Chapitre 3 : Retrouvailles
[En média : Joy, la mère de Delkateï. ]
Ils traversèrent ensemble les rues de Naples. Au grand soulagement de Laurian, celles-ci faisaient de plus en plus larges et lumineuses. Le silence pesait sur leurs épaules, mais aucun des deux n'eut le cran de le briser.
Le garçon n'avait pas eu vent de ce qui avait fait les gros titres dans le pays entier. Peut-être parce qu'il était alors trop jeune pour ce genre d'histoire que l'on préfère épargner aux enfants, par sécurité.
Mais la vérité était que ce type de tragédie ne parvenait pas jusqu'à la banlieue de Naples. Ici, on ne se préoccupait que du réel, de ce que l'on avait devant soi, pour soi. Il n'y avait pas de place pour les médias, pour ce que les médias diffusaient en boucle, pour tous ces mensonges ! Delkateï les détestait, ces visages qu'il voyait à l'occasion sur les vieux magazines qui souillait le sol terreux. Ces masques radieux, cette joyeuse hypocrisie et tout ce luxe. Il haïssait ce bonheur fabriqué de toute pièce et dont ils ne tiraient aucun mérite. Pour cette facilité, pour cette vie qui ne souriait qu'à eux.
L'adolescent s'efforça de demeurer impassible durant le quart d'heure de trajet. Pourtant, il mourait d'envie de fausser compagnie à cet inconnu. Cela aurait été si simple, un petit sprint sur une centaine de mètres et il rentrerait chez lui sans n'en parler à personne. Cette mésaventure ne resterait qu'un souvenir comme un autre. Une histoire qui aurait pu s'écrire.
Soudain, Delkateï bifurqua dans une ruelle sombre et s'arrêta devant un petit immeuble à l'apparence délabrée. Il déverrouilla la porte d'entrée dans un cliquetis significatif. Après quelques pas dans un couloir obscur et jonché de cadavres de bouteilles auxquels l'adolescent n'accorda pas le moindre regard, il ouvrit la seconde issue. Laurian observait avec attention les lieux, et ce depuis son arrivée à Naples. L'âme des malheureux s'envolait ici, là où les mots ne pouvaient plus rien !
Le Napolitain se retourna vivement et dévisagea son vis-à-vis droit dans les yeux sans sourciller. Il siffla, dangereusement :
—Ne lui dites pas un mot de ce que vous avez vu ! Pas un seul !
Ce n'était pas une question ni une suggestion. Non, il s'agissait d'un ordre qui ne laissait place à aucune objection. Et Laurian ne s'y risquerait pas.
La porte émit alors un grincement s'apparentant à une plainte sourde qui arracha une grimace à l'ancien footballeur. Un petit salon apparut. Une cuisine équipée du strict minimum, une table en bois vieilli et recouverte d'une nappe aux motifs enfantins. L'ensemble se révélait sobre et n'étonna guère l'étranger.
Une femme aux traits fins et gracieux fit irruption de derrière l'escalier. La trentaine tout au plus, elle dégageait quelque chose d'absolument irrésistible. Un brin de fraîcheur, un petit rayon de soleil, un être bien trop pur pour ce bas monde. Sa beauté avait quelque chose de naturel, entièrement dépourvue d'artifices.
Lorsque son regard croisa celui de Laurian, son visage s'illumina et se fendit d'un sourire resplendissant. Elle se jeta presque dans ses bras, son enthousiasme manquant de renverser l'homme. Elle semblait presque enfantine avec ses cheveux gris platine rassemblés en queue de cheval derrière sa nuque et ses grands yeux bleu clair.
Laurian cacha au mieux son étonnement devant cette démonstration excessive de joie. Joy se détacha finalement de lui, pleine d'une sincère allégresse :
—J'y crois pas ! Ça fait combien de temps, dix ans ?
—Un peu plus en réalité... rétorqua l'autre, un sourire naquit à la commissure de ses lèvres.
—C'est dingue, tu n'as pas changé d'un cheveu !
Cette fois, l'ancien athlète s'esclaffa du bon cœur. Elle non plus n'avait pas changé, et c'était peu dire. La jeune fille insouciante et rieuse d'autrefois se tenait juste ici. Il savait toutefois que derrière ce sourire éclatant, se cachait une femme que l'on avait blessée. Il pouvait deviner que la vie ne l'avait pas épargnée et qu'elle avait certainement souffert au-delà de l'imagination.
—Toi aussi, tu es exactement la même. Tu es magnifique, Joy.
Elle rosit légèrement sous le compliment, jetant un bref regard à son fils qui se tenait en retrait et qui observait la scène avec méfiance puis lança :
—Assieds-toi, Laurian.
Il accepta la requête poliment, s'asseyant doucement sur la chaise, de peur qu'elle ne se brise.
—Je n'ai pas grand-chose à te proposer... Un thé, ça te va ?
—Va pour un thé !
Elle s'affaira donc devant la cuisinière, avec toute l'aisance synonyme d'habitude. Sa précarité n'était plus un secret et elle ne faisait rien pour la masquer. Elle déposa une tasse fumante face au trentenaire, pourvue de ce même sourire poli.
—Delkateï, tu veux bien nous laisser un moment, Laurian et moi ?
L'adolescent esquissa le mouvement de s'en aller, parfaitement docile. Cette soudaine obéissance étonna Laurian, il n'avait plus rien à voir avec le garçon qu'il avait rencontré moins d'une heure auparavant.
—Non ! En fait, je dois vous parler à tous les deux, s'exclama l'ancien footballeur.
Instantanément, Joy fronça les sourcils, déjà sur la défensive. Son instinct ne lui laissait rien présager de bon, rien qui vaille à ses yeux de mère qui s'assombrirent alors qu'elle risquait un regard pour son fils.
—Très bien.
Et Delkateï s'assit, toujours sans un mot. Il était juste fermé et froid, un peu distant peut-être, mais il n'y avait rien de provocateur en lui. Une maîtrise de soi qui n'aurait pas manqué d'impressionner Laurian si la situation le lui avait permis. L'adolescent enfermait l'agressivité au fond de lui, ne conservant que son éternelle méfiance.
Il ne souhaitait pas qu'elle apprenne que son fils passait ses journées à boire pour oublier. Que son fils était déjà une loque, un bon à rien à son âge. Delkateï souhaitait que Joy garde de lui cette image : celle d'un enfant. Il ne voulait pas blesser la personne qui comptait le plus à ses yeux, celle qui avait tout donné pour lui.
—Alors, qu'est-ce que tu avais de si important à nous dire ?
Joy attendit, sa tasse de thé fumait juste devant son visage. La curiosité se lisait sur tous les traits fins de son minois de poupée, mélangée à une angoisse toute naturelle. Laurian hésita, plus nerveux qu'à l'ordinaire. Il était pourtant habitué à vivre une situation similaire. Mais cette fois-ci se dévoilait différente : cela impliquait une part de sa vie, des souvenirs enfouis depuis des années et qui menaçaient de refaire surface. Il ne pouvait pas agir comme il l'avait toujours fait, avec détachement et recul.
Il réfléchissait le plus rapidement possible. Finalement et après quelques instants de flottement, il se lança :
—Joy, est-ce que le nom de « Diolyde » te dit quelque chose ?
—Non, absolument rien.
La réponse avait claqué, brutale et sans appel, ne laissant sa place ni au doute ni à quoi que ce soit d'autre. Elle ne mentait pas.
—Diolyde est une école. Une école spéciale et très sélective, elle accueille des lycéens du monde entier pour une durée indéterminée et variable en fonction des élèves.
—Et est-ce que tu pourrais être un peu plus précis, en quoi est-elle spéciale ?
Laurian s'accorda une courte pause. Delkateï écoutait attentivement, affalé sur son siège. Joy, quant à elle, devinait malgré elle l'issue de cette conversation imposée. L'ancien footballeur reprit, après une gorgée de thé brûlante :
—Des matières sont spécifiques à cet établissement. Les sports occupent une grande partie de l'emploi du temps. Le foot, l'équitation, le karaté et la natation principalement. Les élèves ont aussi l'opportunité d'apprendre à se défendre en plus des matières scolaires, qui ne sont pas négligées pour autant. Il s'agit d'un programme à part et complexe.
—Est-ce que je dois en conclure ce qu'il s'impose ?
—Tu as toujours été vive d'esprit, Joy. Dis-moi !
—Tu voudrais que Delkateï aille dans cette école, soupira la trentenaire, sans un regard pour son homologue.
Son ton était presque accusateur, un brin las aussi. Comme si elle savait que le combat était perdu d'avance. Elle semblait avoir vieilli de dix ans en à peine quelques minutes. Ses yeux se fermèrent, presque douloureusement. Son fils ne comprenait pas l'étendu de la situation, les sourcils froncés sur ses orbes purs.
—Joy, écoute : c'est une chance en or pour lui. Là-bas, il pourra faire ce qu'il aime au milieu de personnes aussi passionnées que lui. C'est un avenir que je lui offre !
—Mais qu'est-ce que tu crois ? Que tu peux arriver comme ça après plus de dix ans et emmener mon fils « je ne sais où » sans problème ? s'enflamma Joy, une lueur brillant tout au fond de son regard
—Maman... intervint Delkateï, doucement.
La jeune mère avait complètement oublié sa présence et avait parlé exactement comme s'il avait effectivement rejoint sa chambre. Le Napolitain cherchait ses mots, caché derrière ses cheveux trop longs :
—Je ne pense pas que ce serait une si mauvaise idée...
Joy se décomposa et Delkateï s'en voulut immédiatement, malgré la prudence dont il avait fait preuve. Laurian ne masqua pas son étonnement face à ce revirement inattendu.
—Je ne connais rien de cet endroit, absolument rien et qui me dit que c'est un bon établissement ? Qui me dit que tu y seras bien ?
—Joy, je suis persuadé qu'il s'y plaira. Je suis professeur là-bas et je te promets de garder un œil sur lui, si ça peut te rassurer.
L'adolescent ravala une de ses remarques acides. Il avait l'impression de redevenir enfant, on parlait de lui comme d'un satané môme irresponsable et dont la surveillance était un fardeau. Lui aussi se voyait submergé de son lot d'interrogations, mais l'occasion était trop belle pour être oubliée.
—Tu reviens après plus de dix ans d'absence et tu veux me prendre mon fils ? Comme ça, sans explications ni garanti ? Je les connais tes belles promesses, Laurian !
Derrière cette certitude apparente, Joy hésitait, prise entre deux forces contraires et en proie à de multiples interrogations. Laurian reprit à nouveau, toujours aussi calme :
—Je ne vous demande pas de réponses maintenant, il vous faut du temps et je le conçois. Je peux vous donner plus d'informations plus tard. Vous pouvez en discuter tous les deux et y réfléchir.
—C'est hors de question, murmura la femme.
Ces dernières paroles ne se révélaient pas aussi catégoriques que l'on pourrait se plaire à penser. Cela ressemblait davantage à un cri du cœur, à une plainte, une supplique. Son vieil ami opina très lentement, ayant prévu ce genre de parade, prêt à poser son ultime carte :
—Joy, est-ce que je pourrais te parler un moment seul à seule ?
Elle tiqua à peine, la mâchoire serrée. Elle était sur le point de refuser, pour sa propre sécurité, par égoïsme peut-être. Elle avait peur de se retrouver sans défense face à cet homme, elle craignait ce qu'il allait lui avouer.
Joy imaginait déjà l'envers du décor. Rien n'était parfait, la jeune mère ne le savait que trop bien ! Son vieil ami lui cachait bien des choses et elle n'était pas dupe. Il y avait tant de clauses à prendre en compte, de possibilités qui n'attendaient qu'à être envisagées. Que pouvait-elle encore y faire ?
Alors que Delkateï conservait un mutisme buté, Laurian prenait conscience de la réticence de l'Italienne.
-Tu sais bien que ça ne dépend pas de moi, Joy.
Les souvenirs avaient été trop longtemps enfouis et ils ne pouvaient pas y échapper. La complexité de leur histoire commune n'avait pas disparu. L'empreinte des Dieux, ces créatures mythiques, n'avait jamais été aussi réelle. Cela restait gravé en eux, dans leurs chairs, dans leurs cœurs et dans leurs âmes. Non, les années ne pouvaient rien n'y faire. Rien pour cette histoire incroyable et ces destins entremêlés. Rien pour tout cela !
Il est à nouveau question des Dieux et le prochain chapitre leur sera presque intégralement dédié.
J'attends vos avis sur cette partie avec impatience, vos ressentis sur l'évolution de l'histoire et sur un Delkateï drôlement docile.
A la semaine prochaine, les poneys.
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