Chapitre 25 : Déchéance

[Un dessin de Davaran, tout frais d'hier. Dieu du surnaturel et de la sorcellerie, il a une apparence assez étrange. Pas aussi monstrueux que Kyraël, quand même pas, mais je me suis fait plaisir x)]


L'âme réintégra son corps. Brusquement. Delkateï reprit conscience du monde qui l'entourait et de cette enveloppe charnelle qui jugeait bon de le trahir. Une violente migraine s'empara de son cerveau et les couleurs heurtèrent sa rétine alors qu'il ouvrait brutalement les yeux. Il se redressa dans un réflexe et avala une goulée d'air libératrice.

Le décor d'abord trouble se stabilisa petit à petit et l'adolescent parvint à distinguer quelques grossiers détails. Une voix familière l'éteignait en écho à de nombreuses reprises :

—Delkateï ! Delkateï !

Un timbre aux intonations presque féminines et à l'étrange clarté. Bêtement, Delkateï s'y rattacha, de peur de sombrer à nouveau. Il se sentait nauséeux et il peinait à reprendre le contrôle de ses sens. Il reconnut la personne qui se tenait à ses côtés. Eole, d'ordinaire si calme et inexpressif, semblait inquiet et proche de l'affolement. Ses lèvres fines laissaient s'échapper un seul nom, comme une supplique.

—Delkateï !

Le susnommé leva sa main en signe de reddition, lui intimant de se taire. Son camarade obéit sagement et sans tenter la moindre réflexion.

—P'tain, mais qu'est-ce qui s'passe ?

L'Italien glissa ses doigts fébriles dans ses cheveux, espérant effacer ce mal de crâne persistant à la frontière de son esprit. Il étouffa un grognement de souffrance alors qu'un vertige l'assaillait à nouveau.

—Je ne sais pas. Je viens d'arriver et je t'ai trouvé par terre. Tu avais l'air dans une sorte de transe, je ne sais pas vraiment. Je n'avais jamais vu quelque chose pareil. Je t'ai aidé à te coucher sur ton lit et tu t'es réveillé.

Delkateï opina faiblement, se redressant convenablement avant de murmurer :

—Mais qu'est-ce que c'était exactement, ça ?

—Est-ce que tu souviens de quelque chose ? s'enquit Eole, doucement.

—Non, je...

À l'instant où il s'apprêtait à argumenter son point de vue, sa voix s'étrangla au fond de sa gorge, noyée par le mensonge. Les souvenirs ressurgissaient déjà, par flashs colorés incessants et douloureux. La respiration du nouvel élève se fit plus compliquée, tandis que son regard se figeait à nouveau. La chambre tangua dangereusement alors que ses détails s'obscurcissaient pour devenir un amas de formes indistinctes.

Heureusement, le Russe réagit en un temps record. Il s'écria encore une fois, fortement et à l'attention de son camarade :

—Delkateï ! Delkateï, écoute-moi !

Les prunelles hagardes de l'adolescent se posèrent sur la lettre abandonnée au sol et les yeux roulèrent violemment dans leurs orbites. Il se souvenait ! Il pouvait encore entendre la voix de cet être, la prise insupportable sur sa gorge. La pression de sa présence s'enroulant autour de lui, la douleur aiguë des derniers instants tandis qu'il se sentait mourir. Delkateï revivait tout cela avec un réalisme horrifique, s'étouffant bruyamment sur le matelas.

Durant ce laps de temps, Eole ne sut que faire. L'incompréhension le domina et une aura interdite semblait s'échapper de son vis-à-vis, comme un appel à une part sombre de son être. Il se décida alors à lui asséner des gifles afin de le raisonner, de le sortir de cet état second et inquiétant. Rien n'y fit et le jeune homme se résolut à demander une aide inespérée. Il hurla à plein poumon et sans quitter l'Italien du regard :

—À l'aide ! S'il-vous-plaît, quelqu'un ! On a besoin d'aide !

Il répéta ces quelques mots à plusieurs reprises avant de jurer à voix basse, profanant des injures dans sa langue natale et qui ne lui avaient jamais échappé jusqu'alors.

Delkateï, la respiration laborieuse et le teint pâle, se débattait sous la poigne du Russe. Encore assis sur le matelas, ses yeux ne voyaient plus la même réalité. La terreur se lisait sur ses traits alors qu'il tentait d'échapper au contrôle de son camarade. Des grognements s'élevaient de sa bouche sous l'effort, mais l'autre ne lâchait pas prise, puisant dans ses ressources avec l'énergie du désespoir.

—À l'aide ! réitéra-t-il, dans un hurlement.

La porte se déverrouilla, mais Eole ne prit même pas la peine de se retourner pour prendre connaissance de l'identité de son sauveur. Le moindre écart leur serait probablement fatal.

Andrew pénétra dans la pièce, interdit devant ce qu'il venait de découvrir. Il marqua un temps d'arrêt, Ludo sur ses talons. Une poignée de secondes lui suffit pour réagir et s'adresser au plus jeune, dans un accès de panique contrôlé :

—Ludo, va vite chercher Kourrage ! Cours !

Le regard immense de celui-ci oscilla entre le corps trempé de sueur de Delkateï, celui tendu par l'effort du Russe et cette étrange lettre abandonnée à même le sol. Sa lèvre inférieure tremblota alors que la peur s'invitait en lui, il osa une oeillade vers la silhouette massive de son ainé. Ce dernier l'encouragea d'un pauvre sourire, l'urgence le rendant moins patient qu'il ne savait se montrer d'ordinaire. Lui qui l'était toujours n'y parvenait qu'au prix d'un lourd effort.

—Mais, je...

—Ludo, cherche Kourrage et ramène-le ici. Vite !

Malgré tout, l'aura apaisante du colosse eut raison de l'hésitation de Ludo qui tourna les talons et passa le seuil de la porte en courant.

Le plus âgé s'approcha à grands pas du matelas où l'Italien était secoué de douloureux spasmes. Il s'assit aux côtés du Russe qui se perdait dans les prunelles azur et écarquillées. Sous le regard scrutateur d'Andrew, celui d'Eole changea du tout au tout. L'améthyste grignota les quelques nuances bleutées de la surface lisse et parfaitement plane. Son visage crispé se détendit alors comme tous les muscles fins de son corps. Un sourire sardonique ombra ses lèvres avant que son homologue ne l'arrête. Avant qu'une seconde catastrophe, certainement plus grave encore, ne survienne. Avant que le contrôle ne leur échappe. Avant que les desseins les plus destructeurs ne s'éveillent à ce contact volé.

—Eole, tu sors.

Aucune réponse ne vint de la part du Russe, toujours plongé dans l'attirante réalité de son vis-à-vis. Il ne réagit même pas, comme si la voix forte et profonde du jeune homme ne l'atteignait pas.

—Eole !

Il pinça à peine les lèvres, mais sans manifester la moindre volonté d'obéir, même lorsque le plus âgé haussa encore le ton :

—Eole, tu sors d'ici. Tout de suite !

Le susnommé ne sortit de sa contemplation que lorsqu'Andrew empoigna fermement son bras. Il s'écarta prestement comme si ce simple contact venait de brûler sa chaire et cligna des yeux à plusieurs reprises. Il rencontra l'orbe unique de son ainé et réalisa son erreur à l'instant même. Il se releva d'un bond et sortit de la pièce sans un regard en arrière.

L'assassin venait de s'éveiller à l'odeur délicieuse du sang. Un appel contre lequel il ne pouvait lutter. L'hémoglobine lui avait été depuis si longtemps refusée, et voilà qu'on le chassait une fois de plus. Cet affront ne resterait pas impuni.

Delkateï se tordait toujours sur le lit, pris de violentes convulsions. La main portée à sa gorge, il haletait en proie à une vision familière. Le colosse ne pouvait se permettre d'attendre la venue du directeur avant d'agir.

—Delkateï ? tenta-t-il, dans une volonté d'apaiser son cadet.

Cette fois encore, la tentative du jeune homme se solda par un cuisant échec. Bien au contraire, une supplique s'éleva entre les dents serrées de l'Italien :

—Non ! Pitié, non !

—Delkateï, rien de tout cela n'est réel. Calme-toi.

—Laissez-moi, pitié. Arrêtez.

Andrew déposa alors sa paume contre le front brûlant de l'adolescent, sûr de son geste et de l'effet escompté. La bouche de Delkateï s'ouvrit dans un cri muet tandis que l'ombre de ses prunelles disparaissait comme un mirage. Tout son corps se détendit brutalement de toute la pression accumulée.

Pourtant, le plus âgé ne lâcha pas prise un seul instant, accusant un regard pour la lettre et son enveloppe. Il comprenait aisément les grandes lignes de ce qu'il venait de se produire et préserva le contact sur le visage de son cadet. La respiration de ce dernier se calmait progressivement, plus lourde et pesante. Le Mal s'échappait lentement de lui comme par tous les pores de son épiderme. Un soulagement sans nom se peignait sur ses traits.

Andrew retira sa main lorsqu'il fut bien certain que tout était terminé. Ils avaient véritablement frôlé la catastrophe et l'élève à la peau tannée le réalisa sombrement. Les paupières de son homologue devinrent lourdes et cette fatigue pourrait bien lui profiter, cette fois-ci. Il ne souhaitait pas s'endormir et rejoindre les bras de Morphée représentait un danger à ses yeux.

—Repose-toi maintenant, lui intima pourtant son ainé, avant de se relever.

Il se posta simplement devant la porte, dans l'attente de la venue du directeur et de son cher ami. Le cœur battant malgré son visage fermé, il observait du coin de l'œil le corps de Delkateï. Ce dernier luttait encore contre l'épuisement, par simple accès de fierté. Il se sentait terriblement faible et cette impression lui déplaisait au plus haut point.

L'Italien darda une ultime fois son regard sur celui du plus âgé. Au moment où le sommeil le happa, il fut presque contraint de murmurer, pour tout aveu :

—Merci. 


Un réveil compliqué et une bonne dose de phénomènes étranges. 

Que pensez-vous de Delkateï dans ce chapitre ? Il ne s'est visiblement pas défait de l'emprise du Mal. Et d'Eole ?  Et Andrew ? Certaines facultés des élèves font surface pour être développées plus tard.  Des théories ?

Dans le prochain chapitre "Aux yeux des dirigeants", vous retrouverez Kourrage, Laurian et Eran avec, au passage, quelques petites révélations de leur part. 

Bisous <3

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