Chapitre 45 : Escapade secrète

[Une nouvelle petite partie du dessin avec le visage de Jyn qui, tout seul comme ça, est très effrayant x3]


La nuit était déjà bien avancée et la plupart des élèves dormaient à poings fermés. Le silence régnait sans que rien ne semblât destiné à le briser avant les premières lueurs mutines et claires de l'aurore. Pas de grillons, pas de légers ronflements. Rien. Un calme presque irréel englobait toute l'école. Sa localisation au coeur des glaces éternelles du nord de l'Arctique.

Delkateï ne se reposait que d'une oreille, l'esprit assailli par bien trop de préoccupations pour s'octroyer un sommeil parfaitement réparateur. Quelques jours venaient de s'écouler sans que le temps ne daigne s'arrêter pour lui. Il profitait seulement de ces quelques paisibles heures, caressant un repos qui ne lui appartenait jamais vraiment.

Il ne vit pas l'ombre grandir dans le lit voisin et quitter la chambre dans un soupir. Eole passa le pas de la porte avec sa souplesse habituelle, les yeux grands ouverts et étrangement fixes dans leur orbite. Sa peau cadavérique luisait presque au clair de lune au moment où sa silhouette fantomatique disparut.

Un sec froissement de drap tira l'Italien de sa demi-conscience et il sursauta bruyamment. Jyn venait de se lever à son tour, sa démarche souple laissant penser qu'il se s'éveillait pas de juste, et son mouvement le mena directement chez son homologue, encore groggy.

—Qu'est-ce qu'il s'passe ? s'enquit-il, d'une voix pâteuse et presque indiscernable.

—Le monstre vient de sortir de sa cage.

Le cœur de Delkateï manqua un battement. L'incompréhension se lut très clairement dans son regard, mais le Finlandais ne daigna pas apporter plus d'explications. Il réveilla les autres de la même manière, avec un sourire ombrant son visage sans que son sombre rictus ne se risque à recouvrir ses traits à la fois graves et appréciateurs.

—Jyn, qu'est-ce que tu fous ? demanda encore Aaron, dans un grognement. C'est pas encore l'heure de se lever, laisse-nous.

À cela, l'interpellé énonça une réponse strictement, attirant un frisson à l'Australien. Déméter semblait tout aussi perdu que ses amis, il s'écria, alors qu'ils quittaient tous la chambre :

—Eole ? Où est Eole ?

—Eole ? Je ne sais pas. Son corps, en revanche, vient juste de sortir. Le monstre s'est éveillé et je ne suis certain que nous puissions l'arrêter. Cela ne coûte rien d'essayer de commettre le pire.

Abasourdi, Delkateï emboita le pas aux autres dans un silence éloquent. Il peinait à raisonner de manière cohérente, l'esprit embrumé par le sommeil, par la situation totalement inédite.

—Tu veux pas nous expliquer, Jyn ? Qu'est-ce qu'on fout exactement ?

—Eole porte en lui un démon, c'est tout ce que je sais et il semblerait qu'il se soit éveillé. La présence du Mal entre les murs est certainement la cause de sa venue prématurée, à moins que tu en sois responsable, Delkateï. Ce vulgaire résumé vous convient-il ?

Il se glaça, les poings serrés. Les portes des dortoirs laissèrent place aux innombrables couloirs de Diolyde. De nuit, l'école leur sembla bien moins accueillante et l'ambiance qui y régnait leur apparut comme effrayante. Ce constat ne fut pas à la hauteur pour contrecarrer la volonté de Jyn, attiré par cette perspective qu'il estimait réjouissante. L'obscur présage qui gagnait les entrailles de l'établissement lui paraissait délectable, la promesse de quelques intrigues savoureuses.

—Mec, on est censé faire quoi ? L'espion nous file entre les doigts alors un démon, sérieusement ? On a aucun chance, faut se faire à l'idée !

—Del n'a pas tort, en convint Aaron. On ferait mieux d'aller chercher Kourrage et finir notre nuit, c'est plus une heure pour jouer les héros ! Personne ne va nous applaudir si ça tourne mal par notre faute !

—À votre avis, si d'aventure vous êtes encore capable de le formuler, pourquoi le démon a quitté la chambre ?

Le silence accompagna l'espace de quelques instants l'escapade des adolescents jusqu'à ce que Déméter ne hasarde, d'une voix peu sûre :

—Il veut peut-être rejoindre la salle où Céleste est morte.

—On s'en fout d'où il veut aller, c'est pas nos affaires ! On joue avec le feu, là et c'est pas à nous de nous en occuper. C'est aux adultes de s'en charger et Kourrage saura quoi faire, s'enflamma Aaron, s'exprimant aussi fort que le contexte le lui permettait, la fatigue éveillant une colère forte, presque égale à celle de son camarade italien..

Ce dernier ne put s'empêcher de soutenir mentalement le garçon. Ils risquaient leurs peaux inutilement alors que la présence de l'espion compliquait déjà leurs existences. Il n'avait rien d'un suicidaire et la perspective de se mettre en danger sans raison particulière ne l'enchantait guère.

L'esprit de Jyn était déjà parvenu à ce raisonnement. Le démon pourrait même se nourrir de la noirceur de la salle pour accomplir n'importe laquelle de ses sombres volontés. Cette seule idée poussa le Finlandais à accélérer la cadence, pas en réponse à l'urgence de la situation, mais bien par impatience secrètement dévoilée.

—Tu peux aller le chercher, mais je doute qu'il nous soit d'une grande aide.

—Ça t'en sais rien du tout, scanda l'Australien.

—Si l'envie de te rendre utile t'est aussi importante, chercher Eléonore serait un choix plus judicieux.

L'autre fronça les sourcils, passant accessoirement sa main dans ses cheveux d'un rouge vif. Son incompréhension n'était pas solitaire, mais partagée avec ses amis.

—Eléonore ?

—Ne joue pas aux idiots, mon frère est suffisamment efficace dans ce rôle pour que tu puisses t'abstenir J'ai bien dit Eléonore, tu réfléchiras à la raison, d'ailleurs évidente, une fois que tu auras réuni les quelques neurones qui te manquent !

Aaron gonfla les joues, mais le nouvel élève le dissuada de répondre à cette provocation. Il tourna les talons, fulminant dans sa barbe des injures à l'égard du Finlandais.

Un sourire incompréhensible naquit sur les lèvres de Jyn qui ne ralentit pourtant pas la cadence de sa marche. Déméter comme l'Italien avaient conscience des étranges pouvoirs de leur ainé et cela suffisait à lui confier une partie de leur confiance. Comment pouvait-il savoir tout cela ? L'idée qu'il puisse être à la l'origine de tout cela ne les effleura même pas.

Chaque pas les condamnait et l'esprit pervers de Delkateï lui imposait des images terribles. Celle d'Eole au visage déformé par une grimace immonde et au corps couvert de sang. Celle de son enveloppe charnelle déchirée et réduite à néant. Il murmura, rien que pour lui :

—Un démon...

Comment une telle entité pouvait-elle exister ? Et si cette chose vivait, la terre pouvait alors disposer de créature encore plus terrifiante. Quelles étaient les limites de l'incroyable ? Et celles de l'imagination, existaient-elles seulement ?

Ils s'arrêtèrent devant la porte close et l'Italien ne put s'empêcher de songer à Jo, aux soupçons qu'il nourrissait en silence. Cet endroit l'effrayait et il pensa à Eléonore qui devait les rejoindre. Les prévisions de Jyn n'avaient rien d'hasardeuses et recelaient même d'une très grande précision. Trop grande précision pour être innocente, mais s'en rendait-il seulement compte ?

Bien trop vite, ils s'arrêtèrent face à la porte close. Le cœur battant douloureusement dans sa cage thoracique, Delkateï échangea une vive œillade avec Déméter. La peur nouait leurs entrailles dans un calme assourdissant. Chacun entretenait cette envie, ce besoin, de se détourner de ce lieu, de rejoindre sa chambre sans autre type de procès. La noirceur qui s'échappait de la porte pourtant close le poussait à choisir cette option insensée.

—On fait quoi ? Je veux dire, à part foncer dans le tas en espérant s'en sortir ?

Le Finlandais coinça derrière son oreille une mèche folle sans pour autant chercher à offrir une réponse convenable à son vis-à-vis.

—Jyn ! On fait quoi une fois à l'intérieur ?

—On fait face.

—Concrètement, on fait quoi ? insista Delkateï, aussi bas qu'un murmure.

—Le monstre doit absolument se calmer. C'est notre objectif, mais il ne faut pas espérer s'y tenir.

L'Italien sentit la colère monter en lui, échaudant ses sens et balayant toute notion de self-control. Il empoigna l'épaule décharnée de son ainé avant de souffler, menaçant :

—Hors de question que je rentre là-dedans comme ça. T'as l'air d'être plus au courant que nous alors fais un p'tit effort !

Jyn ne masqua rien de son agacement. Il humecta lentement ses lèvres, sa langue jouant inconsciemment avec le piercing doré. Ses prunelles turquoise accrochèrent celles de son cadet au moment où il énonçait, comme s'il s'adressait à un enfant particulièrement idiot :

—Je sais ce que je fais, d'accord. Certaines choses ne sont pas faites pour être expliquées à voix haute.

—Et je dois te croire sur parole, là ?

—Je sais ce qu'il va se passer.

Delkateï se tut et médita ces quelques mots. Il n'avait pas le temps d'interroger son camarade et pourtant, les questions déferlaient déjà. Ses cheveux blancs masquaient une partie de son visage et cela lui convenait bien. Il recula d'un pas, laissant l'accès libre à la salle.

—J'ai peur, finit par lâcher Déméter, alors que le plus âgé s'apprêtait à poser la main sur la poignée.

—La peur n'a jamais sauvé personne, sache-le.

Et, sur ces mots, Jyn ouvrit la porte d'un geste souple, parfaitement serein et jubilant en silence sous la tournure que prenait la situation. L'Italien se raidit alors que l'autre s'immobilisait totalement, glacé par ce qu'il ne saurait contrôler. L'entièreté de la pièce s'offrit aux regards des adolescents. Tout au fond, là où le tableau noir se fondait dans l'ombre, une silhouette se tenait bien droite.

Au sein de l'obscurité se découpait le corps fin de leur ami. Le démon se retourna avec une lenteur insupportable. Ils croisèrent alors et avec horreur les orbes améthyste qui brillaient tels deux joyaux au milieu du visage crayeux d'Eole. 


Un chapitre important pour la suite de l'intrigue !

Des révélations plutôt conséquentes vis-à-vis d'Eole. Il fait parti de mes personnages préférés et j'espère que ce chapitre et les suivants vont vous permettre de mieux le connaître, le comprendre :3

Le prochain chapitre se nomme "L'être venu d'ailleurs" et présente le démon dont Jyn parle, sous les traits de notre petit Eole :3

J'vous embrasse les p'tits choux !

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