la version finale du dessin après plusieurs semaines d'attente (je m'en excuse, je manquais d'illustrations alors j'ai préféré faire durer le suspens). J'espère de tout coeur qu'il vous plaira]


Delkateï patientait à l'extérieur de la salle de classe. L'angoisse serrait sa gorge et entravait ses pensées. Cette source inexorable de stress semblait s'alimenter de celles, tout aussi vives, d'Eléonore et de Ludo.

Dos au mur, il sentait indistinctement les pierres alignées pénétrer sa chair alors qu'il se laissait choir contre leur dureté. Il avait peur, c'était un fait, et cherchait un moyen de se persuader, de se convaincre de ne pas renoncer. Sa mère l'attendait en Italie, chez lui à Naples et craignait certainement pour sa vie. Pour elle du moins, il n'était pas question d'abandonner la lutte.

Le silence régnait sans que ses deux camarades n'aient à cœur de le briser. Le plus jeune admirait ses mains jointes qui tremblaient nerveusement, son regard bleu saturé de panique. Son imagination le poussait à envisager de terribles possibilités où personne ne ressortait vivant de cette pièce. La Brésilienne priait pour que les renforts arrivent rapidement, y voyant l'unique espoir de survie. Ils se consumaient littéralement d'émotions ravivées par l'urgence, par la dangerosité de leur situation.

À quelques mètres seulement, le destin du monde se jouait. Une mascarade dont ils étaient les pantins et c'était certainement là le constat le plus douloureux. L'attente se révélait insupportable, un fléau à l'image de l'épée de Damoclès juste au-dessus de leurs têtes. Une pression supplémentaire qui s'ajoutait à toutes les autres, achevant de les détruire de l'intérieur.

Delkateï ?

—Quoi ? reprit l'intéressé, sursautant brutalement à cette voix qui s'imposa à lui comme l'évidence elle-même.

Immédiatement, tous les regards convergèrent sur lui. Celui, interrogateur et inquiet de Ludo, puis celui intrigué d'Eléonore. L'Italien réalisa alors qu'il venait de s'exprimer à voix haute tandis que son prénom avait été prononcé dans sa tête. Personne à l'exception de lui n'avait entendu la voix pressante, mais rassurante, d'Olympe.

Ils sont en danger.

Les muscles de Delkateï subirent une violence contraction tandis que son esprit, indépendamment de sa volonté, lui imposait la vision terrible de ses camarades, aux corps meurtris. Il rejeta immédiatement ces scénarios toujours plus glauques loin de lui. Son regard balaya ses deux cadets qui ne semblaient pas comprendre.

C'est à ton tour d'entrer dans la partie. Pour Jo, ce n'est qu'un amusement aux enjeux trop grands et qui lui coûterait cher en cas d'échec. Tu te dois de lui prouver le contraire.

—J'dois y aller, annonça-t-il, brutalement, coupant court à leurs questionnements muets.

Tu te dois rétablir l'équilibre et l'arrêter !

Il s'avança en direction de la porte close, le pas incertain. Delkateï ferma les yeux une seconde, rien qu'une seconde. Il trouva le courage, la force qui lui manquait dans l'image fictive de ses amis blessés. Ses amis ? Oui, il ne l'avouerait jamais à voix haute et sa fierté l'en empêchait, mais ces garçons se rapprochaient le plus de ce qu'une amitié pouvait lui apporter. Un quelconque soutien malgré le climat de peur que l'espion avait instauré. Un contact rassurant auquel il tenait plus qu'il ne pouvait le concevoir.

—Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit la Brésilienne, d'une voix chevrotante.

—Ils ont besoin d'aide là-dedans, ajouta Delkateï, évasivement. Restez là, j'y vais.

Ludo pâlit brutalement sans prononcer un seul mot et l'autre préféra ne pas l'angoisser plus que nécessaire. Il ne possédait pas le même mépris pour ce garçon que Jyn qui était pourtant son propre frère. Un constat qui l'effleurait au moment parfaitement inopportun.

Ils comptent sur toi !

Cela suffit pour le Napolitain qui, après avoir accordé une dernière œillade à ses deux camarades d'infortune, ouvrit l'issu d'un mouvement vif et s'engouffra à l'intérieur sans prêter gare aux volutes sombres qui s'en échappaient. Son souffle mourut alors que la noirceur de la pièce le frappa comme un coup de poignard. Ce nuage opaque l'enveloppa jusqu'à le faire disparaître.

Bonne chance, Delkateï Lytaël.

La voix d'Olympe s'éteignit, comme absorbée par la présence du Mal en ces lieux. Les yeux clairs de l'Italien mirent de longues secondes, comparables à une petite éternité, à s'habituer à l'obscurité environnante. Il distingua d'abord la silhouette reconnaissable de Jo, puis un pas le fit trébucher sur le corps inerte d'un de ses amis. Il rétablit rapidement un semblant d'équilibre avant de découvrir qu'il venait d'heurter Déméter dont la pâleur avait de quoi affoler.

Une exclamation s'échappa d'entre les lèvres de Delkateï. Il se pencha en avant, secouant l'Américain par les épaules avec une énergie proche du désespoir sans même remarquer l'attraction du vortex à quelques centimètres de lui.

—Respire, il n'est pas mort.

—Venant d'un assassin, ça n'a aucune valeur, siffla l'intéressé, venimeux.

Un rire parcourut de part et part Jo qui semblait appréhender la situation avec une étonnante légèreté. Ce contraste avec la gravité de ce qu'il se tramait acheva d'atteindre les nerfs sensibles de Delkateï. Il se redressa, rallongeant Déméter au sol après avoir vérifié son état. Son ami était vivant, comme annoncé par l'espion. Les autres gisaient aux quatre coins de la pièce, dans le même état, affreusement immobiles.

—Tu es un peu en retard. Ne joue pas les étonnés, il fallait se pointer plus tôt et avant que je fasse quelques dégâts. J'ai commencé les festivités sans toi, histoire de m'occuper un peu en attendant que tu daignes me faire l'honneur de ta sainte présence.

—Qu'est-ce que tu leur as fait ? gronda l'adolescent, sa voix rocailleuse résonnant dans la pièce.

—Pas de blessures physiques, ce n'est pas mon genre.

Jo s'amusait avec l'humeur massacrante et la rage inépuisable de son cadet. Il badinait tranquillement, jouant avec le feu sans craindre de se brûler. Une audace qui lui réussissait jusqu'ici et que Delkateï se promit de faire ravaler.

—Et ils vont tous bien. C'est toi que je veux, pas eux ! Les Instincts ne sont rien sans toi, que des coquilles vides. Puissantes, mais inutilisables par les Nouveaux Dieux, si l'on peut encore les appeler comme ça ! Ils ne m'intéressent pas !

Son vis-à-vis tiqua à peine à l'évocation des Instincts, trop perturbé pour une telle analyse. Il souhaitait que tout cela cesse, et il se fichait bien de la méthode employée pour parvenir à ses fins. Cela l'inquiétait, bien sûr, mais la menace ultime se dressait devant lui et l'empêchait de céder à la panique. Delkateï, au milieu d'une traitre réflexion, avança, désignant le vortex à l'apparence dangereuse à ses pieds.

—C'est avec ça que tu comptes...

—Tous vous détruire ? Pourquoi poses-tu la question ? Je n'ai qu'à lever le petit doigt pour qu'il t'engloutisse et te remette aux mains de la Sixième zone. Un véritable jeu d'enfant !

—Mais tu le fais pas, parce que ça serait trop humiliant de me livrer vivant, de simplement me pousser dans ce trou et attendre que ta foutue école fasse de moi ce qu'elle veut. Y'aurait rien d'héroïque là-dedans, persifla l'Italien, faisant abstraction de sa position délicate.

Au fond de la pièce, Jo se tenait bien droit. Il renonça à la provocation, à la rage que ces mots éveillaient en son sein. Il ravala une remarque acerbe qui en aurait sans doute trop dévoilé, optant pour un silence délibéré.

Aucun sortilège ne l'entourait comme une seconde peau et, pourtant, la magie semblait irradier de son être. Une magie très sombre et bien trop puissante pour être sous-estimée. Delkateï se rendit compte d'un rapport de force totalement déséquilibré. Lui qui n'avait jamais été perdant d'un seul combat, à l'exception de celui que la vie menait contre lui, détesta immédiatement ce sentiment. C'était égoïste, puéril, de songer à une telle chose, mais le jeune homme ne chercha pas à s'en blâmer.

—Tu comptes te battre avec tes poings ? souleva l'espion, moqueur.

Delkateï réalisa que la tension qui avait envahi ses membres contractait les muscles de ses mains et qu'il présentait ces dernières devant lui. Il resta immobile alors que l'autre renchérissait :

—C'est ridicule !

—Ta magie de merde contre ma main dans ta gueule, rétorqua le nouvel élève sans ciller. Je serais pas aussi confiant si j'étais toi !

Jo ricana une fois encore avant d'avancer d'un pas, comme pour rappeler à son homologue la menace qu'il représentait. L'ambiance déjà macabre étouffa littéralement Delkateï qui s'efforça de ne pas perdre complètement la face. La noirceur s'agitait autour de lui, l'atmosphère glaciale semblant pénétrer sa peau pour investir l'entièreté de son être. Il se sentait inexorablement attiré par les abimes du vortex, par ses entrailles obscures et terrifiantes.

—T'as fait assez de mal comme ça, abrège les discours ! dit-il, contrôlant la moindre de ses émotions.

—Pauvre fou, il y avait tellement pire à faire. Il y a tellement de vies à prendre ici que c'est pas possible de résister à la tentation ! Je n'ai eu qu'à me servir, aucun de vous ne m'en a empêché et tu n'as pas idée d'à quel point c'était délectable ! Vous voir geindre comme des chiens, à supplier qu'on vous laisse la vie sauve. Quel délice !

—T'es qu'un pauvre malade ! articula l'adolescent, en détachant chaque syllabe.

Un sourire hérissa les lèvres de l'espion qui se dirigea vers Calysta, toujours allongée sur le sol. Une expression douloureuse était peinte sur son visage délicat. La vision de son ex-petite amie inconsciente ne sembla pas l'émouvoir. Une idée perverse germait dans son esprit dérangé, rien qu'une brève illumination au sujet du corps de la jeune femme inerte avant qu'il ne reporte son attention sur son interlocuteur.

Ses paumes s'illuminèrent soudain d'une vive lueur rougeâtre sans que le rictus ne quitte le visage de Jo. Se sentant en danger, Delkateï se tendit dans l'attente douloureuse de l'offense, de la blessure. Il se battrait jusqu'au bout, mais suppliait en silence que les Dieux lui viennent en aide.

—Mais t'as raison... c'est le moment d'en finir !

Le plus âgé projeta les étincelles colorées dans la direction de l'Italien et celui-ci n'eut pas le loisir de réagir qu'une chaloupe sombre s'abattit sur lui, l'engloutissant au même titre que son dangereux adversaire. Le noir se fit, donnant au duel une tournure mythique et presque universelle.

Jo, avant de s'abandonner à son tour et d'y rejoindre Delkateï, leva deux doigts au ciel comme pour déchainer la colère d'Aïrès, pour libérer le maléfice que la pièce contenait depuis des semaines. Le vortex sembla reprendre vie, ses volutes formèrent des arabesques menaçantes comme les prémices d'une tempête monstrueuse, où les nuages seraient plus sombres que la nuit et où l'orage avalerait toute vie sur son passage.

Jo risqua un large sourire triomphant alors que le vortex engloutissait Calysta sans que rien ni personne ne puisse intervenir. Son corps inerte disparut en son cœur dans un craquement sinistre. 


Nous approchons de la fin à grands pas ! 

Est-ce que ça commence doucement à se sentir ? Vos pronostics pour cette ultime phase du tome ? Des hypothèses et théories ? J'avoue que l'idée de vous dévoiler la fin m'excite autant que m'effraie :3

Des bisous <3


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top