Chapitre 48 : Corps et âme

[Et pour finir avec les petits bouts de crayonné : la frimousse de Déméter !]


Fidèle à ses dires, Kristal n'avait pas prononcé un mot de plus et les adolescents avaient fini par quitter la pièce, regagnant leur chambre dans un silence insoutenable. Personne n'étant d'humeur à converser, abasourdis par les événements récents, ils tombèrent dans un sommeil agité pour les quelques minuscules heures de repos encore à leur disposition.

Le lendemain, tout sembla rentrer dans l'ordre. Eole s'éveilla en même temps que ses camarades, à peine plus distant que les jours précédents, peut-être plus froid avec sa mine torturée. Quelques minutes lui furent nécessaires pour retrouver ses esprits et chasser l'affreuse migraine qui le clouait au matelas. Il ignora les regards mi-inquiets mi-soulagés de ses amis tandis qu'il reprenait lentement le contrôle de son corps. Ils semblaient chercher la confirmation que l'être du garçon aux traits androgynes obéissait bien à leur camarade, et non au démon qui les avait tant tourmentés la vielle. Pour lui, les souvenirs demeuraient clairs, limpides même et le sentiment de panique qui l'envahit en résulta. Une émotion qu'il tut de son mieux, tout comme l'épaisse satisfaction de Kristal, rétabli à sa juste place, mais pour le moins présent.

—Tu veux te reposer aujourd'hui ? On expliquera aux profs, ils comprendront, dit Déméter, angoissé par l'état de santé du Russe.

—N-Non, les profs ne doivent pas être au courant, protesta ce dernier, sans parvenir à se lever. Dites-leur ce que vous voulez, que je ne me sens pas bien ce matin. Que je suis malade !

Les tremblements de ses membres le privaient de tout mouvement. Son regard navigua entre Jyn, éternellement impassible, Aaron qui tenait son sac dans sa main crispée, les orbes inquiets de l'Américain et celui, troublé, de Delkateï. Celui-ci répliqua, pas trop rudement :

—Faudrait au moins mettre les autres au courant.

—Kourrage aussi ! renchérit l'Australien, immédiatement. Il pourrait t'aider, lui.

Eole pâlit brutalement, la couleur de son épiderme équivalant celle d'un cadavre, d'une blancheur de marbre. L'Italien ne nourrissait le même mépris à son égard et un brin de pitié s'éminçait déjà, furtivement.

—D'accord pour Calysta, Andrew et Ludo, mais ne dites rien à Kourrage pour le moment... abdiqua à contrecœur le garçon.

Un soupir ébranla sa silhouette devenue presque chétive. Les autres échangèrent un regard entendu alors que Jyn ne lâchait pas le Russe du regard, le dévisageant longuement et avec un étrange intérêt. Déméter prit la parole au nom de tous, souriant presque tristement :

—On dira aux profs que tu ne te sens pas bien et on prendra tes cours.

Un par un, ils quittèrent la pièce, laissant à Eole le loisir de calmer la peur qui l'investissait et de réfléchir aux actes de la nuit passée, à leurs conséquences. Il s'allongea dans le lit, les yeux grands ouverts et l'esprit agité. Sur son corps mis à rude épreuve, des centaines d'émotions enlacées remuaient sans distinction et Kristal s'éveillait lentement, comme un sourire pervers fleurissant au milieu du néant. Il sentait la présence de l'être se faire de plus en plus importante, s'immisçant dans ses pensées comme dans chaque cellule de son organisme. La créature semblait le supplier, l'inviter à suivre ses ordres et à de se donner pour toute offrande.

Allez, arrête de lutter inutilement et laisse-moi faire. Ne vois-tu donc pas que c'est vain de me résister ? Tu ne fais que t'imposer le mal qui te ronge.

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Les adolescents rejoignirent le réfectoire, attirés par l'odeur alléchante qui s'en émanait. Aaron et Déméter y avaient déjà succombé, rejoignant l'effervescence de cette pièce emplie de vie et de tout ce que Diolyde pouvait offrir de meilleur. Une ambiance chaleureuse si on parvenait à oublier la menace qui planait encore. Mais l'humain était pourvu de cette capacité hors norme à omettre tout ce qui l'incombait, se coupant de tout danger comme de toute responsabilité.

Jyn arrêta cependant Delkateï dans sa course, d'une autorité sans précédent. Ses orbes turquoise heurtèrent les prunelles d'un bleu profond de son cadet. Une confrontation muette comme le Napolitain en avait connu tant avant que le plus âgé ne se décide à prendre la parole :

—Tu devrais rappeler ta mère.

Immédiatement, l'Italien se figea, tendu comme un arc. Joy restait un sujet sensible, quoi qu'il en dise. Le Finlandais avait cette manière bien à lui de communiquer avec autrui, piétinant les secrets comme les mensonges.

—Et toi tu ferais bien de parler mieux à ton frère, rétorqua l'autre du tac au tac. Ça ferait de mal à personne.

—Mon frère n'a rien à voir là-dedans et la manière dont je le traite ne regarde que lui et moi.

Delkateï serra les dents fortement, retenant les répliques cinglantes qui se formaient déjà au creux de ses lèvres. Cela ne mènerait à rien, n'est-ce pas ? Il n'existait rien de plus vain que tout ceci. Déverser sa rage ne l'aiderait pas, mais le défoulerait seulement, le soulagement l'espace de quelques instants d'une insupportable tension. Il réfléchit donc, les connexions s'alliant difficilement dans son esprit abruti par le manque de sommeil.

—Tu sais ce qu'il va se passer... Comme Andrew sait qui est quoi ? C'est utile comme pouvoir, mais ça n'a sauvé personne jusqu'à maintenant. Et tu ne sais pas non plus qui est l'espion, énonça-t-il, aussi désorganisé que spontané. Tu parles d'un don !

—Et si je te dis qu'il n'y avait peut-être aucun moyen de leur laisser la vie ? L'espion échappe à mon pouvoir, je suis incapable de voir ce qui le touche de près ou de loin.

— Si c'est comme ça, on n'est pas dans la merde !

Les deux se turent, fièrement, incapable d'admettre leurs torts comme leurs faiblesses. L'absurdité de la situation ne les atteignait pas alors que les échos de conversations leurs parvenaient par simples bribes. Peut-être ne pas voir ce qui concernait l'espion arrangeait les plans inexplicables de Jyn, ou peut-être encore est-ce la vérité ? L'estomac mis à rude épreuve, Delkateï s'enquit finalement :

—Pourquoi tu veux que je l'appelle ? En quoi ça te concerne exactement ?

Jyn le toisa sans laisser échapper la moindre émotion de sa main mise exceptionnelle. Il songea à cette interrogation une seconde à peine. Une seconde qui lui fut suffisante pour en déduire la réponse la plus juste parmi celles qui lui étaient proposées.

—Il est plus sage de ne pas remettre à plus tard ce que le temps à ta disposition te permet d'accomplir maintenant.

Dubitatif, l'Italien voyait clair en cette diversion tout en prêtant à réflexion les paroles de son ainé qui ne lui semblèrent pas dépourvues de sens. Il ne parvenait pas à cerner les motivations de son ainé, mais ne pouvait douter de celles-ci. Il ne pouvait se résigner à les estimer mauvaises. Un engouement étrange ravivé par les mots judicieusement choisis de son homologue :

—Appelle-la maintenant, tu n'auras peut-être bien pas l'occasion de le faire plus tard.

—C'est une menace ?

—Non.

Le caractère enflammé de Delkateï n'apprécia guère le comportement adverse. Heureusement, le Finlandais parvint à se rattraper avec habilité avant de tourner les talons :

—Non, rien qu'un conseil.

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Eole était toujours allongé au milieu des draps et, en apparence, entièrement seul dans la chambre. La réalité se révélait tout autre et l'adolescent ne put y échapper plus longtemps.

Il luttait et luttait encore contre l'emprise de son démon qui semblait envahir chaque part de son être. Un vil poison, un venin perfide qui le dévorait sans rien laisser intact, sans rien prendre en pitié. Durant de paisibles années, les deux êtres avaient cohabité, mais ce ne pouvait plus être le cas. L'un devait avoir le dessus, soumettre l'autre à son pouvoir et à sa volonté.

Laisse-moi-le faire Eole.

—Non, non. Arrête...

Kristal se montrait pourtant moins pressant, moins insultant qu'à bien des reprises. L'élève se souvenait avec certitude des injures, des menaces et des humiliations. Un quotidien bien sombre qui avait donné naissance à un malaise profond. L'enfant de l'époque avait appris à se sentir étranger à son propre corps. Une ironie au goût amer qui avait forgé l'adolescent de ce jour, glacial et lunatique.

Ne lutte pas, tu ne peux pas me résister éternellement. Tu le sais bien.

—Je t'en prie !

Les mains pressées contre ses oreilles, Eole tentait de faire taire cette voix dans sa tête, ancrée dans son esprit. Il succombait lentement, abandonnant ce vain combat. Le nom d'Eléonore lui revint, inlassablement, et son visage angélique s'imposa à lui. Sa délicieuse fragilité et la tendresse de chacun de ses gestes.

Je peux la sauver, tu sais. Je peux l'empêcher de souffrir, toi tu ne le peux pas.

Le Russe s'étrangla, le corps parcouru de spasmes incontrôlables. La douleur de sa lutte était si forte qu'il priait les Dieux de mettre fin à cette agonie.

Laisse-moi tous les sauver !

Cette fois, Eole ne trouva plus la force. Il abandonna purement et simplement. Kristal le réduit instantanément à la place de simple spectateur et le garçon sentit son corps effectué des mouvements étrangers. Quelques pas sans que la moindre sensation ne s'invite dans l'organisme qui ne lui appartenait plus.

Kristal effaça toute émotion, son hôte ne ressentant qu'une vive douleur dans son index sans parvenir à en identifier la raison. Privé de la vue, il ne put distinguer ce que le démon faisait de son corps, n'en ressentait que les déboires physiques. Une douleur terrible et cruelle. Alors, le nom de l'espion s'inscrit sur la surface lisse et glacée de la fenêtre. Aveu abominable aux couleurs de sang !


Le ton monte progressivement !

Moment révélation : dans deux chapitres à peine, vous connaîtrez l'identité de l'espion ! Le cinquantième chapitre vous le révélera :3

Dans la prochaine partie, "Coeurs rétablis", Del communiquera, d'une manière ou d'une autre, à ses deux parents :)

A samedi prochain ~

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