Chapitre 26 : Aux yeux des dirigeants

[Un autre dessin de Delkateï, il faut que je me familiarise avec ses traits à mon petit bébé d'amour]


Delkateï errait entre rêve et réalité. Entre la conscience et le néant qui l'attirait, bras et mains tendus en sa direction. Une solution bien séduisante alors que son corps restait solidement ancré sur son lit. Son âme semblait flotter, tandis que le monde l'atteignait encore, comme par échos difficilement perceptibles.

Malgré sa résistance, Morphée l'emportait à sa suite et il peinait à se maintenir légèrement éveillé. Des bribes de conversation lui parvenaient, attisant son attention et sa curiosité. L'adolescent luttait contre l'épuisement de son corps et de son esprit.

Des voix familières l'éteignirent et il dut se concentrer pour capter le sens de ces paroles. Les personnes autour de lui ne connaissaient pas l'exactitude de son état. Ses yeux clos en dupaient plus d'un, mais l'entraînaient vers ce qu'il se refusait d'admettre, à savoir la noirceur épaisse du sommeil.

Dans l'ignorance parfaite, les dirigeants de Diolyde se réunissaient, et Delkateï les écoutait attentivement. Il se délectait des secrets dont on lui cachait encore l'existence dans un silence total.

Trois hommes discutaient dans le plus grand sérieux, les traits tirés et fatigués. Persuadés que l'Italien dormait, ils ne faisaient preuve d'aucune once de discrétion. Ce dernier avait été déplacé de manière provisoire dans une autre chambre, celle-ci se trouvant entièrement déserte. Une lumière basse s'y diffusait, dessinant des ombres chatoyantes sur les murs .

Kourrage venait de s'assoir sur la chaise à côté du lit, caressant pensivement sa barbe de quelques jours. Le directeur se complaisait dans un mutisme songeur, plongé dans une réflexion des plus complexes.

Par respect, Laurian fit son possible pour conserver ce semblant de calme. Tenu au bout de la couche, il observait l'adolescent avec stupéfaction. Cette surveillance aguerrie ne l'empêcha pas de garder un œil sur son vieil ami.

Celui-ci se balançait d'un pas à l'autre, les lèvres pincées dans l'espoir de ne pas laisser s'échapper la remarque acerbe qui brûlait sa bouche. La vision de son fils souffrant de la sorte demeurait douloureuse pour le trentenaire.

—Tu as pu récupérer la lettre, Laurian ? s'enquit l'ainé, doucement, comme si briser le silence relevait du plus grand des blasphèmes.

—Oui, elle est en sécurité dans ton bureau.

Kourrage opina avec lenteur alors qu'Eran jetait un regard mauvais à l'ancien footballeur. Il n'y avait pas la moindre rancune dans ce contact visuel, rien qu'un pénible agacement de la part de l'homme. Ce dernier lança, las d'attendre des paroles qui ne se décidaient pas à se faire entendre :

—Et qu'est-ce que l'on est censé faire maintenant ?

—Si la nouvelle s'ébruite, ça sera la panique dans toute l'école, renchérit Laurian, bien plus calme que son ami. Ce ne sera pas seulement les parents inquiets que nous aurons à gérer, mais aussi la peur de tous les élèves.

—Oui, j'en ai conscience. Je détruirai d'abord cette lettre avant qu'elle ne tombe entre des mains innocentes ou que son propriétaire n'en fasse à nouveau usage.

—Et les garçons ? Andrew, Ludo et Eole ?

—Andrew m'a promis qu'il ne dirait rien, je ne doute pas de son influence sur le jeune Fyka. Quant à Eole, il ne devrait pas chercher à alimenter une telle rumeur. L'information doit rester secrète jusqu'à nouvel ordre ou la situation nous échappera, acquiesça le plus âgé, se pinçant l'arrête du nez.

—Il n'est pas encore temps, assura Laurian, dans un murmure.

Eran serra les dents fortement pour ne laisser échapper aucun son. Le second trentenaire à ses côtés lui intima de se taire, à l'aide d'une mimique prononcée et d'une œillade appuyée. Un échange bref avant que le paternel ne demande, envers et contre tout avertissement et après avoir accordé un regard à son fils prétendument endormi :

—Et Delkateï ?

—Il ne doit rien savoir de plus, il en sait déjà bien assez pour le moment, énonça le directeur, sagement.

—Assez ? Vous pensez qu'il en sait assez ?

L'homme avait considérablement haussé le ton, laissant libre cours à son incompréhension mêlée d'une fureur sourde. Il restait un père. Un père séparé de son fils, mais qui n'avait jamais cessé de l'aimer.

Kourrage sourcilla devant cet accès de colère aussi soudain qu'incontrôlé. Il n'y était que très peu habitué et ne masquait d'ailleurs pas son étonnement.

—Tu sais très bien que trop lui en dire serait le rendre vulnérable dès maintenant. Avec la menace qui pèse sur nos épaules, nous ne pouvons pas nous permettre de le mettre en danger. Lui, comme nous tous. Et tu as déjà pu lui parler, il sait la vérité pour Joy et toi. Il sait pour la Malédiction, c'est suffisant.

— Je n'ai fait que t'écouter et il n'a eu aucun détail, rien que le strict nécessaire. Le Mal que la Sixième zone nous a envoyé, nous ne sommes pas en mesure de l'arrêter. Toi et moi ne pouvons rien contre ce qui ronge les murs. Les autres ont besoin de Delkateï, de sa force, comment veux-tu qu'il remplisse le rôle qui lui a été attribué s'il ne sait rien ? Ça me rend malade de le savoir. C'est mon fils, merde !

Une lueur rebelle flamboyait dans les prunelles bicolores. Les nuances bleutées soulignaient ce lien de filiation indéniable et Laurian déglutit péniblement. Le mal-être de son ami le touchait profondément et ne pouvait s'empêcher d'éprouver une solide sympathie pour Delkateï. Le fils de cet homme qu'il considérait comme son frère.

— Nous repoussons l'échéance depuis son arrivée, reprit l'ancien footballeur. Ce garçon, l'espion, il vient de nous prouver qu'il peut s'attaquer à Delkateï. Il aurait pu choisir n'importe qui, mais ça a été lui. Ce n'est pas une coïncidence et qui sait quelles seront ses séquelles après ce qui vient de se passer.

—Andrew m'a garanti que Delkateï n'en aura aucun, dit Kourrage, toujours assis sur sa chaise.

Le directeur n'était pas indifférent à la souffrance de ses élèves, ni même à leurs plaintes. Les paroles de ceux qu'il considérait comme ses conseillers le touchaient également. Sa redoutable intelligence fonctionnait à plein régime, tentant de faire part de toutes hypothèses, de tous les risques encourus.

—La Sixième zone est prête et si elle peut éviter une guerre, elle l'évitera. Elle préfère de loin nous détruire comme ça, à petit feu, poursuivit Laurian, apaisant malgré lui. Nous aurions dû nous y attendre, cette solution lui permet de la préserver d'une offensive dont elle ne se relèverait pas.

—La guerre, ils l'auront, tôt ou tard.

—Ils essaient d'arrêter l'espion seuls, avant qu'il ne sévisse davantage, avoua le directeur.

—Eole, Aaron, Déméter et Jyn. Peut-être même Andrew et Ludo, devina l'ancien footballeur.

—On devrait les laisser tenter leur chance, non ? Ils seront sûrement plus efficaces que nous si on arrête de leur cacher ce que l'on sait.

La réticence de Kourrage subsistait, de même que la tension de son corps tout entier. Ses deux cadets s'employaient à le convaincre et ils se révélaient particulièrement doués.

—Ils doivent savoir pourquoi ils se battent.

—Bien, c'est d'accord, abdiqua le directeur, du bout des lèvres. Mais ne révélez pas l'identité des Instincts et faites en sorte qu'ils ne se mettent pas en danger plus que nécessaire. Il faut que tu parles à ton fils, Eran. La Lune approche et on ne peut plus se permettre de prendre le même risque.

Le susnommé opina, satisfait de cette perspective. Il accusa un regard pour Delkateï endormi et sourit, presque imperceptiblement. Laurian se sentit soulagé à son tour, portant toute l'espoir de l'école sur les élèves en question.

—Et les Dieux ?

—Les Dieux ne se manifestent plus, plus de vision, plus rien. Il n'y aura pas d'autres élèves pour le moment et il est même possible que ton fils ait été le dernier, assura l'ancien athlète.

Cette fois, les trois hommes hochèrent la tête d'un mouvement unanime. L'avenir se révélait incertain pour eux, pour Diolyde tout entière. Il demeurait tant de mystères, tant d'histoires restées secrètes, masquées par la peur et le devoir. Leurs pensées convergèrent sur ce point avant de songer aux Dieux, étrangement muets en cette période de doutes.

—Eran, tu as carte de blanche avec ton fils. Laurian, garde un œil sur tes élèves et sur eux en particulier.

—Bien.

Deux se levèrent, dans l'optique évidente de quitter la pièce. Seul resta le père de Delkateï qui s'assit au chevet de son fils.

—Tu restes ? s'enquit son ami, un sourire triste flottant à ses lèvres.

—Oui, je préfère le surveiller au moins cette nuit. Et j'ai besoin de réfléchir.

Kourrage opina et tourna définitivement les talons, obéissant à la volonté de l'homme. Laurian lui donna une accolade avant de suivre le mouvement.

Eran se retrouva seul. Seul avec son fils qui ne le verrait jamais comme un père. Une profonde mélancolie ébranla le trentenaire. Rien ne pourrait combler le manque d'un parent et il le réalisait tout juste. Que pouvait-il y faire ? La souffrance était partagée, entre le jeune et le plus âgé. Cette nuit ne remplacerait jamais celles à jamais perdues, celles qu'on leur avait volées.

L'épuisement avait eu raison de Delkateï de longues minutes avant la fin de cette conversation et il avait sombré dans ce néant interdit. Les souvenirs resteraient faibles, des bribes au milieu du mystère qui l'entourait.

Qu'importe. Une part de vérité lui serait bientôt révélée, une once de ce qui se tramait derrière la façade clinquante de Diolyde et derrière son envoûtante magie. Derrière les visages souriants de ses amis et leurs discours rassurants. Derrière les contes et les légendes.

Morphée l'acceptait enfin et il ne resterait de cette présence paternelle qu'une ombre irréelle et rassurante. Un mensonge auquel il refuserait de croire.


Voilà pour le vingt-sixième chapitre !

J'ai eu quelques difficultés à l'écrire et je ne suis pas certaine de sa qualité. N'hésitez pas à me relever les points qui vous semblent mauvais, ce qui clochent. Que pensez-vous des adultes d'Instincts ?

Le prochain chapitre s'intitule "Sincères excuses". Delkateï se réveille et Eole n'est pas bien loin. Vous savez qu'ils ne s'entendent pas forcément très bien alors il est temps qu'ils se parlent.  

A la semaine prochaine ~

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