Chapitre 42 : Silences et regards
Delkateï comprit la motivation qui poussait la jeune femme à risquer sa vie. Il n'existait rien de plus séduisant que le Mal et elle en avait fait les frais, simple pantin au service de sombres desseins.
— Tu ne dois pas y retourner, c'est dangereux. Y'a un truc louche qui traine derrière tout ce bordel, alors ne t'approche plus de cette salle !
Un sanglot s'échappa de la gorge de l'adolescente et elle plongea son visage défait dans ses genoux, masquant son horreur et le recul timide qu'elle arborait sur sa situation. Ses larmes ne maculèrent pas ses joues moins rebondies qu'il y a quelques semaines, elles avaient déjà bien trop coulé pour cela. Delkateï l'observait du coin de l'œil, déterminé à obtenir les réponses qui le tourmentaient.
—Je ferai n'importe quoi pour arrêter celui qui a fait ça, celui qui l'a tuée. Ça peut être n'importe qui alors j'ai besoin que tu me dises si tu sais quelque chose. Même si c'est pas grand-chose, même si ça te parait pas important.
—Tu vas l'arrêter ? Tu... tu penses en être capable ? s'enquit-elle, une lueur d'espoir prenant place dans ses orbes, y voyant la possibilité folle de la fin de son cauchemar.
—On va tout faire pour, assura Delkateï.
Son regard se perdit un court instant dans la réflexion et elle se mordit cruellement l'intérieur de la joue. Ses pensées défilaient sans qu'elle ne possède le moindre impact sur celles-ci. Son interlocuteur l'observait avec un certain recul, la bouche hermétiquement close. Le sujet de conversation s'éloignait du vortex qui grignotait Diolyde de l'intérieur et cette perspective sembla les soulager tous deux.
—On ? Eole ?
—Oui, lui aussi.
Les paroles de Déméter revinrent à l'esprit de l'Italien alors qu'Eléonore semblait porter une importance toute particulière au Russe. Ce dernier lui rendait bien volontiers cette attention et leur relation paraissait ainsi bien plus concrète.
—Je ne sais pas qui il est, je le promets, souffla-t-elle.
—Mais tu sais quelque chose.
Delkateï lut le trouble dans son regard et il sut qu'il avait vu juste, que la jeune femme pouvait tous les aider. Elle resserra encore sa prise sur ses genoux, ses jointures blanchissant sous la pression extrême qu'elle leur imposait. Elle inspira profondément par la bouche, balayant suffisamment le surplus d'émotions pour s'exprimer convenablement :
—Quand je l'ai trouvé, je n'ai pas pu réagir. Je suis tombée à côté d'elle et je n'arrivais pas à détacher mon regard de son corps. C'était... affreux ! J'ai senti des mains sur mes tempes juste après et quelqu'un m'a murmuré quelque chose à l'oreille.
—Quelle chose ?
Eléonore s'humecta les lèvres, sa bouche s'asséchant dangereusement sous l'effet de la peur. Ses yeux papillonnèrent alors qu'elle perdit le cours de ses pensées. Elle sentait le regard de son vis-à-vis, lourd d'attente et d'espoir. Elle ne pouvait pas le décevoir même si sa timidité maladive se nourrissait de ses tourments. L'épouvante dévorait ses entrailles et la noirceur de l'endroit lui apparaissait comme une soudaine prise de conscience.
—« Tu arrives trop tard, poupée et si tu parles, je les tuerai tous. » J'ai essayé de me retourner, j'ai crié, mais personne ne m'a entendue. J'ai perdu connaissance... je me souviens plus de son visage, je le jure ! C'est la vérité, je ne sais rien de plus !
Delkateï réfléchit, l'emportement de la jeune femme faisant écho à ce qu'il pouvait bien ressentir. Son esprit fonctionnait à plein régime, les idées chevauchant les émotions qui le heurtaient.
—Je te crois. Est-ce qu'un nom te vient à l'esprit ? Je ne sais pas, une idée de qui pourrait être l'espion ?
Eléonore hésita à secouer négativement la tête sans même songer à la question de son camarade. Finalement, elle répondit d'une voix chevrotante, tout semblant d'assurance ayant déserté son organisme :
—Il avait l'air sûr de lui, quelqu'un qui ne doute pas et qui est certain de sa supériorité. Quelqu'un que personne ne soupçonnerait.
L'Italien opina très lentement avant de se lever sans le moindre geste brusque, ses muscles protestant sous l'effort imposé. Malgré l'engourdissement de son corps, son visage n'accusa aucune expression.
—Je t'en prie, il faut que tu le trouves ! Je crois en toi moi aussi, je sais que tu peux mettre fin à cet enfer. Je ne peux plus le supporter, je t'en prie !
La désolation de sa voix résonna longuement comme pour atteindre la salle lugubre quelques mètres plus loin. La lueur désespérée dans son regard ne mentait pas et Delkateï s'en voulut de l'avoir, l'espace d'un instant, soupçonnée d'être l'espion. Une "espionne" à la surprise du plus grand nombre. Il lui tendit la main dans un geste symbolique, et, avant qu'elle ne s'en saisisse, il assura :
—Je te promets de le retrouver !
Il ne pouvait deviner la silhouette de Jyn qui, à l'angle du couloir, observait la scène sans un bruit. Le visage fermé, une lueur étrange dansante au creux de son regard, il tourna les talons, abandonnant le froid qui ondulait sous sa peau et l'obscurité qui l'accompagnait.
...............................................
Delkateï avait confié ses découvertes du jour à ses camarades de chambre dès leur retour. Chacun avait étudié ses paroles, y cherchant un mot, une information qui aurait échappé aux autres. Ils se promirent ensuite de redoubler de vigilance et de garder l'œil bien ouvert. Ils reprendraient leurs recherches le lendemain, comme ils auraient dû le faire de manière bien plus sérieuse depuis des jours et des jours.
Déméter eut la décence de lui demander dans quel état il se trouvait et l'Italien répondit avec sobriété, évoquant sans précision ce qu'il s'était produit la veille. Il ne manqua pourtant pas de nommer les Instincts sur lesquels sa métamorphose reposait. Il ne pouvait exprimer tout ceci qu'avec cet air pudique, à la limite de la défensive, comme de quelque chose qui le rendait trop vulnérable.
Aaron releva, décontenancé, que l'identité des Instincts devrait être révélée avant la prochaine lune. Ce à quoi Eole répondit qu'ils se contenteraient d'obéir à la volonté des Dieux. Une bien maigre perspective qui laissait présager de plus urgentes priorités. Lorsque l'un d'entre eux demanda à Andrew s'il pouvait posséder des indices sur l'identité de l'espion grâce à son pouvoir, celui-ci répondit calmement :
—Ça devrait être le cas, mais je ne parviens pas à le distinguer. Vos essences sont toutes différentes, mais comportent une certaine dose de noirceur. L'espion en contient certainement une plus forte, plus unanime. Le pouvoir d'Aïrès empêche les Dieux de le découvrir et il en est certainement de même avec ma capacité.
Delkateï glissa un mot sur sa découverte du matin même, taisant au maximum l'implication d'Éléonore. Le choc fut à la hauteur de la nouvelle, tous restèrent sans voix jusqu'à ce qu'Eole déclare :
—La Sixième zone est certaine de sa victoire.
—Oui, je pense qu'elle attend simplement que Diolyde tombe, ajouta Déméter, d'une voix blanche.
Personne ne savait où menait le vortex qui restait un mystère dangereux. Aaron promit d'en tenir informé son parrain, espérant que ce dernier trouve une solution. Les uns après les autres, les adolescents rejoignirent leur dortoir et abandonnant celui qui les avait si bien accueillis.
Delkateï se retrouva dans la salle de bain avec Eole qui s'apprêtait déjà à gagner son lit. L'Italien le coupa dans son mouvement, nullement gêné par la moitié de son corps dénudé :
—Eléonore ne t'a jamais rien dit ?
—Quoi ? Non ! Qu'est-ce que tu voulais qu'elle me dise ?
Le Russe ne nota même pas l'empressement de ses mots et le manque de crédibilité qui s'y liait. Son homologue le dévisageait, le visage imperméable de toute émotion, avant de renchérir :
—Ce qu'elle m'a dit à moi.
—Non, elle ne m'a rien dit, je ne savais pas.
Eole sortit et se glissa sous les draps, bientôt imité par Delkateï qui gardait une idée bien nette de la réaction de son camarade. Le silence de la nuit le rattrapa, ravivant les interrogations jusqu'à ce que Morphée ne l'accueille enfin.
..................................................................
Delkateï quitta le stade en trombe et ne se dirigea pas vers le réfectoire à l'image de ses camarades. L'odeur alléchante de couscous qui se trouvait au menu du jour l'y attirait certainement, mais il s'en éloigna. L'adolescent se sentait entièrement lessivé, gardant un souvenir positif de chaque heure passée sur le terrain.
Delkateï s'enfonçait dans les couloirs de l'école et ses yeux accrochaient chaque ombre rencontrée. Il cherchait un coupable, un silence qui en dirait trop ou une œillade qu'il saurait interpréter. Il traquait l'indiscernable, l'indicible. L'espion se cachait quelque part, cet être prêt à faire basculer le monde dans la terreur et le sang.
L'Italien étudiait alors chaque figure à la recherche de son visage. Ses camarades de chambre suivaient précautionneusement le même schéma. Aaron discutait avec presque toute l'école, surpassant tous les records de popularité à grands coups de sourire charmeur ou d'accolades amicales. Chacun ajoutait sa pierre à l'édifice à sa manière et sans que les résultats ne se fassent visibles. Les adultes s'y pliaient également, comme ils le pouvaient, épaulant de leur mieux les plus jeunes de leurs précieux conseils.
Delkateï reconnut Jo, de dos, qui s'éloignait comme lui du lieu de rendez-vous des étudiants. La distance instaurée entre les deux garçons demeurait correcte, ce qui permit au nouvel élève de ne pas être repéré. L'adrénaline se diffusa dans ses veines pour une raison totalement indistincte. Pourquoi suivre ainsi l'un de ses camarades sans excuse valable ? Le jeune homme avait besoin d'une cible, d'un nom à traquer, voilà tout.
Le Napolitain suivit aussi discrètement que possible l'étudiant, étonné que ce dernier se déplace seul à une telle heure. À l'instant où il se retourna pour vérifier les alentours, l'Italien eut pour réflexe de se plaquer contre le mur. L'angle d'un couloir masqua son corps aux yeux de son homologue et il étouffa un soupir de soulagement. Les orbes sombres de l'étudiant épousèrent le couloir vide sans découvrir la présence de l'intrus.
Le bruit des pas offrait un contraste avec le silence brisé dont les éclats résistaient encore. Les deux individus traversèrent un nouveau couloir qui parut interminable à Delkateï. Ce dernier sentit sa poche arrière vibrer sans le moindre son et il tira sans attendre son téléphone dont l'écran allumé affichait le nom de sa mère.
Il déglutit péniblement, le dos à nouveau plaqué contre la surface froide du mur. Le cœur battant à tout rompe, ses pensées ininterrompues défilaient sous ses yeux écarquillés. Heureusement, l'objet de son attention n'avait rien remarqué et il marchait encore, plus tranquillement.
L'Italien répondit machinalement après avoir rassemblé son courage et déglutit péniblement. Il ne vit pas Jo disparaître à l'angle d'un couloir, le laissant seul à l'instant où sa voix s'éleva dans un silence créé de toute pièce :
—Maman ?
Beaucoup de choses qui s'enchaînent dans ce chapitre (fruit de ma réécriture, encore une fois). Je n'ai perdu personne ?
Dans le prochain chapitre, "Controverses", Del aura une conversation avec sa chère maman. Autant dire que ça va être légèrement tendu !
Byye !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top