Chapitre 34 : Héritage divin
[La version finale de mon dessin hommage. Éléonore vêtue du costume traditionnel de ma région. Je pense encore une fois très fort aux victimes de cet acte barbare et à leurs proches.]
Dans son bureau, Kourrage s'occupait avec soin de la terrifiante pile de dossiers divers et variés. Des mails ou des lettres de parents affolés, des demandes d'explications allant jusqu'à l'ordre de retirer leur progéniture de l'établissement. Le directeur y répondait avec la plus grande patience, exposant les faits avec simplicité. Il ne pouvait évidemment pas les empêcher de vouloir protéger leurs enfants et l'un ou l'autre avait déjà quitté Diolyde.
L'espion était sur le point d'obtenir ce qu'il souhaitait, son ennemi se vidait lentement de sa substance et personne n'était en mesure d'enrayer le phénomène.
Pourtant et malgré cette menace d'une tout autre envergure, Kourrage avait l'esprit ailleurs. Sa main rédigeait des propos qu'il connaissait par cœur, résultat d'un poignet habile et d'une intelligence hors norme. L'homme craignait la venue de certains de ses élèves, dont les talents ne faisaient aucun doute. Certains devaient être des Instincts et leur importance atteignait un seuil critique. Il ne pouvait se permettre aucune erreur !
Le directeur avait congédié Eran et Laurian qui avaient reçu l'ordre de laisser le libre accès à son bureau durant toute l'après-midi. Une précaution pour cet homme qui donnait tout pour parvenir à ses fins avec un total désintérêt. Ses intentions restaient bonnes, quoi que l'on puisse en penser, et il était prêt à offrir tout pour le salut du Panthéon ancestral. Sa santé importait peu tout comme son équilibre mental, il les sacrifiait sans un regard en arrière et avec une rare dévotion.
L'angoisse grimpait alors que l'heure du rendez-vous approchait à grands pas. Il écrivait compulsivement, comme pour rétablir son attention sur autre chose plutôt que sur l'objet de son épouvante. Mais son brillant esprit savait par avance qu'il ne pourrait y échapper. Il cherchait en vain dans l'âme de ces lieux le courage nécessaire. L'ironie y perlait, inopinément.
La porte s'ouvrit sur les silhouettes des élèves qui pénétrèrent dans l'antre les uns après les autres, comme des porcs s'en allant pour l'abattoir. Ils saluèrent leur ainé d'une voix polie, s'alignant dans un ordre né du hasard. Aaron entra dans la pièce en dernier, juste après Delkateï, d'un pas moins décontracté qu'à l'ordinaire. Le directeur manqua de se lever lui aussi, mais il resta finalement sagement assis, prenant la parole après un court instant de flottement :
—Bonjour les enfants et merci d'avoir répondu à mon invitation. Je suis heureux de vous avoir tous réunis en face de moi.
Chacun opina avec plus ou moins d'enthousiasme. Le regard de Kourrage effleura toutes les personnes présentes avec soin. Jyn ne manifestait aucune émotion, droit et inexpressif. Déméter semblait tendu, attendant une sorte de sentence qui s'abattrait sur eux sans la moindre raison. Eole patientait au même titre que ses camarades, son regard sans fond fixé sur l'infini. Aaron paraissait légèrement plus détendu, sa peau d'ordinaire basanée, marquait une certaine pâleur. Ludo triturait nerveusement ses mains aux côtés d'Andrew qui était plus intéressé par l'état de son cadet que par la conversation qui allait suivre. Delkateï, le visage dur, observait bien en face le directeur de l'école, sans jamais détourner le regard. Enfin, la présence de Calysta étonnait ses camarades. Pimpante, elle rayonnait comme un soleil délicat au milieu de cette petite assemblée.
—J'imagine que vous ignorez la raison de ce rendez-vous et que vous attendez des explications. Je compte bien être clair avec chacun de vous quant à tout ceci. Mais, avant toute chose, je tiens à vous préciser que vos professeurs ont été prévenus de votre absence. J'ai chargé M. Lytaël de vous transmettre vos cours afin qu'il n'y ait pas de problème à votre présence ici et que vous ne preniez pas de retard sur le programme.
Kourrage octroya une œillade à l'Italien qui se rembrunit à l'entente du prénom de son paternel. Les autres ne marquèrent aucune espèce de réaction, néanmoins légèrement anxieux. L'homme réfléchit quelques instants avant de reprendre, ses idées claires comme de l'eau de roche alors qu'il s'apprêtait à leur donner un sens :
—Les événements qui ont lié votre professeur et chacun d'entre vous sont une véritable tragédie pour l'école. Vous n'êtes pas sans connaître le danger que représente la Sixième Zone et cette menace n'est désormais plus à prendre à la légère. J'aurais aimé me passer d'un tel discours, mais je n'en ai simplement pas le choix, j'en suis navré.
Un silence instaura la pièce, l'emplissant de son incompréhension, d'expressions déconfites et de sourcils froncés. Aucun son ne se faisait entendre bien que chacun mourrait d'envie de prendre la parole ou de protester. Finalement, Déméter s'enquit, en écho aux pensées pourtant diverses de ses camarades :
—Pourquoi nous inviter nous seulement ? Ce que vous nous dites pourrait très bien être annoncé aux autres élèves et ils ont autant besoin d'être rassurés que nous.
—Je ne vous ai pas demandé de venir pour vous rassurer, sourit le directeur, en réponse au ton plus qu'aimable et respectueux de l'adolescent.
Ludo eut bien du mal à contenir une exclamation, se contentant de déglutir douloureusement. Ses grands yeux bleus s'emplirent de cette peur qui le caractérisait si bien et il se rapprocha, en pur réflexe, de la silhouette immense et rassurante d'Andrew. Pourquoi les avait-on conviés si ce n'était pas pour la raison énoncée plus tôt ? Qu'avait-on à leur demander ? Quelque chose qui ne leur plairait guère, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.
—Il y a un problème avec l'un de nous ? Vous pensez que l'un de nous est l'espion ? Qui ? Vous pensez que l'on est en danger ? s'enquit le plus jeune, la voix tremblotante.
Le regard de Jyn accrocha le corps frêle de son frère, illustration du mépris témoigné et de l'agacement. Le Finlandais ne supportait simplement pas cette peur et les interrogations empreintes d'angoisse. Son cadet possédait cette fragilité qui le répugnait, qui le poussait à des actes extrêmes et à un dégoût non dissimulé.
—L'espion n'est pas parmi vous, j'en suis absolument certain, affirma Kourrage, avec une douceur dans la voix. Vous êtes en danger, mais il n'y a aucune raison pour que vous le soyez plus qu'un autre. Quant au problème, je pense effectivement qu'il y en a un.
Ludo retint se respiration au même titre que ses ainés, son malaise grossissant jusqu'à atteindre un seuil inquiétant. Calysta demeurait bien droite, comme si la fierté pouvait encore être importante en cet instant. Malgré son visage parfaitement lisse, elle semblait tendue et ses orbes d'une belle couleur automnale étaient secoués par un trouble étrange.
—Il est relatif à vous tous et c'est la raison pour laquelle je vous ai conviés.
—Vous comptez tourner en rond pendant longtemps encore ? On a vu un prof crever sous nos yeux alors si vous avez quelque chose à nous dire, faites-le !
Le ton colérique de Delkateï arracha un sursaut à certains tandis que Kourrage fronçait les sourcils. Très patient et compréhensif, le stress faisait mauvais ménage avec son obligation de communiquer avec ses élèves. Il se reprit avant de remettre l'adolescent à sa place alors qu'Eole, le morigénait déjà :
—Delkateï !
Le dénommé pinça les lèvres sans rien ajouter, son regard acéré braqué sur le directeur, l'incitant à poursuivre. L'homme se tassa sur sa chaise, masquant sa difficulté à s'exprimer. Il s'engageait désormais sur une pente délicate, et la chute, vertigineuse, promettait d'être rude.
—Je sais que vous me dissimulez des choses, des talents qui pourraient très bien mettre en déroute l'espion. Je sais tout cela, mais je ne connais pas encore l'étendue de ces dons. Vous constituez une aide pour les Dieux, pour le Panthéon ancestral. Vous n'avez plus à cacher ces aptitudes et ce devait être l'un des buts de cette école. Vous avez peut-être en votre possession d'informations capitales sur lesquelles reposent la survie de notre école.
—Vous parlez au nom de qui ? Des Dieux, de l'école ou juste de vous ? rétorqua Delkateï, du tac au tac.
Kourrage cligna des yeux, observant les jeunes gens alignés devant lui. Les mains sous son menton, il faisait preuve d'un calme qu'il était loin de ressentir. Il ne pouvait se permettre aucune faiblesse, représentant l'exemple de ces adolescents.
—Il parle au nom de tout le monde, Delkateï, reprit Aaron depuis son siège.
Le susnommé ravala un commentaire désobligeant, croisant malencontreusement le regard de Calysta qui le calma immédiatement. Elle lui sourit tristement, l'incitant à l'apaisement.
—J'aimerais que vous donniez la possibilité à l'école de se débarrasser de ce fléau. Que chacun fasse ce qui est en son pouvoir afin de servir les Dieux et de délivrer Diolyde. Ce n'est plus simplement une option, c'est l'unique solution qui s'offre à nous !
Un calme glaçant accueillit cette nouvelle, synonyme de la réflexion qui occupait tous les esprits présents dans cette pièce. L'atmosphère se faisait lourde et la tension ne disparaissait pas, accrochant les êtres comme pour les détruire. Même le soutien apporté par l'Australien ne pouvait rien y faire, le Mal se situait ailleurs, hors de portée !
—Je ne suis pas prêt à... à en parler, à l'accepter, murmura Eole, si bas que ses paroles se confondirent avec le silence.
—J'ai conscience de la taille du sacrifice que je vous demande et j'aurais aimé ne jamais avoir à le faire, croyez-moi.
—Comment pouvez-vous connaître ce qui nous accapare ? ajouta le Russe, incapable de regarder quiconque dans les yeux. Personne ne peut le savoir.
Le mal-être de ce dernier s'accroissait davantage, avoisinant même celui de Ludo. Tenir debout, fier et exposé de la sorte relevait du défi pour lui comme pour eux. Tout se jouait ainsi aux silences, à ce que personne n'osait dire, de ce que le secret portait encore. Une infinité de possibilités qui se nourrissait de l'angoisse de ces êtres perdus dans leur propre existence.
Kourrage ouvrit la bouche puis la referma, ses yeux se posant par erreur sur la silhouette massive d'Andrew. Celui-ci ne frémit pas, demeurant bien droit et parfaitement inflexible. Il avança d'ailleurs d'un pas, à l'étonnement de tous :
—J'ai entre mes mains de nombreux pouvoirs, dont celui de discerner les essences des êtres humains. De quoi leur énergie vitale est faite et quelles sont leurs spécificités. Chez la plupart de nos semblables, le résultat est identique à l'exception de légères variations. Seules les personnes spéciales, élues des Dieux ou en possession d'un de leurs dons, m'apparaissent réellement.
Il marqua une courte pause, comme pour étudier la réaction de ses camarades. Ils retenaient leur respiration, prêt au pire comme pour se satisfaire du meilleur. Le géant acheva alors, fort de ces mots capables de tout briser :
—Et je sais que personne dans cette pièce n'est qu'un simple être humain. Je vois que chacun d'entre vous nourrit une spécificité transmise par les Dieux eux-mêmes.
Étonné par le pouvoir d'Andrew ? C'est un personnage que j'affectionne particulièrement :3 Le prochain chapitre, "Charges et devoirs" sera un peu dans la continuité de celui-ci, quelques désaccords et même un accord final :p
C'était la dernière publication avant la fin de cette année. Le prochain sortira en 2019 haha (l'année prochaine XD) et j'espère ne pas vous décevoir !
Festoyez bien <3
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