Chapitre 23 : Décision commune

[En média, la version achevée du dessin d'Eléonore bien qu'elle n'intervienne pas dans ce chapitre]


La soirée s'éternisait et, dans la chambre de Delkateï, personne ne cherchait véritablement le sommeil. L'heure tardive ne gênait pas les âmes encore éveillées et si la fatigue commençait à se faire sentir, ils la rejetaient inopinément, comme d'une réalité bien trop encombrante.

Les matelas alignés étaient tous occupés et si la pièce demeurait vaste, les meubles dévoraient le vide. Les couleurs vives se mélangeaient avec celles du bois, aux allures plus rustiques. Des figurines se dressaient sur chacune des tables de nuit, en rappel à la foi qui menait chaque élève de l'école. Malgré le silence qui régnait dans la chambre, l'atmosphère restait chaleureuse, enveloppant les adolescents dans une douce torpeur.

Aaron reposait sur son lit dans une position décontractée, le regard rivé sur le plafond, visiblement plongé dans d'agréables pensées. Il ne manifestait pas la moindre résolution de dormir malgré sa posture.

Eole se tenait assis et griffonnait énergiquement dans un cahier. Il prenait de l'avance sur ses devoirs avec le sérieux exemplaire qui le caractérisait. Une expression concentrée vissée sur le visage, il travaillait sans compter ses heures.

Déméter, quant à lui, lisait tranquillement un livre confortablement installé dans son lit. Un de ces vieux romans de science-fiction qu'il adulait et qu'il dévorait les uns après les autres. L'imaginaire illuminait ses traits pâles et dessinait l'esquisse d'un sourire.

Jyn restait assis sans un mot. Sa silhouette sèche ne souffrait aucune activité particulière. Installé en tailleur, son regard turquoise se perdait droit devant lui, troublé par un flot de réflexions incompréhensibles.

L'attitude de Delkateï ne traduisait, elle aussi, aucune activité notoire. Couché sur le dos, les genoux légèrement repliés, il laissait ses pensées divaguer. Ces dernières peinaient à s'orienter vers un autre sujet que les événements récents de l'école.

Un bruit résonna soudainement, celui d'un livre fermé avec violence. Déméter s'attira par ce geste tous les regards et il aurait été mentir que de prétendre qu'il n'haïssait pas cela. L'adolescent restait quelqu'un de discret dans sa manière d'être, pas forcément timide, mais simplement introverti. Il n'avait pas pour habitude d'engager une conversation, surtout si cette dernière se révélait d'une importance capitale. Un raclement de gorge se fit entendre alors qu'il rassemblait un semblant de courage avant d'articuler :

—Les gars, il faudrait vraiment que l'on parle d'un truc.

La maladresse de cette entrée en matière gêna profondément leur auteur. N'aurait-il pas fallu laisser cette tâche à d'autres, moins horrifiés par la complexité de cette dernière ? Il aurait certainement pu être plus délicat et moins direct, mais les mots lui manquaient.

—De quoi tu veux parler ? s'enquit Aaron, se redressant en position assise.

L'attention se riva sur une seule et même personne, ce qui angoissa encore davantage celui-ci. Il croisa le regard de Delkateï qui comprit immédiatement l'objet de cette conversation imposée. Il sourcilla, étonné par cette initiative de son camarade.

—De ce qu'il se passe en ce moment, débita Déméter dans un souffle.

Les réactions ne se firent pas attendre. Aaron passa nerveusement sa main dans ses cheveux alors que les lèvres fines d'Eole formèrent un son :

—Oh.

Jyn ne feignit même pas la surprise, il observait la scène depuis son lit, comme un spectateur qui se plaisait à conserver son rôle. Tout semblait tellement prévisible, sous ses yeux défilaient l'exacte représentation de ses pensées. Ses pairs restaient conformes à ce qu'il avait imaginé, et il en tirait une certaine fierté.

—Tu veux discuter de quoi exactement ? demanda l'Australien, son ton détaché ne dupant personne. C'est vrai quoi, il se passe des tas de trucs en ce moment.

—Aaron, tu sais bien.

—Non, justement pas. Si tu veux parler du devoir de demain, arrête de stresser, tu devrais t'en sortir.

—Ce n'est pas ce que je voulais dire, rétorqua Déméter, sans hausser le ton. Vous ne pensez pas qu'il est temps que l'on agisse ?

Eole se rembrunit et répliqua, délaissant son carnet pour l'objet de la conversation :

—Et agir comment ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

—Ce qu'il veut dire c'est qu'il serait grand temps d'arrêter de se voiler la face ! Kourrage nous a demandé de surveiller nos arrières, non ? Se cacher comme des lâches en priant pour que ce type ne nous tue pas, c'est ridicule ! s'exclama Delkateï, après avoir retenu ces paroles durant de longues minutes.

Aaron rougit brutalement jusqu'à atteindre la couleur de sa flamboyante tignasse. Son franc-parler n'égalait pas celui de l'Italien, mais il possédait également un caractère bien trempé. Immédiatement, les mots affluèrent et il ne les retint à aucun moment, déversant la colère de ses dires dans un flot continu :

—Ne parle pas de lâcheté comme ça, tu n'as aucune idée du risque que l'on encourt ! C'est facile de juger alors que tu viens tout juste d'arriver. Tu n'as aucune idée de ce qu'est l'envers du décor !

—Figure-toi que j'attends toujours que l'on m'explique ! rugit le nouvel arrivant.

Un soupir ébranla la silhouette d'Eole, il ne semblait pas particulièrement énervé. Il était seulement las, las de ces discours et de cet enjouement négatif. Las d'avoir peur et de devoir fuir.

—Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir, répondit-il, détachant chaque syllabe.

—C'est lâche ! asséna Delkateï, à l'égard de toutes les personnes présentes. C'est peut-être mieux selon vous, mais ce n'est certainement pas la meilleure chose à faire.

Le Russe opina, presque pensivement. Cette réflexion avait déjà touché chacun d'entre eux et l'école tout entière se voyait concernée. Était-ce si douloureux que de se savoir inutilement en danger ? De toute évidence, oui.

—Tu ne crois que l'on ne le sait pas ? rétorqua Déméter, doucement.

—Et qu'est-ce que tu sais de la meilleure chose à faire au juste ? dit Aaron, plus bas et sans attendre de réponse particulière.

Delkateï choisit de ne pas enchérir à cette nouvelle boutade, lisant malgré tout une once de culpabilité dans les prunelles sombres de son camarade. Cette douloureuse émotion serrait la gorge de tous les élèves présents. Eole reprit, calme malgré la tension de sa voix claire :

—Qu'est-ce que l'on pourrait faire ?

—Découvrir l'identité de cette personne et l'arrêter avant qu'elle ne sévisse davantage, objecta Jyn, à mi-voix, tirant un sursaut à ses semblables. Cela ne semble-t-il pas évident ?

—On n'a aucune information pour ça, il peut très bien nous éliminer nous aussi.

—Et il le fera dès lors qu'il saura que l'on s'intéresse de trop près à ses actions, opina le Finlandais, avec un sourire entendu dans la voix.

—De toute façon, il peut nous descendre à n'importe quel moment. Ce n'est qu'un danger en plus, dit Delkateï, avec une grande fermeté.

Le trouble de chacun était douloureux, presque palpable. Tous avec leur mentalité, leurs idéaux et leurs peurs. Tous dans leur individualité alors que la menace planait au-dessus de leurs têtes. Les interrogations sévissaient ici aussi et cette conversation ravivait les craintes.

—Il ne s'est rien passé avant que... que cette fille soit tuée. C'est peut-être déjà fini, supposa Eole, étonné par sa propre naïveté.

—Si, il s'est bien passé quelque chose avant ça.

Delkateï apposa durement la nouvelle, la mâchoire crispée et l'œil déterminé. Il poursuivit alors, sans prendre la peine de peser chacun de ses mots :

—Mon avion pour Diolyde a été saboté. On ne voulait pas que j'arrive jusqu'ici. Si son plan avait marché, ce sale type aurait eu deux meurtres sur les bras. Aucune chance pour qu'il s'arrête en si bon chemin.

Jyn approuva sans un son les paroles de son cadet. Lui en était absolument certain et comptait sur la jugeote de ses camarades. À défaut d'une quelconque confiance en ces énergumènes, il se contentait d'espérer farouchement une décision commune et profitable.

Les autres gardèrent le silence, presque malades de cette folie enivrante et meurtrière. Les secrets entravaient les possibilités, faisant mourir toute volonté de rébellion. Il n'en était pourtant pas question d'une telle

—Je vous suis, murmura calmement Eole. Enfin, si vous voulez vraiment essayer de l'arrêter.

Aaron secoua la tête, révolté par cette affligeante supériorité numérique. Il souffla, désorienté :

—Vous êtes fous.

—On aura besoin de toi, assura Déméter, d'une voix suave et persuasive. On aura besoin de tout le monde.

L'Australien pesait le pour et le contre, un cruel dilemme lisible dans ses prunelles sombres. Il se mordit la lèvre, conscient des attentes de ses amis. Il consentit enfin à répondre, presque à contrecœur :

—Je vous aiderai. Tout ce que je veux c'est que vous ne preniez pas la menace à la légère et que l'on fasse gaffe. On ne sait pas où on met les pieds !

Le soulagement gagna la petite assemblée, bien dérisoire face à ce qui les attendait désormais. Une sensation née de cette faible communauté et qui portait un espoir des plus pitoyable.

Un sourire esquissa les lèvres de Delkateï, sans que personne ne le remarque. Il pouvait enfin respirer, reprendre son inspiration. Il n'en savait pas davantage, mais des pistes se créaient doucement, au détour d'une amitié naissante. 


Grosse réunion et les opinions se confrontent. 

J'avais envie de réunir à nouveau la majorité de mes personnages et de les laisser intervenir un à un. Ça vous donne un nouvel aperçu de leurs différents caractères et de leur manière de raisonner. 

Dans le prochain chapitre, intitulé : "De rouge et de noir", de l'action vous y attend ! J'étais pressée d'en arriver là, honnêtement et il me tarde de savoir ce que vous en pensez. En attendant, n'hésitez pas à me donner votre avis sur ce chapitre, sur ce que vous avez pensé des personnages et à voter. 

En complément, voilà "l'évolution" d'Eléonore en un an presque exactement. D'abord la version datant de l'été 2017 et puis celle du 10 octobre 2018 xD

(bon, c'est le portrait manga du média mais je le remets pour la comparaison, pour que le contraste soit plus flagrant x3)


Bisous les crevettes ~

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