Chapitre 19 : Mystères et solitude

[Dessin tout frais de Calysta puisqu'elle intervient dans le chapitre (spoil !)]


Les jours passaient, inexorablement, et sans que rien ne s'y produise de particulier. L'euphorie et la peur des premiers instants retombaient progressivement et c'était sans doute cela le plus dangereux. Delkateï y décelait une menace constante, de celle que rien de pouvait éteindre. Un venin qui dévorait Diolyde tout entière.

Le meurtre de Céleste fut presque passé sous silence tant il terrifiait les adolescents. L'effroi engendrait bien souvent la fuite, aussi lâche soit-elle. Toute l'école assistait à cette manifestation malheureuse, comme un mouvement de foule étudié. La vérité se trouvait bien trop affreuse pour être dévoilée ainsi, le mensonge devenait alors plus acceptable, moins odieux.

L'Italien gardait cette rage enfouie, prisonnière de son propre corps. Il était certain que ses colocataires lisaient cela au fond de ses prunelles, mais ils ne disaient rien, encore une fois. La bête restait sagement dans sa cage, menaçante derrière les barreaux qui ne la retiendraient pas éternellement. La pitié dans le regard d'Eole, unique preuve de sincérité et d'émotions chez lui. L'indifférence feinte d'Aaron alliée à celle, bien plus réelle, de Jyn. Déméter ne cachait rien de sa terreur, tout comme Ludo, le frère cadet de Jyn, bien plus expressif que ses camarades. Chacun vivait cette pression effroyable différemment, masquant jalousement la vérité.

Un jour, Andrew avait arrêté Delkateï au détour d'un couloir. Son regard orangé s'était planté dans celui, azur, du plus jeune. Ce dernier y lut une profondeur d'âme incomparable ainsi qu'une souffrance maîtrisée. Il lui avait murmuré, comme si la situation demeurait parfaitement normale :

—Je suis désolé pour toi. La Sixième zone prépare bien pire encore alors n'hésite pas à t'ouvrir à eux. Ne cache pas ce que tu ressens, ils ne sont pas différents de toi, pas autant que tu le penses, et seront capables de te venir en aide.

L'Italien n'avait pas cherché à comprendre. Il n'avait même pas mimé la surprise, il avait acquiescé sans un son alors que son ainé ajoutait, à tout hasard :

—Jyn sait plus de choses qu'il ne veut bien le montrer et ce n'est pas le seul. Chacun s'applique à cacher sa vraie nature, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Il y a une personne à Diolyde chargée de nous détruire tous.

Andrew avait alors poursuivi sa route, tournant le dos à son homologue et sans lui offrir plus de renseignements. Delkateï avait souri, un rictus désabusé né de l'étrangeté de sa situation et de sa complexité.

Il avait donc suivi le mouvement, ne s'attardant pas plus sur la mort de cette élève. Pourtant, la tension perpétuelle démontrait le contraire et personne en ces lieux n'était dupe. La peur y régnait toujours et Kourrage ne pouvait rien n'y faire.

Le Napolitain devint encore plus distant qu'à l'ordinaire, s'isolant à la moindre occasion sans parvenir à suivre le conseil d'Andrew. Toute approche, amicale ou non, lui apparaissait comme une offense. Il en avait besoin plus que rien d'autre, profiter de ces quelques instants pour réfléchir à l'abri des regards et des questionnements. Il appelait également sa mère, durant ces longues minutes de plaisante solitude. Bien sûr, Joy ne savait rien de ce qu'il se tramait actuellement à Diolyde et le mensonge se dévoilait être la plus certaine des couvertures. Dans ces heures d'égarement, le jeune homme se voyait pris d'un besoin maladif d'entendre la voix de sa mère, son ultime pilier ici bas.

Encore ce jour-là, Delkateï profitait de ces instants de répit et de ce calme escompté après une matinée de cours. Il se perdait déjà dans ses sombres pensées lorsqu'une voix féminine s'éleva toute proche de lui :

—Ça te prend souvent de t'isoler comme ça ?

Calysta se tenait là, les poings sur les hanches et un petit sourire mutin collé aux lèvres. Elle était splendide, comme toujours. Ses cheveux mi-longs effleuraient ses épaules au moindre mouvement et ses yeux noisette brillaient de vitalité. L'Italien ravala l'une de ces remarques acerbes dont il avait le secret, optant pour rendre son amabilité à l'adolescente :

—J'aime le calme, ouais.

—Tu as sans doute trouvé le seul endroit calme de toute l'école excepté les dortoirs aux heures de cours. C'est un bel endroit, je n'avais jamais fait attention à la vue. On voit presque tout Diolyde d'ici.

Delkateï opina, approuvant silencieusement ces mots. L'atmosphère qui baignait ce petit coin calme, comme hors du temps, le berçait d'une délicate mélancolie. L'Irlandaise s'enquit, pointant le rebord de fenêtre où son homologue était assis :

—Je peux ?

—Ouais.

Elle s'installa sans rien ajouter de plus et ils demeurèrent dans ce curieux mutisme durant de longues minutes. L'Italien ne s'en formalisa pas, se murant lui-même dans cet accord informulé. Calysta le rompit finalement, avec douceur :

—C'est comme ça que tu caches ta peur, toi ? Tu t'isoles et tu te détaches des autres pour que personne ne le remarque ?

Un sourire triste ombra les lèvres fines et rosées de l'adolescente alors que son regard se troublait, imperceptiblement. Son camarade se tendit lui aussi, sans que cela n'échappe à son attention. Elle reprit, comme si elle énonçait des faits sans la moindre influence :

—a montre beaucoup de choses. Les autres fuient ouvertement, mais toi... toi, tu te caches comme si tu avais honte de ne rien pouvoir y faire. Je trouve que ça montre beaucoup de ce que tu es. C'est douloureux, n'est-ce pas, l'impuissance ?

—Ça a jamais servi à quelque chose de fuir, rien faire c'est pas mieux. Tu le sors d'où, ce raisonnement ?

La sécheresse des propos de Delkateï n'eut pas l'effet souhaité. La jeune femme ne se braqua pas à l'inverse de son homologue, se contentant d'hausser les épaules.

—Je te comprends, tu sais... J'aimerais pouvoir y faire quelque chose moi aussi, comme tout le monde en fait. On ne sait seulement pas comment s'y prendre.

Elle soupira lourdement, le haut de son corps s'affaissa soudain, comme soumis à un poids immense. Sa main passa dans ses cheveux, signe de sa nervosité. L'Italien surveillait chacun ses gestes, avec toute la prudence qui le caractérisait. Elle n'était pourtant pas une menace pour lui...

—La personne qui a tué Céleste agit seule, mais toute la Sixième zone est derrière elle. Ce n'est pas découvrir de qui il s'agit qui sera le plus dur, ce sera de réussir à l'arrêter.

Calysta évitait manifestement le regard du Napolitain, témoignant d'un mal-être profond. Il ne fallut que quelques instants à l'autre pour y trouver un sens, son intuition parlant pour lui. Il demanda, approchant son visage de celui de l'Irlandaise :

—Qu'est-ce que tu sais exactement ?

Cette simple interrogation sembla éveiller quelque chose enfouie au fond d'elle, une évidence ou un mensonge. Elle s'exclama, plantant ses yeux dans ceux de son interlocuteur :

—Delkateï, quoi que tu apprennes par la suite, fais attention à toi ! Je suis désolée, mais je ne peux pas te...

—Caly' ?

La voix masculine facilement identifiable de Jo fit sursauter l'interpellée. Le jeune homme se tenait à quelques pas d'eux, un sourire éclatant brillant à ses lèvres. Il dévisagea les deux adolescents avant de demander, sans se dépourvoir de cette expression communicative :

—Y'a un problème ?

—Aucun, on discutait juste, rétorqua Calysta, derrière un solide rictus.

L'instinct de l'Italien lui hurla que Jo n'y croyait pas une seconde, peut-être même avait-il surpris la conversation échangée. Mais ce dernier n'en dit rien, cueillit un baiser sur les lèvres de l'Irlandaise alors qu'elle se relevait. Un doux baiser. L'adolescent passa sa main dans la longue chevelure rousse avec une tendresse étudiée. Témoin de cette scène, le nouvel arrivant garda le silence et détourna le regard par pur réflexe. Il n'appréciait pas les démonstrations telles que celles-ci en public, y étant parfaitement étrange.

—Ça faisait un moment que je ne t'avais pas vu, Del'.

Le dénommé sourcilla à l'entente de son surnom, tiquant légèrement avant de se murer dans un silence explicite. L'autre reprit alors, s'emportant joyeusement sous les regards de la jeune femme :

—Tu as l'air de vivre tout ça très mal. Je comprends, moi aussi j'ai du mal à rester concentré avec ce qu'il se passe.

Le rire qui s'échappa de sa gorge offrit un parallèle étonnant avec ses propos, comme une atteinte à la sincérité de ses dires. Il acheva, toujours sur le même ton :

—Il ne peut rien nous arriver, on a Kourrage sur l'affaire et Eran en supplément. Ces deux-là vont nous retrouver le coupable et lui mettre une bonne raclée !

Delkateï retint une remarque sur son paternel. La plupart des élèves semblaient en savoir plus sur cet homme que son propre fils. La dérision présente dans les propos de Jo en était presque offensante, comme une insulte masquée par les rires.

Calysta ressentit la tension nouvelle chez l'Italien, comme si elle pouvait comprendre cela. Pendue au bras du garçon, elle réfléchit quelques instants avant de lancer, le plus naturellement du monde :

—Je crois que Delkateï voudrait rester un peu seul et puis, on a des cours à rattraper nous deux.

Elle acheva ces quelques mots par un clin d'œil que Jo interpréta à merveille.

—Bien sûr, le gars qui a fait ça, ce n'est pas un rigolo alors rester pas trop seul, Del' !

Et ils tournèrent les talons ensemble, d'un mouvement commun. Leur proximité n'inspirait rien au Napolitain qui les observa s'éloigner sans rien ajouter de plus. Juste avant de disparaître au détour d'un couloir, Calysta accorda un regard étrange à son homologue. Comme si la terreur pouvait s'inviter dans ses prunelles automnales le temps d'un instant sans que rien ne puisse justifier cela. Un mystère qui ne tarda pas à mourir dès qu'ils se fondèrent dans le décor vieillot de l'école. 


Discussion entre Calysta et Delkateï sans haussements de voix, un vrai miracle XD 

Que pensez-vous des personnages de ce chapitre ? Calysta sait quelque chose mais que pensez-vous de son personnage ? On la retrouve véritablement que maintenant.

Et Jo ? Que vous inspire-t-il à ce stade ? C'est le personnage sympa avec tout le monde (c'est pas une bonne idée d'appeler Del par son surnom, manque de prudence XD). 

Bisous sur vous, petites courgettes ambulantes ~

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