Chapitre 5 : Dernière trêve
Les événements avaient pris une tournure nouvelle. Tout s'était accéléré dès le réveil de Delkateï. Il s'était rendu à la salle à manger avec la peur au ventre. Sa mère l'y attendait, assise à la table, le regard perdu dans le vide.
La discussion qui avait suivi fut longue, pour peu de choses finalement. Joy acceptait, du bout des lèvres et avec une mauvaise foi évidente, le départ de son fils pour Diolyde. Laurian avait réussi à convaincre la jeune mère, ce qui ne pouvait qu'impressionner le Napolitain. Il s'agissait d'une petite victoire pour lui, l'incroyable s'immisçant dans son quotidien.
Plus que jamais, il se sentait spectateur de sa propre existence. Malgré le message étrange de son songe, ce sentiment restait bien ancré en lui. Lui laissait-on réellement le choix ? Delkateï se sentait pris entre deux feux, et tout allait trop vite pour lui. Il ne désirait qu'une chose : arrêter le temps qu'il sentait couler entre ses doigts ouverts. Une envie aussi lâche qu'imprévue le frappa au milieu de la matinée : la fuite ! Il voulait fuir ces événements qui le rattrapaient, oublier encore un peu. Le temps de l'innocence, même si le mensonge devait l'accompagner.
L'adolescent sortit, avec l'espoir de mettre un terme à ces sentiments inconnus. Le vent frais s'emmêla dans ses cheveux et s'écrasa contre ses joues. Il marchait à travers les rues aux apparences labyrinthiques de la banlieue de Naples, sans jamais s'y perdre. Tout cela lui rappelait douloureusement son rêve, toutes ces ombres et cette froideur. Régulièrement, il se retournait, presque certain d'avoir entendu des pas derrière lui.
—Merde !
Il se maudissait pour cette faiblesse dont il s'était cru si longtemps dépourvu. Peut-être que la venue de Laurian dans sa vie allait le sauver, le tirer de cette existence sans saveur. Lui donner un but, un objectif, un destin bien réel et se battre pour une cause juste. Rien n'était plus incertain.
Finalement, il arriva à cet endroit bien familier et empli de souvenirs qui symboliseraient toujours sa perte. Il n'eut pas besoin de signaler sa venue, les autres l'avaient déjà sentie. Delkateï portait en lui cette aura, cette force que sa présence seule pouvait qualifier. On le sentait tout proche et pour ses camarades, on le craignait. L'adolescent était le plus jeune d'entre eux pourtant, mais ce qu'il représentait allait au-delà de l'âge. Une maturité de l'esprit, empreinte d'une incompréhensible souffrance. Marquée au fer rouge dans la chair de l'Italien, elle se dévoilait à tous les regards.
Le plus âgé se retourna et rencontra les deux prunelles azur et glaciales. Le mouvement de recul n'échappa aucunement à son cadet qui aurait pu en sourire.
—Del' !
Ils étaient une demi-douzaine et le Napolitain les connaissait tous. Ils représentaient à ses yeux une génération brisée, qui avait perdu la force de se battre il y a bien longtemps. Delkateï craignait d'y voir son propre reflet, ce qu'il était en voie de devenir. Une crainte légitime qu'il avait vu naître, il y a peu de temps.
—Les gars, murmura-t-il, simplement.
D'un même mouvement, ils opinèrent, dans un respect profond. Les canettes s'étalaient identiques à des cadavres et l'odeur qui régnait prenait au corps. Delkateï but une rasade sans même connaître sa nature exacte. Le liquide lui brûlait la gorge et réchauffait son être. Bientôt, tout devint plus clair, moins complexe et les pensées superflues disparurent. C'était mieux ainsi, et bien plus agréable à tous les points de vue !
Ici, dans ces ruelles sombres de la banlieue de Naples, Delkateï Lytaël s'offrait le luxe d'une trêve. D'une ultime distraction.
Il portait un regard nouveau sur ces jeunes adultes que la vie détruisait à petit feu. Ces traits fatigués que l'espoir avait désertés et ces êtres qui s'accrochaient à des chimères. Que pensaient-ils trouver ? L'oubli, sans le moindre doute, comme tant d'autres. Une illusion futile, risible pour tous les grands de ce monde.
Une fumée épaisse s'échappait d'entre les lèvres du Napolitain. Il la regardait disparaître dans l'air et s'infiltrer dans ses poumons. Une mort lente et douloureuse... Était-ce réellement ce qu'il avait souhaité pendant tout ce temps ? Ce poison qui se répandait et dévorait chacun, jouissant de cette lente agonie. Les volutes opaques deviendraient invisibles d'ici un court instant, mais les conséquences demeureraient.
Delkateï aurait pu en rire, simplement parce qu'il en avait trop pleuré. Alors qu'il laissait ce Mal le gagner, il se fit la promesse que cette fois serait la dernière. Bientôt, son histoire prendrait un nouveau tournant, accompagnée de responsabilités et de décisions.
—Il t'voulait quoi l'autre ? s'enquit l'un des jeunes, prit d'un accès soudain de courage.
Un simple regard de la part du Napolitain suffit à lui faire regretter son initiative. L'alcool et toutes les autres substances l'avaient pourtant rendu inconscient du danger. Son cadet était un prédateur, et l'oublier était une erreur immense. Pourtant, Delkateï ne réagit pas à cette provocation. Il songea un instant à ignorer l'interrogation, mais il y renonça finalement.
—Rien.
Et le silence retomba, lourd de menaces. Ici, la situation pouvait dégénérer en un instant. Il suffisait d'un coup d'œil, d'un seul mot, pour que tout bascule. Les instincts sanguinaires et éveillés par l'ivresse... Un symbole inquiétant et pourtant bien connu !
L'adolescent intercepta alors le regard de cette fille. Il la connaissait sans trop la connaître. Son visage lui paraissait familier, mais même son nom lui était inconnu. Jolie à sa manière, elle semblait pleine d'un désespoir partagé et de tristes désillusions. Un amas de chair et de douleurs, de tout ce que l'on pouvait trouver par ici. Ses intentions n'avaient rien de secret et n'échappaient pas à Delkateï. Elle le dévorait du regard, curieuse de cet étrange magnétisme, de cette beauté froide. Hypnotisée par cette souffrance au goût cruel d'interdit.
Le Napolitain s'approcha, sans un sourire et sans émotion, la déchirant de ce regard qui ne laissait personne indifférent. Elle savait sans savoir, elle aussi. Et ne souhaitait rien de plus que ce jeune homme qu'un faux désir éveillait. Il la prit par la main et s'éloigna avec elle, accusant une dernière œillade pour les autres restés là. Ils comprenaient tous et ne disaient rien. Impuissants face à cette réalité qui les touchait, à ce qui les laissait désormais indifférents.
Un secret que ces rues sombres et macabres garderaient pour elle. Celui d'âmes souillées qui cherchaient en vain le repos dans un plaisir amer.
Très, très court chapitre.
Je voulais vous faire goûter au quotidien de mon protagoniste avant son grand départ.
La prochaine partie se nommera : Exil consenti. Je vous laisse imaginer ce qui va s'y passer, adieux et compagnie. J'espère aussi que ça vous a plu (j'attends vos votes et commentaires, positifs comme négatifs, le tout dans la limite du raisonnable).
Kiss sur vous, les poneys !
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