Chapitre 36 : Mise en scène
[Un dessin réalisé au crayon pendant un de mes cours, (l'allemand, il me semble). Un Delkateï souriant, pour changer de quand il tire la gueule :3]
Le soir était venu et tous les élèves s'étaient rassemblés dans la chambre. Jyn s'en assura avec résignation : pouvait-il lutter contre la volonté de ses semblables, aussi affligeante soit-elle ?
Il avait compris au premier regard l'inquiétude d'Aaron. Celui-ci agissait sous les ordres de son parrain et cela ne pouvait guère échapper au brillant esprit de son ainé. Au milieu de tous ses camarades, ce dernier accusait une supériorité cuisante et que personne n'aurait le culot de démentir.
Avec un naturel ahurissant, Jyn les vit s'asseoir comme un seul homme. De parfaits soldats, c'en était presque étonnant. Le silence régnant en maître avait quelque chose d'absurde, d'irréel et, malgré tout cela, tous s'employaient à l'entretenir. Comme un feu que nourrir serait primordial pour des individus privés de luminosité.
Le Finlandais se délectait de l'ambiance malsaine de la pièce. La honte de chacun le répugnait et, pourtant, il sentait à quel point tout était sur le point de basculer. Quelle première pierre roulerait le long de la pente pour entraîner les autres dans sa chute ? Du coin de l'œil, l'étudiant remarqua le malaise grandissant d'Eole. Celui-ci peinait à se maîtriser, à dompter la peur qui tordait ses entrailles.
Combien de temps encore espères-tu tenir ? Tu sais bien que ça ne sera plus long, n'est-ce pas ? Qu'il te faudra bien avouer ? songea Jyn, et ses pensées semblèrent emplir tout l'espace sans qu'aucun esprit assez puissant ne soit en mesure de le percevoir.
—Bon, on devrait commencer, non ? lança Déméter, moins enjoué qu'il aurait souhaité paraître.
—Il faut bien crever l'abcès alors autant s'y mettre, renchérit Calysta, mue d'un léger sourire.
Il semblerait que l'abcès ne soit devenu trop douloureux. Allons donc, il faudra bien apprendre à souffrir un jour ou l'autre.
Le malaise s'alimentait du manque de volonté. Tout semblait fortuit, entièrement créé de toute pièce. Une perspective des plus troublantes qui effrayait les adolescents, scellant les bouches et faisant mourir le courage.
Jyn aimait cette idée, il voyait ses êtres comme des marionnettes. Des pantins qui luttaient contre les mouvements qui les guidaient et les contraignaient. De simples pions incapables d'aligner la moindre pensée. Et lui, il se contentait de les jauger en silence, lui qui en savait bien trop et qui s'en vantait à demi-mot.
—Il faudrait encore savoir quoi crever ? avança Delkateï, après un long moment. Et je parle pas seulement de l'abcès.
Toujours le mot qu'il faut, Delkateï.
La seule femme présente octroya un bref regard à l'Italien, contenant la moindre remarque. Le manque d'investissement des étudiants l'agaçait malgré tout bien qu'elle en comprenait la source mieux que personne. Elle aussi freinait des quatre fers lorsqu'il s'agissait de se mettre en danger.
Jyn observait la scène avec recul. Ses yeux ne cueillaient pas les silhouettes, mais bien les volutes violettes dont son monde était fait. Une magie que seul lui pouvait apercevoir et qui semblait contraindre les corps à ne pas effectuer le moindre mouvement. De quoi rendre les agneaux paisibles, terriblement sages alors que le prédateur rôdait. Attiré par l'odeur alléchante de la chair fraîche.
Son frère, Ludo se situait légèrement en retrait du cercle, comme s'il refusait d'en faire entièrement partie. Il ne semblait pas à sa place, bien trop faible pour une telle gravité et sa petite taille paraissait encore plus flagrante à côté d'Andrew.
—Qu'est-ce que l'on est censé faire exactement ? hasarda Eole, sans rien masquer de sa lassitude.
—Discuter, en gros. C'est le but, ce que l'on attend de nous, répondit Aaron.
C'est exact, sembla approuver leur ainé. Enfin, si ce n'est pas trop vous demander.
Personne ne releva la soudaine docilité de l'Australien et celui-ci s'en félicita. Il ignorait que la clairvoyance du Finlandais ne l'excluait pas. La pression dans la pièce s'affaissa sur les adolescents et nouait les gorges. Ce fut le désolant constat de Jyn qui leur offrit un regard pétri de déception.
Je ne m'attendais guère à un exploit, mais je pensais que vous seriez plus combattif. Pourquoi suis-je toujours forcé d'intervenir ?
—Non, il est dans notre devoir de confier l'influence divine en nous. Ce qui nous caractérise, mais ce que l'humain qui subsiste refuse d'accepter.
L'humain qui vous guide se révèle bien trop faible et puéril.
La voix lourde de sens de Jyn éveilla un frisson le long de la colonne vertébrale de Calysta. Tout comme les autres, les paroles de son ainé avaient quelque chose d'effrayant, de purement véridique. Elle cherchait en elle le courage de s'exprimer sur une émotion diffuse qui coulait dans ses veines. La même volonté déjouée par la terreur et la menace persistante pesant sur Diolyde.
—J'aimerais commencer, dit Ludo, à la surprise de tous.
Le Finlandais se tourna vers son frère cadet, incapable de ravaler l'étonnement qui marqua ses traits fins. Son bandeau et ses cheveux masquaient l'entièreté de son front et seuls brillaient ses orbes turquoise. Ce dernier cherchait un éclat de bravoure autour de lui, dans les lits savamment alignés et l'atmosphère d'ordinaire chaleureuse. Andrew l'encouragea à se lancer, à exprimer ce qu'il avait sur le cœur d'un sourire qui ourla à peine la commissure de ses lèvres. Il s'autorisa un regard pour Jyn, le dissuadant de la moindre action alors que le courage de Ludo les submergeait, aussi soudaine que la marée.
Ainsi donc ce sera toi. Pitié, cela en devient ridicule.
—Je... J'ai caché des choses, des choses importantes. Elles pourraient nous servir à... arrêter l'espion, éructa-t-il, maladroit dans son choix de mots.
Un silence religieux fit écho à ces quelques dires alors que ses camarades attendaient la suite, un exemple plus concret.
—Depuis mon arrivée à Diolyde, j'ai des... sortes de vision, poursuivit-il, déglutissant avec une grande difficulté. C'est plutôt des flashs et des émotions qui ne sont pas à moi, je n'arriverais pas à les décrire. Au début, je ne savais pas d'où ça venait et je n'avais plus... aucun contrôle sur ça.
Il ne manquerait plus que les larmes et nous irons pleurer sur le sort de ce pauvre idiot ! Tu es si faible, cher frère.
Ludo hasarda un regard pour Andrew, ses pensées divaguant jusqu'à atteindre, tout naturellement, la personne à côté de lui. Resonger à tout cela était désagréable, douloureux même, mais il se forçait de donner l'exemple, lui qui avait si longtemps trahi l'école et qui se considérait comme un poids mort. Cette impression que son frère se plaisait à entretenir, à nourrir tant qu'il le pouvait et avec un acharnement certain. Une voix s'imposa à ce dernier, le déconnectant de la réalité un court instant : « Ne sois pas trop dur avec eux ».
Ludo venait de rassembler ses idées, ignorant de son mieux les regards rivés sur lui et bravant sa timidité. Il détestait tout cela et seule la chaleur de son ainé lui donna la force de reprendre :
—J'ai commencé à y voir plus clair, j'ai commencé à mieux comprendre. J'ai compris que ce que je voyais était en fait la réalité de quelqu'un d'autre, pareil pour les émotions. La peur, la honte, la culpabilité, et beaucoup de douleur. Tout ça s'est mélangé à ce que, moi, je ressentais, je n'arrivais plus à faire la différence.
Il prit un instant pour respirer, coupant son monologue et ce débit de paroles dont il ne se serait jamais cru capable. À tâtons, il trouva la grande main sombre d'Andrew qu'il serra dans la sienne. Avec lui, la souffrance s'atténuait, se résorbait jusqu'à même disparaître.
Jyn revint à lui, ignorant le flash de lumière qui venait de l'aveugler. Son œil repeignait les murs de la pièce, leur rendant leurs chatoyantes couleurs avant d'abandonner son attention délibérée à ses congénères. Déjà, son frère reprenait :
—Maintenant, j'y arrive et lorsque ça me reprend, il y a toujours Andrew pour me...
Les mots moururent au fond de sa gorge à l'étonnement de tous. Les regards chargés d'incompréhension heurtèrent la silhouette frêle de Ludo avant que Calysta ne s'interroge, pour tous les autres :
—Pour te quoi ?
—Les visions et la douleur s'éteignent grâce à mes pouvoirs, expliqua le géant, à la place du concerné. Il semblerait que les pouvoirs divins n'aient aucun impact sur moi et sur les personnes que je touche.
Tout cela justifiait sans nul doute la relation qui liait les deux garçons. Personne ne les avait jamais vus séparés, comme si leurs deux corps étaient destinés à se fondre l'un dans l'autre. Le visage de l'Irlandaise s'ombra d'un sourire, l'instinct féminin lui avait soufflé tout cela. Il était impossible de ne pas remarquer les œillades, les effleurements et les contacts incessants des adolescents. Ce qui la ravissait répugnait profondément le Finlandais.
L'expression de Jyn semblait s'assombrir de minute en minute. Sa clairvoyance ne lui avait pas permis de découvrir tout cela de lui-même et la présence d'Andrew le lui expliquait désormais.
Ton pouvoir fait barrière aux miens, je comprends mieux pourquoi votre présence réunie m'est insupportable.
—C'est courageux d'en parler, admit Déméter, sourd aux protestations internes de son ainé.
—En effet, mon cher frère, mais il semblerait qu'il manque quelque chose à ton explication.
Le susnommé déglutit, encaissant le ton dépourvu d'amabilité. Dire qu'il n'y était pas habitué constituerait un mensonge en soi, mais comment le supporter ? Son grand regard semblable à un nouvel océan se perdit un court instant dans les détails insignifiants de la pièce. Sa lèvre inférieure trembla.
—Ludo ? s'enquit Aaron, ne tenant pas à sécher les larmes du plus jeune.
—Tu n'as pas oublié ? Tu dois tout nous dire, ne rien omettre ou nous serons tous en danger.
Et ce sera ta faute, petit frère. Entièrement ta faute.
La voix du Finlandais comprenait comme un sourire. Un rictus sardonique, débordant d'un sadisme injutsifié. Un frisson parcourut néanmoins son échine lorsqu'il rencontra le regard d'Andrew. Le géant dont le courroux grandissait dans le silence, sa présence et son aura s'imposant à chacun.
—Jyn ! gronda Delkateï, en écho aux pensées de tous.
L'interpellé se fichait pas mal de dépasser le raisonnable, de dépasser les limites. L'humain l'indifférait, attisant le plus ignoble des mépris. Il se savait supérieur à ces êtres qui pullulaient sur Terre sans le moindre but. Alors que son pouvoir envahissait tout le vide subsistant, étouffant sans pitié le corps de Ludo, il s'entendit articuler, abaissant son ultime carte :
—Tu ne voudrais pas me décevoir encore, n'est-ce pas ?
Plus que tu ne l'as déjà fait, plus que tu ne pourras jamais le faire. Avoue-le, dis-leur la vérité, je veux l'entendre !
Son frère empêcha Andrew de se lever, attrapant sa main large dans le sienne. Il y puisa tout son courage, l'écho de son cœur battant la chamade. Ravalant ses larmes, une douleur sourde menaçait de le submerger. Les mots s'échappèrent d'eux-mêmes :
—Les visions me viennent d'un élève de la Sixième zone.
Alors, c'est cela que l'on a souhaité me cacher...
Un chapitre long cette fois.
Jyn prête son oeil à ce chapitre, sa manière de voir et percevoir une telle scène, autant dire que ce n'est pas toujours joli-joli. Et j'en ai profité pour introduire quelques indices (plutôt explicites, je pense) sur la relation de Ludo et Andrew <3
Le prochain chapitre, "Théâtre du monde" contiendra plus de révélations, de mises au point concernant Del, cette fois :3
Koeur sur vous ~
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