Chapitre 33 : Aux mains de la peur

[ En média, la version encrée de mon hommage aux victimes de l'attentat à Strasbourg. Ma manière de penser, de commémorer. Eléonore pleure avec moi les victimes de cet acte.]


La triste nouvelle fit rapidement le tour de l'école sans que Kourrage ne parvienne à mettre main mise sur les informations. La mort du professeur de mathématiques se répandit telle une traînée de poudre, ravivant les peurs secrètes des élèves. La menace de la Sixième zone s'accroissait et, désormais, personne ne pouvait se permettre de l'ignorer.

Aaron fut transporté à l'infirmerie directement après le décès de Milada et l'inquiétude de tous ses amis portait sur son état de santé. Heureusement, l'Australien s'en était sorti sans trop de dommages et sa colonne vertébrale n'avait pas été touchée. Une aubaine aux yeux de tous ceux qui avaient été témoins du choc d'une rare violence. Leur camarade devait toutefois rester alité à l'infirmerie avec une vilaine bosse derrière le crâne, une entorse à l'épaule et de méchants hématomes. Malgré ce verdict qui l'empêcherait de reprendre le football avant de longues semaines, il gardait le sourire et son éternel optimisme.

Près de la moitié de l'école vint lui rendre visite, usant de prétextes plus ou moins crédibles et recevables aux yeux scrutateurs de l'infirmière. Aaron avait beau être particulièrement apprécié, la curiosité restait un motif clé pour une partie des étudiants. Le jeune homme répondait à toutes les questions sans apporter le moindre détail, demeurant très humble au sujet de son acte purement héroïque.

Cette fois, le directeur ne s'était pas adressé publiquement à ses élèves et les professeurs tentaient de contenir les répliques du violent séisme qui venait de secouer Diolyde. Il savait que cela serait inutile, une initiative que les plus terrorisés ne tarderaient pas à interpréter comme bon leur semblerait. L'homme réfléchissait à un autre moyen de calmer les esprits et de guider les amis de son filleul blessé dans leur quête, ne pouvant difficilement se montrer plus utile. Ces garçons étaient la seule chance à ses yeux de se débarrasser de la menace qui sévissait entre les murs de l'école. Eran et Laurian surveillaient scrupuleusement chaque élève, mais sans plus de succès.

Kourrage pénétra dans l'infirmerie à une heure plutôt calme de la journée, au beau milieu de l'après-midi. Le silence y régnait alors qu'un seul élève y séjournait. Il reconnut immédiatement la tignasse indomptable et flamboyante d'Aaron. Ce dernier sourit légèrement, masquant judicieusement son mal :

—Bonjour, parrain.

—Bonjour, Aaron. Dis-moi, te sens-tu mieux aujourd'hui ?

L'intéressé se redressa sur son siège et soupira discrètement sans se dévêtir de son rictus. Faire comme si tout allait pour le mieux était devenu un véritable talent pour lui. Il opina aussi vigoureusement que son corps meurtri le lui permit avant d'accompagner ce geste par quelques paroles :

—Beaucoup mieux, je vais bientôt pouvoir sortir, je pense.

L'enthousiasme de son filleul ne laissa pas indifférent Kourrage qui le couva d'un regard tendre. Ce garçon ne faisait pas partie de sa famille à proprement parler, mais il avait été un grand ami de son père. Il considérait cette boule d'énergie et de bonne humeur comme son propre fils.

—On verra ce qu'en pense Sylvie. Tu as meilleure mine, c'est bon signe.

Le visage d'Aaron se fendit en une moue désinvolte. Il se sentait tout à fait capable de quitter l'infirmerie malgré les contre-indications de son ainé et de l'infirmière, toujours d'une redoutable prudence.

—Aaron, j'aimerais que tu sois plus prudent à l'avenir. Tu aurais pu être blessé bien plus gravement ou même...

—Ou même mourir ? ajouta le plus jeune, plantant son regard sombre dans celui voisin. Oui, j'imagine que tu n'as pas tort.

L'autre semblait fatigué, bien plus que son cadet, et les heures de sommeil se faisaient toujours plus rares pour le directeur de Diolyde. Il tenait à faire passer le bien de l'établissement avant le sien, négligeant sa propre santé si cela s'avérait nécessaire.

—Il fallait bien que quelqu'un protège Delkateï.

—Et il fallait absolument que ça toi, n'est-ce pas ?

—J'ai fait ce que je pensais être juste, la première chose qui m'est passée par la tête. Je ne le regrette pas, affirma fermement Aaron. S'il lui arrive quelque chose, nous sommes perdus.

Kourrage cligna des yeux à plusieurs reprises devant les propos de son filleul. Son dévouement l'étonnerait presque et méritait d'être médité plus longuement. Il sourcilla, interrompant le fil décousu de ses pensées avant de lancer, à tout hasard :

—Tu as sans doute raison. Les Instincts ont besoin de lui et il est fort probable que tu en fasses partie.

L'Australien haussa les épaules, manifestant un désintérêt qu'il était bien loin de ressentir. À Diolyde, l'existence des Instincts constituait un mythe, un rêve auquel chacun se risquait à croire. Ces personnes dont l'esprit s'apparentait à celui d'une divinité représentaient l'espoir du monde, de l'humanité tout entière.

—Que je sois un Instinct ou non ne change rien. On doit protéger Delkateï à tout prix même s'il faut y laisser la vie.

La dévotion d'Aaron se révélait impossible à blâmer même pour le directeur qui refusait d'envisager que son filleul se sacrifie pour quiconque. Il ferma les yeux douloureusement, reprenant à grandes peines ses esprits. La fatigue le rongeait lentement et il ne pouvait plus se vanter de la même ardeur que ses cadets.

—Tu as l'air encore plus mal que moi, parrain, avança le plus jeune, désireux d'éloigner le sujet de conversation de sa personne.

—Je suis fatigué... avoua-t-il tout en se pinçant l'arête du nez.

Quoi de plus compréhensible ? L'adolescent s'assit plus confortablement sur le matelas moelleux qui s'affaissa tandis que le directeur s'installaut à ses côtés. L'autre tenta de capter son regard sans réel succès, il usa alors de la parole afin d'attirer son attention :

—C'est compliqué en ce moment. Tout le monde a peur.

Kourrage se redressa légèrement sans chercher le contact visuel. Ses traits tirés exprimaient une véritable lassitude.

—Je sais et je ne peux pas leur en vouloir. Je comprends leurs angoisses, elles ne sont que trop légitimes.

—Toi aussi, tu as peur ?

—J'ai peur de ne pas être à la hauteur, oui. Diriger Diolyde est à la fois un honneur et une immense responsabilité que je crains ne pas remplir entièrement.

Il aurait été étrange pour n'importe qui d'entendre ce genre de parole de la part d'une figure aussi inatteignable que celle du directeur. Cet homme à la tête de l'établissement faisait preuve de faiblesse, d'une trop grande humanité. La fragilité d'un être jugé pendant trop longtemps comme insensible.

—Aaron, souffla-t-il. J'ai donné rendez-vous à tes amis dans mon bureau, demain.

L'étudiant connaissait l'identité de chaque personne concernée et il se ferma à peine face à cette affirmation douteuse. Il arqua un sourcil interrogateur, peu certain de comprendre où l'homme souhaitait en venir. Ce qu'il pouvait bien attendre de lui et qui lui déplairait sûrement. Une requête pénible qui ne se risqua pas à envisager, préférant faire face plutôt qu'anticiper inutilement.

—Et qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

—Je ne sais pas encore exactement ce que je vais leur dire et comment leur expliquer. La peur les pousse à se cacher et je crains que ça ne soit plus acceptable à présent. Ils ne peuvent plus cacher leur nature alors que leurs dons pourraient nous aider à découvrir l'identité de l'espion.

—Tu n'as pas répondu à ma question, répliqua Aaron.

Kourrage cessa de fuir le regard de son homologue. Les mots rencontraient la conscience qui les bridait, faisant mourir les paroles avant même qu'elles n'existent. Aaron comprit sans un mot, il s'enquit sourdement :

—Tu veux que je soutienne ce que tu nous diras demain ? Quoi que tu nous demandes ? Que je me contente de dire oui ?

—Oui, et ils t'écouteront sûrement. Nous avons besoin de toutes nos forces et cette cause mérite tous les sacrifices. Je suis navré d'avoir à te demander une telle chose, crois-moi bien.

Aaron s'adossa et se mordit l'intérieure de la bouche. Son parrain ne lui en demandait pas tant avec le recul, mais il se répugnait de parler au nom de quelqu'un d'autre.

—J'y serai, tu peux compter sur moi. Je ne le ferai pas pour moi, mais pour chacun de nous.

—Merci, Aaron, murmura Kourrage, serrant les mains fortes et hâlées dans les siennes.

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Quelques instants plus tôt, au beau milieu des vestiaires déserts se dressaient une silhouette longiligne. Jyn Fyka profitait du calme des lieux pour exécuter impunément de bien sombres desseins.

Ses mains s'agitèrent dans le vide, accrochant quelques parcelles de néant pour en libérer d'autres, brisées à jamais. Très vite, des volutes violettes apparurent du creux de ses paumes pour se répandre devant lui. La puissance de ce sort inconnu fut telle que les longs cheveux de son exécuteur s'élevèrent pour s'emmêler dans une brise invisible. La magie forma des visages d'abord difformes puis distinctement reconnaissables. Kourrage et son filleul entretenaient une discussion animée dont l'objet s'avéra fort pertinent. Il décida de s'y attarder, focalisant son pouvoir sur un intérêt bien personnel pour quelqu'un tel que lui.

Les corps se mouvaient, parfaits reflets d'une réalité qui prendrait son sens quelques minutes plus tard, à plusieurs dizaines de mètres d'ici, et les paroles s'élevaient distinctement. Jyn comprit rapidement de quoi il était question : le directeur encourageait Aaron à soutenir son intervention auprès de ses camarades, la conversation s'éternisant plus que de nécessité, à son grand désespoir. Quelle mascarade ridicule !

Delkateï nous a mis en garde il y a quelques jours, ajouta l'adolescent, sur le ton de la confidence. C'est à propos de la salle où la fille est morte, c'est... c'est comme si la Sixième zone...

—En avait pris possession ? Oui, c'est fort probable. Ne t'en approche qu'en cas d'extrême urgence, ce qu'il se passe là-bas pourrait bien anéantir toute forme de vie qui s'y risquerait.

—Vous pensez que la Sixième zone est derrière tout ?

—Oui, ça ne fait aucun doute, dit Kourrage, d'un air désolé. Et c'est pourquoi il est temps d'agir.

D'un claquement de doigts, les silhouettes aux nuances pourpres s'éteignirent. Jyn, à nouveau seul, venait de faire disparaître tout soupçon de magie. Un don d'un Dieu ou d'un autre qu'il taisait selon son bon vouloir. Cette aptitude lui conférait une supériorité incontestée et dangereuse. Qui sait ce qu'il pouvait bien juger bon de faire de ces dons ?

Il articula alors, un sourire inexpliqué dans la voix :

—Il est temps que les masques tombent !


Un chapitre presque anodin qui laisse présager la suite. Sans l'intervention de Jyn (passage qui a vu le jour avec cette nouvelle réécriture), cela aurait presque semblé calme. 

Le prochain chapitre "Héritage divin" ne sera pas de tout repos. Ce que Kourrage a à dit ne va pas plaire à tout le monde (et devinez qui va s'emporter :p).

J'arrête de vous teaser et je vous dis à la semaine prochaine pour la suite ;3

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