Chapitre 50 : Le nom du coupable

[L'encrage de cette grande illustration qui réunit, pour la première fois, autant de personnages sur une seule feuille.]


La plupart de l'après-midi avait été consacrée aux sports. Delkateï s'était dirigé vers le stade de football qui bordait l'arrière de Diolyde, masquée derrière son imposante façade et par les tours qui s'y dressaient. Une sorte d'arsenal moderne dédié aux sportifs en désaccord total avec la structure d'apparence centenaire du château.

Une partie des élèves s'adonnaient alors à cette activité tandis que la seconde part en pratiquait d'autres, diverses et variées. Chaque étudiant se devait toutefois de se plier à l'apprentissage d'un art martial au minimum. Le reste était libre à la créativité et les infrastructures coûteuses avaient été mises à la disposition de tous. Cela représentait un vrai défouloir aux yeux de l'Italien qui appréciait toujours plus les heures qui y étaient consacrées.

Il s'agissait du seul moment où Delkateï se sentait véritablement proche de ses camarades. Capable de s'ouvrir à eux, de jouer à leur côté sans ressentir la moindre limite. Le foot faisait disparaître les frontières, les différends et tous les malheurs. À moins que ce pouvoir soit celui du sport en général ?

Il évoluait au poste de milieu de terrain, mais son rôle importait peu. L'important résultait en ce qu'il y faisait et la victoire qu'il ne lâchait jamais du regard. Eole manquait à l'équipe ce jour-là et son absence se faisait largement ressentir. Le garçon possédait une vitesse singulière qui devenait rapidement un atout de taille sur la pelouse et qui lui permettait d'exceller dans cette discipline. Ces aptitudes lui avaient d'ailleurs permis d'accéder à la place capitale de capitaine, et il dirigeait l'équipe avec brio. Pour ne rien gâcher, il se révélait un véritable stratège, presque meilleur que Jyn qui en plus de cette capacité restait un joueur de qualité tout en mobilisant le moins d'énergie possible. Chaque mouvement semble étudié pour ne pas fatiguer inutilement le Finlandais.

Delkateï quitta le terrain en même temps que les autres élèves, les muscles douloureux et le corps encore humide de transpiration. Il essuyait sa peau à l'aide d'un tissu, songeant aux progrès fulgurants qu'il avait observés depuis son arrivée à Diolyde. Son jeu s'était affiné et se révélait l'égal des plus grands. L'égal de ces célébrités dont le visage garnissait les premières pages des journaux du monde entier. Il en tirait une fierté immense et une joie tout aussi étendue.

Les conversations allaient bon train et s'éteignirent progressivement tandis qu'ils atteignaient les dortoirs. Andrew et Ludo s'enfermèrent dans leur chambre afin de profiter du temps libre disponible avant le repas du soir. Calysta, et son groupe d'amies particulièrement bruyantes, abandonnèrent les garçons qui s'arrêtèrent devant la porte de leur lieu de vie. Ils étaient alors loin de se douter de ce qui les attendait derrière.

Aaron s'exclama, les rejoignant tardivement alors qu'il avait échangé quelques mots supplémentaires avec une fille qui le couvait littéralement du regard :

—Hé ! Pourquoi vous ne rentrez pas ? Eole n'a pas dû sortir de la journée, le pauvre !

La bonne humeur de l'Australien avait de quoi choquer, voire émouvoir. Il faisait partie de cette catégorie de personnes capable de se convaincre de quelque chose avec, à la clé, un résultat des plus impressionnants. Il n'avait pas oublié ce qu'il s'était passé la nuit dernière, non, mais l'occultait de son esprit. Celui-ci, en accord avec sa pensée, ne se privait pas de lui administrer des rappels réguliers. Il rencontrait toutefois quelques difficultés pour enclencher ce genre de stratagème, confronté à la situation bien trop urgente pour se voir ignorée de la sorte.

—J'espère qu'il va bien, murmura Déméter, se décalant volontiers pour laisser l'accès à Aaron.

—Peut-être devrions-nous ne pas le déranger, articula Jyn, d'un ton pressant.

—Pourquoi ? contra Delkateï, d'une voix rauque. Il a eu sa journée pour récupérer et le repas sera bientôt servi.

Le Finlandais serra la mâchoire, contrarié par cette perspective qui semblait aller à l'encontre de ses plans. Il faillit faire usage de sa magie tant l'enjeu était grand, tant la tension de ces instants était palpable. Il aurait pu laisser libre cours à cette envie arbitraire, dresser un portait devant la porte close et empêcher quiconque d'en franchir le seuil. Cela aurait été si simple !

—L'épreuve qu'il a subie hier soir laissera certainement des traces. C'est inutile d'espérer quoi que ce soit de lui après seulement une journée.

Delkateï leva les yeux au ciel, sa patience mise en déroute par l'effort physique qu'il venait de fournir tandis qu'il n'avait pas la moindre envie d'argumenter outre mesure. Ils pénétrèrent dans la pièce aux lumières chaudes. La première chose qu'ils remarquèrent fut la silhouette d'Eole qui leur tournait le dos. Le Russe était assis sur le bord de son lit dans une pose défensive. Le regard perdu sur ses mains, le visage masqué par ses mèches trop longues, il contemplait l'indicible dans un silence qui exaltait l'imagination. Le démon qui observait tout cela, enfermé dans sa prison de chairs et d'os, mais étrangement satisfait.

—Eole ? s'enquit l'Américain, incertain.

—Ou Kristal ? reprit le nouvel élève qui brûlait les étapes de réflexion avec toute la spontanéité qu'il se connaissait.

Le corps de l'interpellé tressaillit deux fois, comme effrayé par l'entente de son nom ou par l'arrivée soudaine de ses amis.

—Non, ce n'est pas Kristal, rectifia Jyn, rappelant à tous sa présence.

Delkateï pesta contre son ainé et sa capacité à prévoir le futur proche qui ne les aidait à aucun moment. Comme si ce don ne servait qu'à les handicaper davantage, leur insufflant des injures déplacées à la place de précieux conseil. Il ne formula pas ses menaces, jugeant le moment inopportun. Le silence s'étira jusqu'à atteindre l'infini, s'infiltrant dans les cellules des adolescents à l'image du venin de la peur.

—J-Je suis désolé, balbutia Eole sans se retourner, le visage obstinément caché alors qu'il risquait un regard pour l'extérieur, presque entièrement obscurci par les épais rideaux, pour les épais flocons de neige qui tombaient aux portes de Diolyde.

—Pourquoi ? demanda immédiatement Aaron, sans même réfléchir.

Évidemment, aucune réponse ne sonna le glas dans la pièce. Rien qui ne saurait détruire les certitudes des adolescents. Rien qui n'expliquerait ce que le démon avait offert pour tout présent. Rien de ce que le calme plat de la chambre pouvait taire. Rien.

Hypnotisés par le dos de leur camarade, les garçons ne remarquèrent rien de plus. Jyn savait, bien sûr, mais n'ajouta rien de plus. Une fois de plus, il attendait que les événements suivent leur succession comme il l'avait si longtemps fait. Un être tel que lui ne risquait pas de se sentir lassé par cette prévisibilité au point de se montrer parfaitement insensible ? Un individu dans son genre n'était-il pas tenté de modeler le futur à l'image de ses fantaisies ? Qui sait après tout ? Peut-être que le Finlandais les manipulait tous, et ce depuis le début.

—Il est revenu, reprit Eole, d'une voix chevrotante. Il m'a dit qu'il pouvait nous aider et je... je l'ai laissé faire. Je n'ai rien fait pour l'en empêcher.

—Eole, tenta Déméter, les mains placées devant en lui, symbole de ses bonnes intentions. Qu'est-ce qu'il a fait ?

Il avança d'un pas timide, sentant sur lui le regard de ses amis. Le sien fixé sur le Russe, il tenait son objectif, laissant derrière lui ce qui pouvait l'encombrer. Il remarqua alors une goutte de sang sur les draps, puis une seconde. Des perles vermeilles dont les autres n'avaient pas encore relevé l'existence.

Jyn y porta un regard dépourvu d'émotions. Il semblait néanmoins tendu, étrangement silencieux dans une situation qu'il n'aurait pas hésité à commenter dans d'autres circonstances. Sa magie se débattait dans ses entrailles dans un réflexe de défense presque instinctif, comme si la tournure que prenait les événements lui était proprement défavorable.

—Qu'est-ce qu'il s'est passé, Eole ? Il t'a fait du mal ? Tu peux parler, nous ne dirons rien.

Le jeune homme pâle se retourna très lentement, comme si chaque mouvement le faisait souffrir au-delà des mots. L'Américain rencontra son regard baigné de larmes et sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. La lèvre inférieure de son homologue tremblait, à l'image de tout son corps soumis à une intense pression. Incapable de s'exprimer correctement, il se leva de son matelas et effectua quelques pas maladroits jusqu'à la fenêtre. Il convulsait presque lorsqu'il tira tant bien que mal les pans des rideaux pour libérer l'affreux secret dont il était à l'origine.

Il se retourna une nouvelle fois, faisant face au jugement de ses amis pour balbutier ces quelques mots :

—Kristal a écrit ça, ce n'est pas moi. Ce n'est pas moi, je le jure. Je ne suis pas lui. S'il vous plait, j'ai si peur...

Sur la surface plane de la vitre s'étendaient deux lettres sanglantes. Deux lettres inscrites à l'aide du sang d'Eole et tous remarquèrent enfin la main ensanglantée de ce dernier. Aaron écarquilla les yeux devant l'hémoglobine qui formait un mot. Un nom aux couleurs vermeilles, comme si l'image n'était pas suffisamment insoutenable pour le démon. Il avait fallu qu'il rende cela plus terrible encore, salissant Eole, laissant à sa souffrance une dimension plus physique.

—Ce nom... dit l'Australien. Eole ! Pourquoi avoir écrit ce nom ? J'comprends !

Eole frémit, soudain pris de vertiges et de nausées. Il serra son poing poisseux du liquide vermeil, inconscient de la douleur que ce geste raviva. Il inspira profondément, Kristal s'infiltrant à la frontière de son esprit à la manière d'un venin. De ses dernières forces, il repoussa sa présence jusqu'aux barrières de son esprit.

—C'est lui, c'est l'espion ! s'exclama le Russe, désemparé d'avoir à justifier l'indicible. Le traître !

Cela acheva entièrement ses amis qui se firent l'écho d'un désespoir partagé. Les responsabilité côtoyait un danger des plus loquaces. La réalité ne leur offrait aucune forme d'échappatoire et c'était là le plus effrayant de toute cette machination.

La lumière blafarde qui pénétrait dans la pièce laissait bien visible un unique mot pour tout aveu, un nom qui changerait le cours de la guerre qui était la leur :

Jo. 


Vous l'attendiez avec impatience celui-là, non ?

LA révélation, l'identité de l'espion. Surpris ou pas ? Il me semble que la majorité d'entre vous l'avait deviné et je vous en félicite. J'espère, en tout cas n'avoir déçu personne.

J'ai une nette appréhension vis-à-vis de ce chapitre. N'hésitez pas, lecteurs fantômes ou non, à me donner votre avis sur tout ça. Il ne reste que dix chapitres avant la fin de ce premier tome !

A samedi prochain ~


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