Chapitre 49 : Coeurs rétablis
[La troupe réunie et le crayonné enfin terminé. Qu'en pensez-vous ?]
Les cours s'éternisèrent et Delkateï prêta toute son énergie à tenter de se concentrer sur le contenu des diverses leçons. Celles-ci s'adaptaient aux élèves, mais le retour de l'adolescent le ramenait au même niveau que les plus jeunes écoliers, le qualifiant d'un retard important. Malgré son indéniable bonne volonté et ses nombreux efforts, il ne parvint pas à reporter son attention sur cette banalité. À Diolyde, les professeurs poursuivaient leur programme et si certains se montraient marqués par le décès de leur collègue, cela n'empêchait pas les mécanismes de fonctionner, parfaitement huilés et toujours en état de marche.
L'Italien songea à sa mère, et pas seulement à elle, mais à tout ce qu'il avait laissé derrière lui. L'errance et l'abandon ne lui manquaient guère, mais il se sentait comme entravé en ces lieux où il lui était parfaitement impossible de fuir. Il avait la nostalgie de sa terre natale et de la liberté qui s'y apparentait. La saveur particulière de l'Italie, ses quartiers bruyants, sa température élevée en toute saison et son entrain. La mélancolie de l'odeur inoubliable de son enfance et des contes et légendes qui avaient bercé ses premières années de vie. La présence chaleureuse de Joy lui apparaissait comme une cruelle absence. L'esprit noyé par les beautés absurdes d'un passé qui l'avait longtemps indifféré, Delkateï sombrait doucement.
La sonnerie avait à peine retenti lorsqu'il quitta la pièce. Il ne remarqua pas le regard interrogateur de Calysta ou le sourire étrangement satisfait de Jyn. Il n'en avait que faire.
Dans les couloirs, il croisa Eran, lui accorda une brève œillade avant de poursuivre sa route. Son père ne lui laissa pas l'occasion, le hélant au beau milieu de ses camarades :
—Delkateï ! Delkateï, attends !
Immédiatement, le susnommé s'immobilisa. Tous ses projets se voyant mis en péril par cette seule entrave. Il serra les dents, se rappelant à plusieurs reprises que l'homme qui s'adressait à lui était bel et bien son géniteur et pas un simple professeur. Il ne prit même pas la peine de se retourner, énonçant assez fort pour être entendu et compris :
—Je n'ai pas le temps.
Et il s'éloigna de ce gêneur, instaurant une distance suffisante entre eux. Pas assez visiblement puisque l'adulte le rattrapa en quelques enjambées, ignorant les quelques élèves qui traversaient les couloirs sans leur prêter plus d'attention. Le souffle court, Eran se saisit l'épaule de son fils avec fermeté avant de reprendre :
—C'est important Delkateï.
—Arrêtez avec vos conneries ! J'ai pas le temps pour vous écouter parler sans rien dire ! Vous pouvez le comprendre, ça ?
L'homme accusa le coup et ses yeux bicolores marquèrent une profonde tristesse. Leur relation n'était-elle donc pas destinée à évoluer, à s'améliorer avec le temps ? Chaque tentative de sa part se soldait par un cuisant échec et la pression extérieure rendait ce malheur insupportable. Devant la mine déconfite de son père, Delkateï se radoucit légèrement et avança, non sans animosité :
—Vous avez appelé ma mère.
—Oui, je me devais de la tenir informée de ce qu'il se passe ici, répondit Eran, sans broncher. C'était injuste de la laisser sans vraies nouvelles.
—Pour qu'elle s'inquiète encore plus ? Je ne savais pas ce qui m'attendait en arrivant ici et elle non plus. Elle n'avait pas besoin de le savoir.
—Elle savait certaines choses et elle avait peur, comme moi. Tu refuses que l'on te cache des choses, pourquoi ça derait-il être différent pour Joy ?
L'Italien recula d'un pas, le mur tout proche de son dos. Il se sentait vulnérable au contact de son géniteur. Ils construisaient des souvenirs et certainement pas les bons. Les maladresses s'enchaînaient et le caractère enflammé du plus jeune n'aidait en rien.
—Tu devrais l'appeler, prononça lentement son ainé.
—Vous êtes le deuxième à me le dire, marmonna Delkateï, dont tout cela aurait pu l'amuser si la situation s'y était prêtée.
—Qui était le premier ?
—Jyn.
Un sourire échappa à Eran et les rides de son front instaurées par l'inquiétude perpétuelle de ces murs s'effacèrent. Il passa sa main dans ses cheveux courts avant que son fils ne reprenne, après un bref silence :
—Vous avez raison et j'allais justement l'appeler.
—Ah.
Telle fut la seule réponse tirée à l'adulte. Il opina très lentement, plongé dans ses pensées. Il ajouta, très rapidement et si bien que sa phrase manqua clairement de naturel :
—Tu pourrais essayer de me tutoyer, Delkateï. Je sais que c'est difficile pour toi et que...
—C'est bon, te fatigue pas. Je vais le faire, au moins pour ma mère.
La raison n'était pas exactement celle-ci et le Napolitain ne pouvait ignorer totalement son homologue. Il y retrouvait une part de lui-même, d'une histoire qui, finalement, n'avait jamais cessé de s'écrire. Attiré malgré lui par cette figure paternelle, le garçon peinait encore à le reconnaître. Il observa Eran s'éloigner, un sourire satisfait saillant parfaitement à ses lèvres et à son visage soudain plus lumineux.
S'adossant au mur, l'adolescent soupira. Sa vie ne lui avait jamais semblé aussi complexe. Un engrenage sans fin dans l'issu n'existait que dans ses rêves. Une série d'événements liés les uns aux autres et un destin dont il paraissait être le parfait pantin.
Il sortit de sa poche son téléphone portable, composant le numéro avant de lancer l'appel. Le cœur battant, les sonneries s'enchaînèrent jusqu'à ce que Joy ne décroche d'une voix pleine d'espoirs :
—Allo ? Delkateï ? C'est toi ?
—C'est moi, maman. J'voulais m'excuser pour la dernière fois, c'est... compliqué en ce moment. J'ai un peu de mal à tout gérer en même temps.
Les mots restèrent coincés dans sa gorge. Lui qui n'avait pas pour habitude de se confier répugnait de faire part à sa mère les difficultés rencontrées. La conversation reprenait exactement là où elle s'était achevée la fois dernière. Comme si le temps avait dessiné une parenthèse et qu'il recommençait tout en cet instant précis.
—Je m'inquiète, tu sais... J'ai peur pour toi et de ne pas pouvoir te protéger.
Delkateï serra les dents, devinant sans mal les grands yeux remplis de larmes de sa génitrice. Cela lui était insupportable et les quelques minutes qui suivirent se trouvèrent banalisées par la volonté de l'enfant de rassurer sa mère. Il dédramatisa tous les événements, évoquant l'espion comme un antagoniste secondaire qui s'invitait dans sa vie comme une péripétie supplémentaire. La mort de l'élève et du professeur furent oubliées, à peine sous-entendue par un étudiant qui contait les cours et l'apprentissage dont on l'avait si longtemps privé. Ses lèvres débitèrent des propos sans trop de sens, enjolivant la réalité avec un rare tact.
En parallèle, Joy lui apprit qu'Eran lui envoyait à nouveau de l'argent et qu'elle vivait mieux. La misère la guettait toujours, sans aucun doute, mais le soutien venait de loin et faisait qu'elle se sentait moins seule. À des milliers de kilomètres et après des années de séparation, son mari réapparaissait soudain.
—Maman... reprit l'Italien après une courte pause.
—Oui, mon chéri ?
—Arrête de t'inquiéter, je vais faire attention à moi et je t'appellerai plus souvent.
Il déglutit péniblement, son esprit divaguant entre les soucis familiaux et ceux, à l'apparence plus monstrueuse, de Diolyde. Pourquoi cela lui semblait-il autant lié ? Sans doute parce que cette impression ne pouvait se montrer plus réelle et dévorait sans conteste son quotidien.
—Et je ferai des efforts avec papa, je te le promets.
Joy le remercia à plusieurs reprises, inconsciente de ce qui se tramait de l'autre côté du fil. La chair de sa chair se confiait comme il ne s'était jamais confié dans le simple but de ne souffrir aucun regret. La mort rôdait, inexorable, et les promesses des Dieux ne suffisaient plus à le rassurer. L'étau se refermait et si Delkateï espérait toujours arrêter l'espion, les possibilités lui semblaient bien lointaines. Cette « affaire d'adultes » ne les concernait plus qu'eux et les adultes en question paraissaient bien inefficaces.
Les Divinités du Panthéon ancestral avaient choisi leurs élus et les personnalités gravitant autour d'elles ne faisaient office que de figurations. Les adolescents devaient trouver la solution, livrés à eux-mêmes. La puissance céleste sommeillait entre eux, se manifestant de diverses manières dans ce contexte bien particulier. Delkateï ne se sentait pas comme le noyau de ces êtres d'exceptions, mais comme l'objet de ce que l'on attendait de lui.
Ce n'était pas des adieux, non... Il ne souhaitait pas une telle hypothèse, la rejetant aussi loin de lui que permis. Mais les paroles de Jyn lui revenaient constamment à l'esprit : personne ne savait quand la vie lui serait prise. Il refusait de partir dans le regret et sa mère représentait une source d'amour qu'il ne saurait ignorer. L'adolescent ferma les yeux si fort que des étoiles se superposèrent à ses paupières. Il pouvait entendre la respiration lente de Joy et imagina chaque détail de son visage dépourvu du moindre défaut comme du moindre artifice.
Il inspira profondément, inspiré par l'atmosphère particulière de Diolyde qui le marquait indéniablement. Comme une promesse à l'égard d'un bonheur simple, mais trop souvent ignoré, il souffla :
—Je t'aime maman.
Je passe très, très vite pour vous poster le chapitre à temps !
J'espère que ce chapitre, légèrement sentimental sur les bords, vous aura plu. Je vous dis à la semaine prochaine ~
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