Chapitre 38 : Prévisions
[Instincts a été pré-nominé aux Wappies !! Du coup, ça donne un macaron tout beau tout propre :3 Petite danse de la joie pour l'occasion]
Dès le lendemain, les cours reprirent et ils durent bien s'y plier. Se conformer à ce que l'on attendait d'eux, la tête haute et l'esprit ailleurs. Les heures passèrent lentement, monotones, et sans que rien ne les distingue des précédentes.
Delkateï en souffrait certainement encore plus que ses camarades. Les interminables monologues des professeurs lui parvenaient comme une nuée incompréhensible de mots dont il se fichait bien. Ses doigts effleuraient la page vierge de son cahier alors qu'il pouvait entendre distinctement les bruits des stylos en mouvement autour de lui. Déméter prenait ses notes avec une grande assiduité, sa plume griffant la surface plane de la feuille.
Il attendait la fin de cette heure et, par déduction, la fin de cette épuisante journée. Les paroles qui tournaient en boucle dans sa tête n'avaient rien en commun avec celles qui emplissaient actuellement le silence.
La fin de la soirée avait été difficile à supporter. Après les paroles-chocs de Jyn, ce dernier avait ajouté quelques ultimes précisions. En effet, les élèves de Diolyde avaient été mis au courant de l'arrivée de l'Italien, mais sans connaître son nom. L'enfant de Malédiction n'avait jamais été qu'un nom sans visage ou identité. Une légende à laquelle les adolescents souhaitaient croire, quelque chose à quoi s'accrocher dans une école coupée du monde. Delkateï se sentait comme étranger de toute cette histoire.
S'élevant comme une libération, la sonnerie retentit dans toute la salle, arrachant un sursaut à certains et un soupir de soulagement à d'autres. Le professeur âgé d'une cinquantaine d'années resta parfaitement immobile lorsque les élèves rangèrent leurs affaires dans un bruit diffus. À l'instant où le Napolitain allait passer le pas de la porte, il le retint :
—Monsieur Lytaël.
Le susnommé se tendit à l'entente de son nom de famille. Ce nom qui le ramenait directement à son paternel. Il se redressa donc, levant son regard azur sur celui bien plus terne de son ainé.
—Ouais ?
—Votre père, monsieur Lytaël, m'a chargé d'un message à vous transmettre.
Immédiatement, Delkateï sourcilla, son attention ravivée alors qu'il se sentait déjà sur la défensive. Les poings serrés, il attendait la suite dans un silence éloquent.
—Vous devez le rejoindre après le repas du soir dans le stade. Il a longuement insisté sur l'importance de ce rendez-vous et sur la nécessité que vous y assistiez.
—Quelle heure ? s'enquit-il, sans prendre en compte une quelconque notion de politesse.
—Le plus tôt possible.
L'italien pinça les lèvres. La pièce était entièrement vide à l'exception de l'adulte et de son élève et la tension grandissait encore. La rage de l'adolescent menaçait de prendre une forme bien plus matérielle.
—Je vous ai demandé une heure, cingla-t-il. Ça m'étonnerait qu'il ne vous en ait pas donné !
—Dix-neuf heures trente. Et je vous demanderais d'emprunter un autre ton, jeune homme.
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Delkateï avait longuement hésité à se présenter au rendez-vous. La perspective de rejoindre son géniteur sans savoir ce que ce dernier lui voulait ne l'enchantait guère.
Le mauvais caractère du jeune homme lui dictait donc le refus alors que sa conscience et sa curiosité lui priaient le contraire. Il n'en avait parlé à personne bien que l'envie se soit également manifestée. Mais après ce qu'il s'était passé la veille, l'Italien ne trouvait pas la conviction nécessaire.
Après de longues et silencieuses interrogations, Delkateï avait fini par se rendre au lieu prévu. Son visage fermé illustrait une colère récalcitrante à n'importe quels ordres. Il avança sur l'herbe grasse du terrain de foot. Ce sport était la raison de sa venue et, dans ce sens, il n'avait pas été déçu. Il pouvait pratiquer cette discipline autant qu'il souhaitait au milieu de personnes tout aussi passionnées que lui. Une once de lumière là où l'ombre envahissait les êtres et les murs.
À Diolyde et parmi les élèves pleinement conscients du danger, nul n'osait en parler. La connaissance apportait sa dose de peur, d'angoisse et de responsabilités. Un secret qu'ils portaient au côté comme un fardeau, une blessure nette et propre. Les bouches demeuraient closes, mais les silences, eux, se montraient trop bavards.
Delkateï se surprit à admirer une fois de plus l'infrastructure impressionnante du stade. Les voutes grandioses ne semblaient pas avoir été créées par l'Homme. Comment de simples mortels auraient-ils pu faire preuve d'une telle ingéniosité ?
L'élève remarqua bien vite la silhouette de son père, Eran, qui se tenait alors dos à lui. Celui-ci se trouvait au centre de la pelouse et attendait de toute évidence la venue de son fils. Une dernière fois, l'adolescent hésita à fuir ses responsabilités, tourner les talons et retourner dans sa chambre. Les pieds fermement ancrés dans le sol, il se refusa ce privilège.
—Vous vouliez me voir ? lança Delkateï, manière comme une autre d'annoncer son arrivée.
L'étrange politesse de l'Italien ne manqua pas d'étonner l'adulte qui se retourna rapidement, sur le qui-vive. Les yeux vairons rencontrèrent ceux, monochromes, mais pas pour le moins impressionnants, du plus jeune.
—Je n'étais pas sûr que tu viendrais, se justifia Eran, avec un sourire indulgent.
—Moi non plus, avoua l'autre, sincèrement.
Le silence revint tout comme la fraicheur de la soirée qui hérissa une chair de poule sur l'épiderme de Delkateï. Son père semblait hésiter, ayant perdu toute l'assurance qu'il avait pu rassembler.
—Écoute Delkateï... Je... Je sais que tu m'en veux énormément et que l'on est...
—C'est pour ça que vous m'avez demandé de venir ici ?
—Non, souffla-t-il, désemparé face au mépris de son fils. Non, pas du tout.
Ce dernier jaugeait l'homme du regard, comme pour déterminer l'objet exact de ses pensées. Un exercice complexe qui échoua d'ailleurs lamentablement. Les lèvres pincées, il se contenta d'attendre une réponse concrète et dans les formes.
—Ça fait un mois depuis la dernière fois, finit par lâcher Eran.
Delkateï s'octroya un temps d'incompréhension considérable avant de saisir le sens des paroles précédentes. En effet, un long mois s'était écoulé depuis les événements de cette fameuse nuit. Il en gardait d'affreux souvenirs, un mélange étudié de terreur et de douleur, de peur et de rage.
—Tu sais maintenant l'essentiel sur la Malédiction. Ce que l'on appelle la transformation doit avoir lieu ce soir et j'ai pensé que cela serait moins pénible si tu n'étais pas seul.
—Et vous avez pensé que vous étiez la meilleure personne pour me surveiller. Il va se passer quoi ? La même chose que la dernière fois ? Vaut mieux que personne ne soit dans les parages, croyez-moi !
Les traits tirés de l'homme marquèrent une expression propre à la tristesse. Il releva la tête jusqu'à la pencher en arrière et observer le ciel recouvert d'étoiles. Le haut du stade pouvait se rétracter et ainsi laisser apparaître un bout d'azur. Un véritable mystère pour certains puisque la température demeurait agréable, à peine légèrement plus fraiche le soir venu. Un petit miracle des Dieux afin que Diolyde puisse rester invisible, introuvable et viable. Les aléas climatiques n'avaient aucun impact sur l'école.
—Les conditions veulent que tu voies la lune la nuit de la transformation. Ça en plus du fait que tu devais impérativement connaître le visage de tes deux parents.
Le calme du terrain entièrement désert succéda ces quelques mots. Eran se mordit l'intérieur de la joue, visiblement touché par les événements présents et par ce qu'il se brûlait de révéler. Il ne supportait plus le regard glacial et empreint d'animosité de son fils. Cela lui rappelait à la fois son échec et tout ce qu'il avait pu laisser derrière lui après son départ. Un sentiment désagréable qui lui dévorait les entrailles et ravivait une plaie qui n'avait jamais pu cicatriser.
—Je n'ai jamais voulu partir, Delkateï. Je sais ce que tu peux penser et je le comprends, mais ce n'est pas ce que j'ai voulu. Je suis parti lorsque ta mère était enceinte il y a seize ans à la demande de Kourrage. Il m'a expliqué ce qui risquait de se passer et j'étais conscient des risques pris lorsque j'ai rencontré Joy. C'était le prix à payer et je suis vraiment, vraiment désolé que tu en aies souffert !
Son interlocuteur déglutit avec difficulté au terme de ce monologue. Que pouvait-il en penser ? Lui dont l'absence de figure paternelle avait tant marqué, que pouvait-il en dire ? Sa vision du monde et de cet homme dont il ne savait rien peinaient à se modifier. Il avait si longtemps haï cet être qui avait abandonné sa mère sans autre forme de procès. Voilà qu'une excuse bien plus qu'acceptable se présentait à lui ainsi que le visage attristé de son géniteur. Tout cela se mélangeait jusqu'à ce qu'il n'y ait plus la moindre once de sens.
—Le prix à payer ne vous a pas semblé trop élevé ? Sacrifier votre vie, celle de ma mère et la mienne ne vous a pas suffi ?
—Delkateï, je... S'il y avait eu une autre solution, je l'aurais choisie sans hésiter. Je savais qu'un jour, tu serais là et que je te retrouverai. J'ai attendu ce moment au moins autant que je l'ai redouté. Tu as souffert de mon absence, mais ça a été dur pour moi aussi, m'imaginer mon fils grandir loin de moi, grandir sans qu'il sache qui je suis et qui il est. Je m'en veux pour tout ça, mais mon choix était celui des Dieux aussi. J'ai agi en pensant aux autres, à l'avenir du monde et également au tien.
Ce fut au tour d'Eran d'avaler sa salive, la gorge étrangement sèche. Malgré la température plutôt basse, son front était recouvert d'une fine pellicule de sueur, témoignant de son angoisse comme de ses peurs. Le jugement de son enfant résultait certainement en la pire des blessures.
—Tes crises ne commencent que maintenant et tu n'aurais peut-être pas survécu à de tels chocs étant enfant. Ça aurait été trop violent et nous ne pouvions pas nous permettre un tel risque.
—On le saura jamais de toute manière, coupa Delkateï, plus sèchement qu'il ne l'aurait souhaité.
Hochant la tête, l'adulte se redressa comme pour reprendre la contenance qui lui faisait défaut. Le regard brillant au clair de lune, il annonça, calmement :
—Ça va bientôt commencer Delkateï et tu vas ressentir la même chose que la dernière fois sauf que tu n'auras pas à te débattre pour sortir. Je suis là et la transformation sera complète !
Toujours très tendue cette relation père / fils !
Eran essaie encore de se justifier et Del a du mal à comprendre ou, du moins, à accepter. C'est difficile pour tous les deux ^^
Le prochain chapitre "Clair-de-lune", sera réservé à cette fameuse transformation ! J'appréhende un peu, j'avoue. J'espère également ne pas vous avoir perdu avec les rouages de l'intrigue (n'hésitez pas à me poser des questions si besoin :3)
Je vous aime fort <3
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