Chapitre 29 : Douloureux affronts

[Aaron sans encrage et ENFIN un dessin actuel, en couleur. De notre petit gars populaire en plus et j'ai tout donné sur les cheveux :3]


Un long silence s'installa alors. Un silence durant lequel Delkateï tenta de reprendre ses esprits, de rassembler quelques bribes d'idées. Et surtout, il se força à repousser sa colère hors de son jugement. Eole ne bougeait pas, réfléchissant à toute allure et priant pour que ses camarades reviennent vite.

Finalement, l'Italien se redressa sur le matelas, le regard braqué droit devant lui. Il avait mal. Mal au cœur et mal à chaque cellule de son être. Comme si les paroles de son géniteur le blessaient aussi physiquement. Le corps lourd, il n'eut pas le courage de se relever complètement ou d'affronter le regard sans fond de son homologue.

—Il parlait de quoi mon père ? C'est quoi les Instincts ?

Le Russe chercha ses mots pendant une poignée de secondes. Il déglutit péniblement, ses yeux guettant une issue à cette impasse autour de lui. Delkateï le coupa brutalement dans sa réflexion, se redressant :

—Ne réponds pas tout de suite. J'ai besoin de faire un tour, sinon je vais vraiment finir par devenir fou.

Il passa le pas de la porte à grands pas, invitant implicitement son homologue à le suivre. Ils marchèrent presque tranquillement dans les couloirs de Diolyde. Les salles de classe étaient presque toutes vides, l'écrasante majorité des élèves profitant de cette fin d'après-midi pour vaquer à diverses activités sportives.

Après une minute de silence, les bribes de conversation que le Napolitain détestait entretenir revinrent se bousculer au creux de ses lèvres. Il ferma les yeux un court moment, comme pour ressentir le lieu qu'il traversait et la magie qui semblait l'habiter, aussi incroyable cela puisse paraître. Après avoir allumé une cigarette et en avoir tiré une première bouffée sous le regard désapprobateur de son camarade, il articula, sans hausser le ton :

—Tu dois être un minimum concerné, sinon tu te serais pas excusé juste avant. T'as peur de quoi exactement ? Que je t'en veuille ou que je te refasse le portrait ?

—J'ai juste peur que tu ne comprennes pas, avança le jeune homme, la gorge nouée.

—Faut dire qu'on ne m'aide pas à comprendre.

Désabusé, Delkateï s'efforçait pourtant de ne pas laisser la colère le guider à nouveau. Eole prenait toutes les précautions envisageables pour s'adresser à lui, comme l'on s'adresserait à une bombe à retardement. Au fond, peut-être était-ce l'image la plus exacte. L'adolescent se poussa à reprendre, sans jamais cesser de fouler le sol de l'école :

—On me donne les informations une à une et j'ai l'impression qu'il me manque le plus important. Ça me rend totalement dingue. J'y réfléchis tout le temps et toujours rien. Rien quand j'essaie d'avoir ces putains de réponses. Rien de rien.

Le Russe ne trouva rien à répondre. À quoi bon ? Il comprenait qu'il n'échapperait pas aux interrogations de son interlocuteur. Pire, il prenait conscience qu'il n'aurait pas la force de conserver le même silence que ses pairs.

—Mon père m'a dit que les élèves n'étaient pas là par hasard. C'est quoi ta spécialité ? Pourquoi t'es là ?

—Le jugement de Laurian et celui des Dieux méritent une part d'erreur. Les êtres vraiment spéciaux sont plus rares.

—Te fous pas de ma gueule ! C'est quoi ton truc à toi ? Tu grimpes aux murs et tu craches des fourmis ?

Delkateï cherchait le contact visuel, y sondant la réponse à ses interrogations, à cette ironie presque écœurante. Contact visuel qu'Eole évitait délibérément. Le jeu du chat et de la souris. La proie s'échappant sans cesse entre les griffes acérées du prédateur qui ne relâcherait jamais son emprise. À moins qu'ils ne soient deux victimes d'un ennemi commun.

—C-C'est compliqué à expliquer, vraiment trop compliqué, balbutia Eole, accélérant le pas comme pour échapper à cette éprouvante réalité.

—Jyn m'a beaucoup parlé du Mal. Il m'a aussi parlé de toi.

—Jyn sait des choses et il se trompe rarement.

L'Italien s'arrêta brutalement, le regard fixe. Un couloir s'étendait devant ses yeux et il laissa couler plusieurs secondes comme pour donner la chance à son vis-à-vis de reconnaître l'endroit. Un vent froid vint hérisser un frisson sur la peau dénudée de leurs bras.

—Qu'est-ce que l'on fait là ? Pourquoi tu nous as amenés ici ? Delkateï ! s'emporta soudainement le Russe.

La lèvre inférieure de ce dernier se mit à trembler sous le regard scrutateur de Delkateï. Bientôt, cette démonstration de faiblesse gagna tout le corps fin du garçon.

—Tu sais où on est ? s'enquit le nouvel élève, d'une voix grave.

—Oui. Là où siège le Mal.

L'intonation était un ton plus bas qu'à l'ordinaire et le Napolitain distingua tout nettement l'améthyste dévorer le bleu des yeux de son ami. Une lueur étrange y brillait tout au fond, comme la présence d'une autre forme de vie derrière la conscience de l'adolescent. Masquée par la raison, une seconde existence se complaisant dans le mensonge.

Cette vision bloqua son interlocuteur dans son mutisme, dans son incapacité à exécuter le moindre mouvement. Le regard d'Eole était braqué droit devant lui, ses pieds fermement ancrés dans les briques. Il déclara, pour lui plus que pour personne d'autre :

—Le vortex vous dévore déjà, l'ennemi sera bientôt là.

—Eole ! rugit Delkateï, dans une tentative désespérée de le ramener à la raison.

Alors que la main de ce dernier s'abattit sur l'épaule du Russe, celui-ci sursauta violemment. Il inspira une profonde goulée d'air avant de déposer ses yeux, à nouveau parfaitement normaux, sur son homologue. Qu'était-ce que cela ? Que venait-il de se produire au détour d'une folie ?

—Eole ? Qu'est-ce que tu as ?

—O-On peut s'en aller s'il te plait ? prononça précipitamment le jeune homme, un éclat de panique dans la voix.

Delkateï obtempéra sagement. Ils s'éloignèrent du couloir, de ce couloir. Il sentit progressivement la tension qui habitait son camarade le quitter. L'atmosphère n'était plus glaciale et le corps de l'élève reprit quelques couleurs. Il trouva la force de s'exprimer, d'un air mal habile :

—La Malédiction des Dieux... Elle te permet d'éveiller la vraie nature des hommes.

—Et ce que j'ai vu c'était...

—Jyn a raison, le coupa Eole, telle une lame fendant l'air. On a tous une part d'ombre et on en a honte. Le Mal, je ne le contrôle pas. Une fois qu'il est éveillé, je ne suis plus moi. Je...

Il secoua son visage de droite à gauche, comme pour échapper à une émotion parasite. À moins que ce soit lui qu'il cherche à fuir dans une tentative tout à fait ridicule. Il ne parvint pas à construire la fin de sa parole, l'abandonnant ainsi, inachevée. Il s'arrêta brutalement, comme pour tenter de se remettre de ce qu'il venait de vivre. Delkateï l'observait d'un œil inquiet, à la fois profondément intrigué par ce mystère et effrayé par ce qu'il venait d'entrevoir.

—Je suis désolé, souffla péniblement le Russe. J'ai peur qu'un jour, le Mal me détruise et j'en ai honte.

—Pourquoi ? Si ce que tu dis est vrai, vous devriez vous entraider.

—On en a tous honte, Delkateï. Je ne suis pas le seul.

Ils préféraient tous souffrir en silence plutôt que mettre des mots que l'origine de leur douleur. Comme une volonté de se protéger de l'ennemi qui semblait se profiler à chaque coin d'ombre. Un réflexe purement humain qui les poussait à agir aussi égoïstement qu'envisageable.

Le susnommé se pinça l'arête du nez. Il n'était visiblement pas le seul à souffrir de la situation, mais devait-il s'en sentir soulagé ? Sa rage ne constituait plus qu'un lointain souvenir.

—Je suis désolé, répéta encore Eole, le cœur au bord des lèvres. S'il te plaît, ne dis rien aux autres, ils ne doivent rien savoir.

Delkateï posa une main rassurante sur l'épaule de son camarade. Celui-ci tituba légèrement sous sa poigne avant de lancer une œillade reconnaissante au nouvel élève. Certains de ses amis savaient déjà, d'autres se méfiaient alors que les derniers ignoraient tout. C'était cela, Diolyde, un amas de beaux mensonges et de secrets à vif.

—Ils finiront bien par savoir, observa l'Italien, aussi calmement que possible.

—Je sais, dit l'autre, tristement. Et tu sauras aussi, un jour ou l'autre.

Ils se remirent en marche sans un mot de plus. Ils quittèrent la froideur inquisitrice qui ne demandait qu'à les attirer en son sein, pour retrouver la chaleur rassurante de Diolyde. Le cœur d'Eole battait furieusement, prisonnier de sa cage thoracique. La sensation qui parcourait son organisme était bien au-delà de simplement désagréable. Il avait le sentiment que l'on tentait de lui extraire la main mise sur son propre corps. Il repoussa de toutes ses forces la persévérance de l'intrus, une goutte de sueur roulant le long de sa tempe.

Delkateï poursuivait sa route en direction de la chambre, sachant pertinemment qu'il devrait faire face à une conversation imposée. Moins d'une minute s'écoula avant qu'il ne se trouve devant la porte close, dernier obstacle physique aux réponses qui lui avaient été interdites. Derrière lui, son homologue patientait sagement, redevenu parfaitement impassible. Le regard azur du Napolitain balaya le bois vieilli avant d'abaisser la poignée et de s'engouffrer à l'intérieur.

Devant lui se tenaient tous ses camarades de chambre sans la moindre exception. Le sérieux dont ils faisaient preuve leur ôta toute esquisse de naturel, tout comme l'alignement dont ils faisaient l'objet. Andrew et Ludo étaient présents eux aussi, pourvus de la même mine grave que leurs camarades. Ils sentaient la peur. Odeur infecte et pestilentielle, flagrance de lâcheté et de terreur. Jyn la percevait mieux que quiconque, le menton haut et le visage n'inspirant pas la moindre sympathie.

—Delkateï, commença Aaron, moins assuré qu'à l'ordinaire.

La fin de sa phrase ne lui appartenait plus. Elle se répandit en écho dans toute la pièce avant que quelqu'un n'ait le courage de la prononcer à vive voix. Avec sa retenue habituelle, Déméter s'en chargea, lui-même étonné de sa propre audace :

—On a à te parler.


[Chapitre intégralement réécrit]

 Aperçu d'une part plus sombre de ce cher Eole, des théories sur ce qu'il peut bien tenter de cacher ?

Le prochain réunit tous les personnages adolescents ou presque. Il se nomme "Les Instincts" et contient pas mal de révélations, accrochez-vous !

A samedi pro ~

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