Chapitre 31 : Oeil pour oeil
[La version finale de ce dessin de Ludo. J'aime beaucoup ce personnage alors je suis ravie de le dessiner x)]
Une classe silencieuse et tous les regards rivés sur le professeur qui exposait son cours sans jamais prendre la peine d'interrompre son propre flot de paroles.
L'ennui. L'ennui partagé par n'importe quel étudiant. Les mots s'alignent, prennent un sens ou en sont parfaitement dépourvus, et finissent par mourir au sein d'un calme momentanément retrouvé.
Les adolescents buvaient le savoir de leur ainée de manière plus ou moins sérieuse. Certains obtempéraient de bon cœur tandis que d'autres peinaient à masquer une fastidiosité qui les clouait à leur table pour une sieste bien méritée. Certains prenaient des notes alors qu'une bonne partie se contentait d'écouter d'une oreille distraite.
Aaron comptait parmi les moins concentrés de la petite assemblée. Il s'agitait sans cesse sur son siège et jetait des œillades à ses amis, principalement à la gent féminine plutôt bien représentée.
Jyn se tenait bien tranquille, son cerveau enregistrant par automatisme chaque information déléguée par la femme. Peu de choses qu'il ignorait encore et son sérieux exemplaire illustrait à merveille un de ses traits de caractère.
Déméter et Eole, côte à côte, manifestaient la même attitude. Une écoute quasi irréprochable propre aux deux garçons, une volonté de bien se comporter dans ce cours de mathématique qui les intéressaient tous deux.
Delkateï faisait preuve de moins d'assiduité, les notions primaires de cette matière lui paraissaient bien trop complexes. Les différents types d'équations se mélangeaient ainsi que leur utilité dans son esprit déjà comblé par d'autres priorités. Il avait tenté de comprendre, un pli barrant son front, puis avait abandonné, ne prêtant qu'une oreille peu assidue au monologue interminable du professeur.
Milada Crasivo était chargée d'inculquer les mathématiques aux élèves de Diolyde et ce, depuis de longues années. Elle faisait d'ailleurs son possible pour mener son objectif à bien, et ne lésinait pas sur l'investissement de ses protégés. Du haut de son mètre cinquante, elle partageait ses connaissances avec toute la passion que cette discipline éveillait en elle. Sa tignasse noire épousait chacun de ses pas lorsqu'elle comblait les allées qui la séparaient des étudiants. Son entrain peinait toutefois à les toucher parfaitement, à produire en eux une quelconque once d'intérêt pour sa matière.
— Des questions ? Vous êtes certains d'avoir bien compris ? Quelqu'un voudrait que je répète quelque chose ? N'hésitez pas s'il y a une notion que vous ne comprenez pas. L'interro est programmée pour mardi alors c'est maintenant ou jamais.
Delkateï sursauta presque face à la motivation de la trentenaire. Il se tira de la contemplation de la salle de classe à contrecœur, il ne se lassait pas de détailler la voute du plafond et les sculptures magnifiquement réalisées. Milada dardait son regard acéré sur chaque occupant de la pièce sans obtenir la moindre réponse. Elle se rabattit sur l'Italien qu'elle encouragea à s'exprimer distinctement de manière plus que pressante. Celui-ci se trouva forcé de prononcer ces quelques mots, blasé face à une mauvaise note qui se profilait à l'horizon :
—C'est bon, madame. J'ai tout compris.
La réponse la plus polie qu'il put articuler alors qu'une autre, bien moins correcte, se peignait déjà en lettres capitales dans son esprit. Le professeur sembla pourtant s'en satisfaire, reportant son attention sur sa prochaine victime. Jo, installé au fond de la salle à côté de Calysta, n'avait pu ravaler un gloussement bien audible au milieu d'une discussion fort intéressante avec sa voisine de table.
—Jo, je vois que tu es en forme et bien réveillé. Que dirais-tu de répondre à l'équation au tableau ?
—Bien sûr, madame Crasivo, opina le susnommé, sans se dépourvoir de son sourire à la fois aimable et ravageur.
Il passa sa main dans ses cheveux blonds fraîchement coupés et accorda un regard pour sa petite-amie. Il se leva d'un bond et se dirigea jusqu'au tableau où la trentenaire lui tendit une craie blanche. Il s'en saisit, jetant une œillade à son public juste derrière lui avant de se tourner face à la surface noire et plane. En quête d'inspiration, il admira un court instant l'équation qui le narguait.
—Je compte sur ton sérieux pour donner l'exemple. J'espère que les résultats de ce contrôle ne seront pas aussi catastrophiques que les derniers et que ce que votre manque de participation me laisse présager.
Toute l'assemblée put deviner le rictus de l'élève pourtant dos à eux. Il commença à noter une réponse que Jyn compris fausse au premier regard. Sa silhouette longiligne se tassa sur la chaise, lassé du manque d'intelligence de son camarade. La craie de ce dernier échappa à ses doigts malhabiles d'ailleurs à terre avant de se briser sous le choc. Plusieurs morceaux se formèrent sur l'estrade et Milada fronça les sourcils. Jo se pencha en avant pour ramasser l'objet de sa maladresse tandis que son ainée le devançait déjà :
—ça ira Jo, tu peux retourner à ta place. Je m'occupe de ça et on va corriger ensemble ce que tu as...
Elle n'eut pas le loisir de finir sa phrase, les derniers mots restèrent coincés dans sa gorge où ils moururent avant même d'avoir la chance d'exister. Sous les dizaines de paires d'yeux braquées sur elle, le professeur se courba en arrière, ses yeux s'écarquillant alors qu'un impact semblait la heurter de plein fouet.
—Madame ? s'enquit Jo, toujours sur l'estrade. Professeure ?
Aucune réponse ne s'éleva, dûment remplacée par un murmure effaré entretenu par l'ensemble des étudiants. Les traits gras de Milada se tordaient de douleur et son corps observait un angle des plus inquiétants. Sa bouche entrouverte ne laissait rien échapper, faisant peser un suspens désuet. Un chuchotement mit un terme au silence :
—Aidez... moi.
Ces simples mots tirèrent une réaction aux adolescents. Delkateï fut le premier à réagir, bien plus troublé qu'il ne saurait l'admettre :
—Allez chercher quelqu'un ! Le directeur, Laurian, n'importe qui !
Déméter donna un coup de coude né du réflexe à son voisin de table. Eole était de loin le garçon le plus rapide de l'école, un avantage de taille pour le défenseur de l'équipe de football. Cette qualité proche du don que son ami lui rappela soudain. Le Russe murmura, plus pour lui que pour les autres dont une bonne partie ne saisit même pas le sens de ses paroles :
—Andrew.
La nécessité de la présence du géant s'imposa à lui, ne faisant aucun doute. Jyn opina avec aplomb, se tirant de la fascination qu'il entretenait pour l'étrange situation. Une fascination malsaine. Il lança, à la hâte :
—Fais-le venir aussi et surtout, fais-le vite !
—Dépêchez-vous ! glapit Jo, le dos collé contre le tableau dans l'espoir supposé d'y disparaître.
Eole acquiesça vivement, le stress faisait office d'adrénaline et se répandait déjà dans son organisme. Il se leva de son siège et s'éclipsa en deux enjambées, disparaissant comme l'image du seul espoir d'une classe au supplice. Le professeur se dressait au bord de son bureau, le dos tordu jusqu'à la rupture. La position n'aurait dû lui permettre de tenir debout et, pourtant, elle ne chutait pas, suspendue par une force divine. Ses muscles tremblaient, subissant cette pression qu'un corps humain ne saurait supporter.
—Je...
Une fois encore, les mots restèrent coincés dans sa gorge, comme si quelqu'un tentait de les retenir, les empêcher de sortir de sa bouche. Comme si le contrôle de son propre corps lui était progressivement retiré. Des larmes s'accumulèrent dans ses yeux où une drôle de lueur planait déjà. Les secondes s'écoulaient sans que la situation n'évolue. Le choc paralysait toujours les élèves et leur ainée semblait sur le point de s'écrouler. Une respiration rauque s'échappait d'entre ses lèvres jusqu'à ce que des paroles parviennent à emplir le silence oppressant de la pièce :
—I-Ils vont nous détruire...
Son expression changea de tout au tout, une ombre se dessina fermement sur ses traits figés. Elle se redressa lentement, son corps secoué par des inspirations bien trop rapides. Les muscles crispés, la tête se mouvant imperceptiblement au même niveau que les épaules, son regard balayant la petite assemblée. Comme si ces visages horrifiés n'étaient pas tournés vers leur professeur. Comme si ses orbes clairs décelaient autre chose que la réalité.
—Professeure ? répéta Jo, d'une voix mal-assurée.
Ses lèvres tremblèrent un moment, son regard oscillant dangereusement un peu partout dans la pièce, roulant dans l'orbite.
— À petit feu, le Mal va détruire ce qu'il reste de cette école. Il n'y aura pas de combats, juste la déchéance, la descente aux enfers et les convictions déchirées.
Les mots en dévoraient d'autres, comme si les idées se bousculaient à tel point où elles peinaient à sommeiller encore. Un amas informe de choses indiscernables pour l'humain.
—Vous êtes déjà perdus et le monde tombera à votre suite.
Les prunelles se stabilisèrent un court instant, se posant méticuleusement sur chaque élève glacé par les lugubres propos.
—Ceux qui sont déjà morts ne sont que des avertissements, la véritable victime attend encore. Les pions de l'échiquier sont en place et l'ultime pion vient de se mettre tout juste de rejoindre les autres. Le seul qu'il faudra abattre pour que tous les autres se rendent et s'inclinent. L'ultime joueur.
Plus personne ne respirait, comme si la vie elle-même se suspendait au profit de ce douloureux spectacle. Chacun portait en lui le souhait de hurler, de s'époumoner, de lui crier de se taire. Pourtant, la peur scellait les bouches et capturait les pensées rebelles pour les réprimer durement. La tension avoisinait l'insupportable et son poids écrasait les adolescents qui ne songeaient plus qu'à sauver leur égoïste petite existence.
Milada, bien qu'il ne s'agisse vraisemblablement plus d'elle, continuait d'observer ses otages. S'abreuvant du silence, de cet affreux silence bien plus dévastateur que les mots. Ils attendaient la suite, une fin, un dénouement, sans que l'on daigne le leur offrir. Son regard s'arrêta soudain, bien fixe et un seul garçon eut le loisir de lire la folie qui habitait ses prunelles. Un seul concerné parmi tous ses camarades. Delkateï se sentit mourir.
La créature murmura, un sourire dans la voix et dans le cœur :
—C'est bien toi...
Une ambiance sympathique qui fait plaisir à voir !
Un véritable coup de pression dans l'intrigue maintenant que Delkateï a quelques cartes en main.
La prochaine partie, "Pièce maîtresse" mettra les personnages dans une position délicate. L'atmosphère sera tout aussi tendue, voire même encore davantage ...
Kiss sur vous !
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