Chapitre 4 : Légendes et songe
[En média, Kyraël, le roi des Dieux dont il sera question dans une partie du chapitre]
Delkateï était parti, sans poser de questions, sans même protester. Il était monté dans sa chambre, comme l'adolescent docile qu'il se prêtait à être.
Il avait combattu sa curiosité une bonne partie de la soirée alors que des bribes incompréhensibles lui parvenaient. C'était tellement frustrant... Il savait que cette conversation portait sur lui, sur son avenir. Il était coincé dans cette pièce, la soif de connaissance rongeant ses entrailles.
Le Napolitain était allongé sur son lit, les yeux fixés sur le plafond terne et sale de sa chambre. Qu'allait-il se passer à présent ? Allait-il partir de chez lui avec cet inconnu pour se rendre dans cette école dont il ignorait tout ? Pourquoi la chance lui souriait-elle maintenant ? Après toutes ces années de misère, il avait décidé de ne pas penser à son futur. Il vivait sans réfléchir au lendemain et ne songeait qu'à survivre.
Son regard se tourna automatiquement vers le petit objet qui trônait fièrement sur la table de nuit. Bien que vieillie par le temps, la statuette en bois restait presque intacte. Elle représentait un dieu méconnu, mais dont la puissance ne faisait aucun doute dans l'esprit de Delkateï. Il s'agissait de Kyraël, dans toute sa splendeur. De longs cheveux aux reflets violets, des yeux rubis et perçant, une musculature solide. Des cornes apparaissaient au milieu des mèches sculptées.
Delkateï connaissait les mythes de ce Panthéon, restés intacts malgré les millénaires. Il se souvenait que sa mère les lui contait, bien des années auparavant. Ce qu'il avait pris pour des contes pour enfants ne l'avaient jamais quitté. Il en gardait une croyance profonde.
L'histoire des Dieux demeurait méconnue et peu pouvaient se vanter d'en connaître chaque détail. Delkateï en faisait parti et il en tirait une sorte de fierté. Cette richesse nouvelle, celle de la connaissance, lui avait suffi pendant bien longtemps. Alors que, enfant, l'avenir n'était qu'un mot comme les autres et qu'il n'avait pas à s'en soucier.
Le Panthéon ancestral... C'était ainsi qu'on le nommait et tout un mythe lui était rattaché. Une histoire incroyable, celle d'un monde et de tout un peuple. L'Italien se souvenait des soirées passées avec sa mère alors qu'elle donnait vie à ces contes, inlassablement. Les souvenirs resurgissaient, ce petit bout d'enfance qu'il n'avait jamais laissé partir.
Le petit Delkateï ne devait pas cumuler plus de sept années et se tenait face à sa génitrice, assis à même le sol. Ses grands yeux bleus arboraient un bonheur immense ainsi qu'une impatience caractéristique des enfants de son âge. Sa mère, Joy, tenait un livre devant elle. Le regard suppliant de son fils lui hurlait cette même requête « raconte-moi une histoire ». Elle se lança donc, replongeant avec plaisir dans ses propres souvenirs.
—Tu veux que je te raconte la même histoire ?
—Oui, oui ! S'il te plaît m'man, celle avec les Dieux. C'est ma préférée !
La femme sourit doucement face à l'enthousiasme non feint de sa progéniture. Celui-ci posa sa tête sur ses genoux et elle caressa lentement le haut de son crâne tandis qu'elle reprit :
—Au début des temps, avant même que notre Terre existe, un seul dieu régnait sur la planète. Il s'appelait Aïrès et il était très méchant. Il domina les autres jusqu'à ce que quelqu'un ne l'arrête...
—C'est Kraël ! s'exclama Delkateï, heureux de devancer sa mère.
—Kyraël, le corrigea Joy, oui. Son propre fils mena une rébellion contre son père. Il ressemblait à un monstre, mais il incarnait les plus belles valeurs de ce monde. Le courage et la volonté de faire justice.
Elle avança devant elle la petite figurine que son enfant toucha du bout des doigts. Ayant entendu l'histoire des dizaines de fois, il se contentait d'écouter religieusement. Il ne coupa pas sa génitrice pour une question de vocabulaire ou de compréhension, absorbé par ses dires.
—Il trouva sur sa terre natale tout le soutien nécessaire. Derya fut la première à le rejoindre. Elle était d'une beauté remarquable. Elle avait développé des pouvoirs liés à la nature dont elle était si proche et pouvait s'en servir contre les méchants. L'elfe Eïfaky arriva peu après. Tu sais ce qu'est un elfe, n'est-ce pas ?
—Oui, un monsieur avec de grandes oreilles pointues !
—C'est ça, et on raconte que celui-ci est capable de provoquer de terribles tempêtes et tremblements de terre.
Petit à petit, les statuettes s'ajoutèrent à celle de Kyraël, alimentant l'attention du jeune Italien dont l'admiration se lisait sur son visage rond.
—Diérika se joint à eux, de nature solitaire, elle mit ses ailes puissantes au service de cette noble cause. Davaran était surtout un excellent guerrier et un sorcier mystérieux. Finalement, Zaraka, qui avait l'apparence d'un animal, combattit avec eux.
—Quel animal ? s'enquit soudain Delkateï.
—Un zèbre. Sa peau était zébrée, répondit la femme, présentant la figurine sculptée devant elle.
Elle accorda un moment au petit garçon qui assimila la notion. Elle n'oublierait jamais la voix de sa mère qui lui racontait ces légendes et les répétait de la même manière, tel un secret.
—Ils réussirent à battre Aïrès au terme d'une terrible guerre. Il eut assez de force pour... détruire le monde qu'il avait créé il y a si longtemps. La planète natale des héros disparut devant eux.
—Pourquoi il a fait ça ?
—Je ne sais pas, personne ne le sait vraiment. Aïrès était mauvais, Delkateï, vraiment mauvais.
Le susnommé opina vigoureusement tout en articulant silencieusement « méchant ». Un sourire naquit sur les lèvres joliment dessinées de Joy qui s'accorda un instant avant de poursuivre :
—Ils décidèrent ensemble de créer une nouvelle planète. Un monde à leur image, chargé de qualités et de détermination. Ils y mirent toutes leurs forces, comme un artiste qui peint sur sa toile. Ils ont forgé une nouvelle terre et ils en sont les Dieux. Les Nouveaux Dieux. C'est notre terre, Delkateï. Et ils ont fait le serment de ne pas être comme Aïrès.
—Et ils font quoi maintenant ?
—Ils se reposent et ils veillent sur nous. Ils nous protègent comme ils nous l'avaient promis à la naissance de la Terre.
Un sourire bienheureux naquit sur les lèvres de l'enfant qui se calla confortablement contre Joy. Son minois rayonnait de joie et il ferma les yeux. La femme souffla un baiser sur le front de son fils avant de murmurer, plus pour elle que pour le garçon déjà endormi :
—Tu peux dormir tranquille.
Delkateï sourit, presque imperceptiblement. Ces histoires lui rappelaient d'agréables souvenirs, un bon goût d'enfance, une odeur reconnaissable entre mille : celle de l'innocence. Ce culte rassemblait tout cela, une période de sa vie qui lui semblait à présent bien loin.
Et malgré le temps passé, il nourrissait encore aujourd'hui une croyance profonde, elle restait ancrée en lui. C'était ce qui l'empêchait de ne pas tout abandonner, de ne pas se laisser couler. Un liquide noir et poisseux tout autour de lui le tirait vers les bas fonds. Vers cette sombre fin que ce liquide immonde représentait si bien. Delkateï gardait sa tête en dehors de l'eau, admirait un court instant le ciel magnifique, mais si loin avant de se laisser emporter à nouveau. Il restait coincé entre deux mondes, entre le bien et le mal qui se disputait sa conscience et tout son être.
Sur cette conclusion des plus chaotiques, l'adolescent sombra dans un sommeil agité.
Comme au terme d'une longue chute, plongé dans le noir complet, tu te réveillas, le corps endolori et courbaturé. Il n'y avait rien aux alentours, rien que le vide et l'obscurité qui rongeait tout, partout.
Soudain, le décor prit forme au creux de ce néant, comme le Soleil qui illuminerait une nuit un peu trop longue. D'abord grotesque, les éléments se mirent en place lentement, devant toi, interdit. Des immeubles sombres et froids, qui ne pouvaient qu'éveiller une peur tenace et pourtant compréhensible.
Tu restais témoin de ce spectacle, sans un son, sans un mot. Une terreur sourde brûlait tes entrailles, alors que les questions t'assaillaient. Quel était cet endroit ? Étrangement, tu savais que tu rêvais, cela ne faisait d'ailleurs aucun doute. En fait, tout semblait faux, factice, comme un mensonge crée de toute pièce.
Les gratte-ciels délabrés t'entouraient et tu te sentais comme pris au piège. Tu avais le sentiment que tout pouvait s'écrouler d'un instant à l'autre. Tu te retournais, tous les sens aux aguets. Immédiatement, la panique t'envahit alors qu'une sueur froide parcourait ta colonne vertébrale.
Pas question de faire demi-tour, tu devais quitter cet endroit et aussi rapidement que possible ! L'adrénaline se diffusait dans tes veines dès lors que tu bandas les muscles pour te jeter en avant. Tu courrais comme si ta vie en dépendait. Le vent sifflait à tes oreilles, t'arrachant des larmes et piquait ton visage. Tes muscles étaient douloureux et ton souffle erratique résonnait encore et encore. Ne pense pas : cours ! Cours, Delkateï !
Soudain, tu t'arrêtas, totalement épuisé. Tu tentais en vain de te calmer, le cœur au bord des lèvres. Tu tremblais de tous tes membres alors que le décor vacillait dangereusement. Tu t'écroulas sur le sol froid dans un bruit mâte. Tu étais piégé, tout de cet endroit te le rappelait. Une part de toi avait renoncé : que pouvais-tu y faire finalement ?
Au milieu de l'obscurité oppressante et de ce silence assourdissant, une ombre se glissa. Avec elle, une douce lumière s'installa. Tu la remarquais que plus tard, dans un mélange de surprise, de peur et d'espoir. Sa silhouette fine ne semblait pas avoir sa place dans ce décor aux allures macabres. Tu ne distinguais pas ses traits, elle était face à un mur qui se dressait, immense et infranchissable. Derrière elle, de longues ailes blanches apparaissaient, immaculées et magnifiques. Ses cheveux blonds comme les blés étaient malmenés par un vent rêvé. Que faisait-elle ici, dans ce lieu qui semblait sortir tout droit d'un scénario horrifique ?
Tu te relevais, hésitant, alors que tu manquais de t'écrouler une nouvelle fois. Tu t'approchais, lentement, le danger n'ayant pas disparu. Tu t'apprêtais à parler, à dire quelque chose, n'importe quoi. Mais tu ne pouvais plus bouger, tes muscles semblaient paralysés, rendant le moindre mouvement impossible.
Une voix s'éleva, étonnamment forte au creux du silence :
—C'est ton choix, Delkateï.
Tu sursautas, bien malgré toi, alors que ton corps reprit vie. Tu ne savais que dire, ni même comment réagir. Des questions se disputaient la priorité dans ton esprit, mais tu les imaginais inappropriées.
—Qu-Quoi ?
Le silence accueillit ton exclamation, le froid la rendait coupante, sèche et l'écho désagréablement inutile.
—Ne les laisse pas influencer ta décision, elle t'appartient, Delkateï. Peu importe ce que tu choisiras, ce qui doit arriver arrivera. Il est des choses contre lesquelles on ne peut rien. Alors n'écoute pas ce que les autres pourront te dire, ne compte que sur toi-même. Ils ne le savent peut-être pas encore, mais tu prendras la bonne décision, quoi qu'il advienne. Tu es maître de ça, et c'est une chance pour toi, profites en tant que tu peux !
Les mots se frayaient un chemin en toi et te heurtaient douloureusement. Tu déglutis, tentant de comprendre, de relier les morceaux par tous les moyens possibles.
—Mais à présent, tu dois faire ton choix. Ici et là-bas, le doute n'est plus permis, surtout pas pour toi ! Crois en ce que tu es et ce que l'avenir réserve pour...
—Je ne comprends pas ce que vous me dites, qui êtes-vous et qu'est-ce que je fais là ? Et surtout qu'est-ce que vous voulez me dire part tous ces...
—...toi. Je te souhaite bonne chance, Delkateï. Nous avons confiance en toi, garde bien ça en tête. Nous nous reverrons bientôt, Delkateï Lytaël !
Et puis rien. Le néant. L'obscurité rongeait ce décor que tu savais factice, la nuit et le silence effacèrent tout. Rapidement, tout disparut devant toi, une ombre qui masquait et détruisait sans remords. Le noir te rattrapa, tu étais ce vide. Comme un songe.
Le réveil fut brutal. L'esprit de Delkateï semblait réintégrer son enveloppe corporelle, douloureusement. Le souffle coupé, il se redressa, cherchant à reprendre une respiration moins affolante.
Les souvenirs ne s'échappaient pas et la voix de cette femme résonnait encore à ses oreilles. L'écho d'un mauvais rêve, à la saveur affreuse de vérité. Un frisson parcourut le corps trempé du Napolitain et soudain il eut peur. Une frayeur sourde et terrible.
De l'incompréhension à la terreur absolue en passant par un espoir aussi fou qu'inattendu. Il se sentait comme au seuil d'une découverte immense, qui le changerait à jamais. L'adolescent en tremblait de rage sur le matelas, son impuissance en étant décidément insupportable. Pourtant, il se rallongea dans un soupir las. Au fond, que pouvait-il y faire ?
Et le quatrième chapitre d'Instincts est bouclé !
Bon, il y a clairement plus de matière que dans les deux derniers, plus de mystère. Il est encore long aussi.
J'espère que ce chapitre vous aura plu.
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