Chapitre 46 : L'être venu d'ailleurs

[Toujours le même dessin, le visage d'Eole cette fois. J'ai adoré donner les expressions aux personnages :3]


Delkateï sentit clairement un frisson parcourir son échine ainsi qu'une goutte de sueur glacée qui descendit le long de sa colonne vertébrale. À ses côtés, Déméter recula d'un pas, le visage exprimant librement l'horreur ressentie. Jyn, quant à lui, demeura parfaitement impassible, comme si ces événements ne l'étonnaient guère. Presque comme s'il en tirait une grande satisfaction.

Le vortex sembla moins impressionnant et son attraction moins insupportable. La noirceur des lieux restait suffocante, mais bien moins que lors du dernier passage de l'Italien. Celui-ci se demanda si la nuit affectait la magie qui imprégnait la pièce ou si la présence de cette étrange créature permettait de contrôler le maléfice et l'empêcher de s'étendre davantage. Une question à laquelle personne ne saurait répondre en toute honnêteté.

—Jyn, Déméter et... Delkateï, un véritable honneur, prononça Eole, d'une voix bien plus basse qu'à l'ordinaire.

Personne n'accorda une affirmation identique à celle-ci, pas même le Finlandais qui conserva égoïstement son mutisme. La porte se ferma sans que quiconque n'exécute le moindre mouvement, arrachant un sursaut à l'Américain. Il n'avait jamais mis les pieds dans cette salle depuis la mort de Céleste et l'atmosphère qui s'en dégageait le pétrifiait de terreur.

—Ce n'est pas Eole qui vous intéresse, n'est-ce pas ? Ce n'est pas l'inquiétude qui vous a mené ici au beau milieu de la nuit ? Comme c'est décevant ! Il serait très attristé de l'apprendre, vous savez ?

La créature avança d'un pas sans descendre de l'estrade. Elle semblait s'amuser de la terreur qu'elle parvenait à aspirer chez les adolescents.

—Ce pauvre Eole, qu'en penserait-il au juste ? J'imagine qu'il serait déçu, blessé, mais il ne dirait rien. Se taire, c'est ce qu'il sait faire de mieux.

Un rire guttural retentit, attisant le dégout des autres qui s'octroyaient une pensée timide pour leur camarade. Existait-il encore au sein de son enveloppe charnelle habitée par une entité aux intentions obscures ? Delkateï prit la parole, directement sur la défensive :

—Vous êtes quoi exactement ?

—Il ne vous l'a donc pas dit ?

Eole arbora une moue dubitative avant de désigner Jyn d'un mouvement de la main. Maîtrisant parfaitement l'effet produit, il lança avec grandiloquence :

—Il le sait pourtant. Il sait tout ce qu'il y a à savoir même ce que vous vous donnez tant de mal à cacher. Jyn sait qui je suis et qui vous êtes. Il connait la moindre de vos failles et chacun de vos secrets les mieux gardés.

Aucun muscle du concerné ne tressaillit, comme insensible aux paroles prononcées à son égard. Les regards convergèrent sur sa silhouette et il passa simplement sa main dans ses cheveux violets rendus presque noirs par l'obscurité ambiante. Comment un être possédant de telles informations pourrait-il demeurer neutre ? Ne pas subir la pression que le Mal représentait entre ces murs ?

—Je suis le secret d'Eole, ce qu'il a cherché à cacher à sa famille et ce qu'il cache encore ici, à Diolyde. Un secret, une tare, une honte, un fardeau, appelez ça comme vous voudrez. Quelque chose qu'il ne peut dévoiler, mais à laquelle il lui est impossible d'échapper. Presque comme le destin !

—Ça nous dit pas ce que vous êtes, martela encore Delkateï.

L'être s'avança vers les élèves jusqu'aux tables où il passa le doigt sur la surface plane. Une aura semblait s'échapper par chacun de ses pores. Une froideur insupportable doublée d'une noirceur peu commune.

—C'est un démon, avoua encore Jyn, avec plus de fermeté et les yeux fixés sur l'enveloppe vide qui se tenait face à lui.

—Bien dit, l'ami ! Eole pensait naïvement me contrôler, m'enfouir au fond de lui jusqu'à ce que je disparaisse. Diolyde aurait dû réussir cet exploit, mais l'école m'a permis de m'éveiller véritablement, de me nourrir des défenses d'Eole et du Mal qui grandit entre ces murs. Vous ne trouvez pas ça ironique, vous ?

—Qu'est-ce qui lui est arrivé à Eole ? s'enquit Déméter, dont l'inquiétude ne cessait de grandir. Il n'est pas...

—Mort ? Non. Je ne peux pas vivre sans lui et il semblerait que l'inverse soit tout aussi vrai, quoi qu'il en dise. C'est bien dommage en y pensant, il ne peut pas se débarasser de moi et je ne peux le faire disparaître complètement de ce corps.

L'angoisse des jeunes hommes ne se tarit pas pour autant, elle enfla encore jusqu'à atteindre l'impossible. Les questions emplissaient le silence sans jamais le briser, légitimant bravement leur droit à l'existence. L'atmosphère influençait chacun d'entre eux, pesant sur leurs épaules comme une épée de Damoclès. Personne ne pouvait savoir par avance de quoi était capable ce démon.

Ce dernier expliqua alors l'origine de sa venue d'une voix lourde de sens. Créature des abimes, elle était parvenue à s'échapper et avait réussi à trouver refuge à la surface. Il se rattacha à une âme à l'aube de sa vie, une âme suffisamment forte pour l'accueillir sans être annihilée dans les premiers instants. Eole permit cet exploit, mais devint rapidement sa prison. Ce choix n'avait rien d'arbitraire et le garçon de l'époque formait l'enveloppe idéale, comme une évidence aux yeux d'une entité nommée Kristal. Elle possédait un pouvoir de destruction pouvant faire basculer la guerre du Bien et du Mal. Une source d'énergie presque illimitée contenue dans l'être fragile d'un adolescent.

Cet étonnant monologue laissa muette la petite assemblée face à Eole. Quelques interrogations s'envolèrent de sitôt alors que d'autres naissaient, inexorablement.

—La question qui nous importe réellement est : pour qui es-tu prêt à te battre ? demanda Jyn, détachant chaque syllabe avec méticulosité

—Et si je ne compte pas me battre ?

Un rire retentit et résonna dans toute la pièce, hérissant la chair de poule sur l'épiderme dénudé de Déméter. Delkateï, situé un pas devant lui, accrocha un court instant son regard et ils échangèrent, en silence, l'étendu de leur terreur respective.

—Les Dieux se querellent depuis des millénaires sans que personne ne prenne le dessus. Kyraël a eu la paix pendant ces plusieurs millénaires après la création de la Terre et l'enfermement de son père. Aïrès est décidé à se venger et à faire régner le Mal. Diolyde et la Sixième Zone ne sont que l'image des Dieux qui sont incapables de se battre à votre place. Je refuse d'être un pion de plus au service de leur merveilleuse entreprise. Navré, mais ça sera sans moi !

Ces dernières paroles laissèrent muets tous les adolescents, même Jyn qui ne semblait pourtant pas étonné. Kristal s'affranchissait des deux camps, n'ayant que faire des stupides différends du Bien et du Mal. Un électron libre là où tous les esprits se devaient de croire en ses convictions. Une entité qui se dressait face aux adolescents avec une crédibilité stupéfiante, laissant naître le doute dans l'âme troublée de Delkateï.

Pour lui, le choix ne s'était jamais posé et cela aurait dû alerter son attention. Il se retrouvait prisonnier d'un combat qui le dépassait entièrement. L'Italien repoussa cette idée, la glissant dans un coin de son esprit dont il ne tarderait pas à oublier l'existence.

—Et pourquoi vous vous êtes réveillé alors ? Pour prendre l'air ? réagit-il, plus perfidement qu'il ne l'avait prévu.

—Presque ! Vous êtes les élus des Dieux, je voulais faire votre connaissance. Je me doutais que Jyn vous guiderait sur mes pas, c'était si prévisible !

Le concerné tiqua légèrement, appréciant que très peu la provocation du démon tout comme la remise en question de ses capacités. Son égo surdimensionné se voyait écorché et il haïssait cela. Qu'un être d'exception tel que lui puisse être dupé, manipulé, lui échappait entièrement.

—Mais je vous pensais plus nombreux, je suis un peu déçu.

—Les autres dorment, avança sagement Déméter.

Eole, ou plutôt la créature qui dirigeait désormais son corps, opina exagérément comme si cette seule perspective lui paraissait totalement impensable. Il lorgna les visages décomposés de sa petite assemblée avant d'exclamer, fortement :

—Ne faites pas cette tête ! Je vous rends Eole dès demain, vous avez ma parole. Je ne resterai qu'un mauvais souvenir dans votre petite vie idyllique.

Delkateï grinça des dents à l'entente d'un tel qualificatif associé à son existence qui lui paraissait, à lui, des plus sombres et des plus complexes. Tous les dangers associés suffisaient à lui donner raison, tout comme l'absence et l'inquiétude de sa mère qui le torturait. Il ne l'avait pas encore contacté, fuyant cet instant avec lâcheté.

—Et vous disparaîtrez de sorte que l'on n'entende plus jamais parler de vous ? ajouta Jyn, qui se révélait particulièrement rancunier.

—Il se pourrait que je m'attache à cet endroit et à cette condition... badina Kristal, un sourire entendu au bord des lèvres.

Le silence retomba lourdement sans jamais poser problème au démon qui fit apparaître un faisceau de lumière au creux de sa main. La magie opéra alors qu'un violet pâle s'élevait dans les airs, comblant la noirceur maléfique qui disparut momentanément. Déméter comme Delkateï pensèrent à Jyn, lui aussi capable de telles prouesses sans que ni l'un ni l'autre n'en connaisse la source. L'autre reprit la parole, non sans relâcher son attention de son geste délicat du poignet qui donnait vie aux arabesques colorées :

—Je pourrais vous détruire, vous savez ! Tous à l'exception d'Eole qui a de la chance après tout, je ne peux pas l'atteindre réellement. Je peux le blesser, le contraindre, mais il doit absolument rester en vie. Je pourrais aussi me ranger aux côtés de l'espion si ça me chantait. Je pourrais même vous dire qui parmi vous est un Instinct. Ce serait amusant, non ?

Le regard de Kristal effleura celui du Napolitain dont les poings serrés ne laissaient aucun doute sur son état. La colère le rongeait littéralement alors qu'il brisait le contact visuel établi.

—Tu peux éclairer nos lanternes sur ce que tu comptes réellement faire ? demanda encore Delkateï, durement.

—Pour être entièrement sincère, je n'y ai pas encore réfléchi. C'est une question intéressante, je ne peux pas juste négliger son importance.

—Tu avais pourtant tout le temps pour y songer, railla le Finlandais.

—C'est vrai, mais maintenant que je suis devant vous, je n'ai plus l'inspiration nécessaire. Trop d'opportunités s'offrent à moi et j'ai la capacité de satisfaire chacune d'elle.

Le visage d'Eole arbora une moue à mi-chemin entre la dérision et la réflexion. Devant lui, des étincelles violettes provoquaient des éclats colorés comme de minuscules feux d'artifice. Superbes, mais dangereux, les faisceaux semblaient hypnotiser Déméter qui ne songea même pas à intervenir. L'être rassembla ses mains face à lui et forma une boule d'énergie bien plus impressionnante. Les crépitements menaçants emplirent le calme avant que leur auteur ne dise encore :

—Vous tuer fait partie de ces idées, mais je vais m'abstenir, ce serait trop handicapant pour la suite. Vous avez tous un brillant destin à accomplir et l'aventure ne fait que commencer alors pourquoi y mettre un terme ? Le divertissement ne serait que passager et les Dieux ne tarderaient pas à me tomber dessus.

—Par Kyraël, merci, murmura l'Américain, bien plus pour lui que pour ses homologues.

Kristal sourit plus largement, couvant l'adolescent d'un regard compatissant.

—Laisse ce bon vieux Kyraël où il est, il se mêlera de vos affaires bien trop vite, des tiennes en particulier. Déjà que vous faites le sale travail à la place de ces satanés Dieux !

Il avança de plusieurs pas, à présent tout proche des élèves qui prenaient conscience de cette douloureuse proximité. La sphère suspendue entre ses doigts atteignait la taille d'un gros pamplemousse alors que Jyn apposait, calmement :

—Vous vous trompez, il s'agit de notre choix.

—Pas pour tout le monde d'après ce que j'ai pu entendre, contra l'autre, le regard dirigé vers Delkateï par pur réflexe.

Ce dernier se plongea dans un mutisme buté, ultime défense contre cette créature aussi puissante qu'arrogante. Celle-ci n'apprêtait à poursuivre sur sa lancée, bien déterminée à retenir les garçons aussi longtemps qu'il lui en serait permis quand la porte s'ouvrit dans un fracas. La silhouette d'Aaron apparut dans l'embrasure, accompagnée de celle, chétive, d'Eléonore qui s'écria :

—Eole ?!



Un long chapitre, j'en conviens, mais j'ai vraiment adoré l'écrire.

J'avais également hâte que le personnage de Kristal fasse son apparition (il justifie le comportement parfois très étrange d'Eole). Que pensez-vous de ce démon ? Est-ce un atout pour Del et les autres ou alors une menace supplémentaire ?

Le prochain chapitre se nomme "Le cœur du maléfice" et est  plus court que celui-ci. J'espère qu'il vous plaira !

Des bisous ~

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