Chapitre 14 : Solitude et veille lunaire
Le silence régnait, épais, dense et étonnamment unanime. Rien ne se risquait à mettre un terme à ce calme absolu, même pas une respiration humaine.
Soudain, cet instant prit fin, comme un élastique que la pression avait fini par briser en deux morceaux. Une bavure sur un tableau parfait. La chambre était baignée par la pénombre et les lits s'alignaient : vides. Tous ? Non, et cet ultime locataire semblait reprendre vie, l'onde produite éveillant ses sens. Il se redressa, le souffle court et le regard trouble. Une lueur dans ses yeux disparue, celle de la raison, celle qui faisait de lui un être humain. Celui-ci était dicté par une fureur animale, par une rage qui ne tarderait plus à faire surface.
Hagard, Delkateï s'assit dans son lit. Il était seul et ses pensées l'engluaient dans un liquide épais qu'il imaginait le submerger sans la moindre difficulté. Son esprit, comme engourdi, se perdait dans ces amas immondes. Où pouvaient bien se trouver ses camarades ? Une mauvaise plaisanterie restait peu probable et cette idée l'effleura à peine.
Sa respiration haletante résonnait dans la pièce, formant un écho désagréable. Tout semblait vide autour de l'Italien, résolument factice. Le regard de Delkateï parcourut la chambre, fébrilement. Il ne cherchait rien en particulier, l'assurance de sa présence ici aurait été trop demandée. Il ne faisait que se raccrocher à ce décor devenu bancal, essoufflé par un effort qu'il n'avait jamais fourni.
Le lustre pendu au plafond grinça, une mince et tremblante lumière s'en échappant. Le décor vacilla dangereusement pour en déformer les meubles, les lits, les murs. Tout tangua avant de s'immobiliser totalement. Un souffle glacé s'engouffrait par la fenêtre restée ouverte.
Delkateï se leva brusquement, manquant de s'empêtrer dans les draps. Il trébucha, les membres tremblants et visiblement ankylosés. Mise à part la disparition de ses colocataires, tout semblait parfaitement normal. Il s'empressa de fermer la fenêtre après avoir aperçu, à travers les battants des volets clos, un mince filet de lune.
La peur s'insinuait en lui au même titre qu'un désir irrépressible : fuir !
Le Napolitain voulait quitter cette pièce qui ne lui inspirait plus qu'une terreur sourde. Le dortoir n'avait plus rien d'accueillant ou de chaleureux, cette impression semblait désormais bercée d'illusions. Savait-il que ce que ses yeux lui dévoilaient cette nuit-là n'était rien de plus qu'un mensonge ? Une supercherie dignement orchestrée par son esprit et par des forces qui le dépassaient encore ? Certainement pas, l'ignorance pour lui n'avait jamais été aussi douloureuse, aussi frappante. Toute cette mascarade résultait de cela, de tous les mots que le silence avait cru bon de s'approprier.
Sortir... Il devait sortir ! Absolument et par tous les moyens. Ce n'était pas une envie, un caprice imprévu et sans accroche. Il s'agissait d'un besoin incontrôlable, viscéral même.
Les muscles tendus à l'extrême, Delkateï tentait en vain de faire refluer toute cette colère. Jamais il ne lui était arrivé pareille chose, la sensation se révélait indescriptible. Ce Mal investissait son cœur, courant librement dans ses veines, infestant ses entrailles. L'adolescent aurait pu en vomir si seulement il en avait été capable. Évacuer ce poison de son organisme par tous les moyens possible.
Il tremblait, les poings serrés et la mâchoire crispée. Ces réactions purement physiques exprimaient un vain combat dont l'issue ne faisait aucun doute. Une lutte pour son intégrité qui était perdue d'avance. Le vainqueur ne pouvait pas être l'homme. L'animal l'emportait toujours, terrassant la conscience d'un instinct redevenu primaire.
Les jointures de ses doigts blanchissaient, témoignant de ce conflit intérieur aux conséquences dévastatrices. Il murmura, comme une supplique à l'égard des Dieux :
—Par Kyraël...
L'adolescent baissa les armes, abandonnant la moindre tentative de survie. C'était pittoresque, mais ses propres limites venaient de le rattraper L'absence de ses camarades et des divinités auxquelles il croyait tant avaient eu raison de lui. Une bien cruelle défaite pour un esprit résolument fragile. Était-ce là la nature humaine ? Que pouvaient bien en penser les Dieux ?
Delkateï se jeta sur la porte, la main se saisissant instinctivement à la clenche. Celle-ci manifesta une résistance caractéristique. L'issue était verrouillée et rien ne lui permettrait d'échapper à ses démons. Les pensées affluaient sans que l'Italien ne parvienne à y trouver un sens. Ses points martelaient le bois vieilli, mu par la force du désespoir. Les coups portés résonnaient dans toute la pièce, d'une violence qui ébranla le corps de l'adolescent tout entier.
—Merde ! Putain de merde !
Les injures s'écoulèrent de la bouche du Napolitain sans souffrir la moindre emprise. Cela ne soulageait pas sa douleur, mais il ne pouvait rien retenir de ces grossièretés. Elles s'échappèrent de son être au rythme des impacts sur la porte. Avec détresse et rage.
Combien de temps cette scène avait-elle duré ? Personne ne le sut jamais, pas même Delkateï. Cet instant semblait s'étirer à l'infini, avoisinant ainsi la folie de son prisonnier. La démence aurait pu prendre le jeune homme cette nuit-là, tout dévorer sur son passage jusqu'à ne laisser qu'une enveloppe vide. Le pantin des forces obscures qui occupaient les entrailles de la Terre.
L'adolescent vivait son premier contact avec la vérité, celle qu'on lui avait toujours refusée. La réalité telle qu'on l'avait dépeinte n'apparaissait plus. Il entrevoyait le monde, sans savoir s'il n'agissait encore du sien, d'un œil nouveau. Animal, bestial. Un secret trop immense pour appartenir à une seule personne.
L'Italien crut mourir, signer sa perte sans le moindre regret. Il n'existait pas pire horreur que ce qui le prenait. La rage se muait en douleur, et ce besoin de fuir grossissait toujours en lui.
—Non, non. Pitié, non.
Les coups se tarirent lentement. Les forces quittèrent l'adolescent, au profit du plus terrible des épuisements. L'abandon et la lâcheté humaine, les limites du corps et de l'âme. Delkateï s'effondra dos à cette putain de porte. Ses membres tremblaient alors que la tension qui les avait habités disparaissait. Il se sentait vide, réellement. Abandonné et atrocement seul, rongé par ces sentiments contradictoires. La rage ne l'avait pas quitté, mais ne pouvait plus rien contre la faiblesse de son corps.
Il distinguait tous les détails de chambre déserte avant que sa vision ne se trouble. Des ombres dansaient devant ses yeux et le lustre grinçait, sa lumière oscillait comme une flamme maigre au creux de la nuit. Un ultime frisson parcourut l'épiderme de Delkateï qui fut pris d'une envie de l'arracher de sa chair. De l'extraire pour ne laisser que les os. Qu'en diraient ces spectres insensibles qui l'observaient agoniser ?
Le silence revint, implacable et lourd de sens. L'Italien en souffrait, écrasé par le poids de l'incompréhension. De cette nature qui le rattrapait sans qu'il ne s'en doute. Il ne savait rien. C'était là une blessure, une plaie neuve et béante qu'il portait au côté. La preuve évidente d'un secret planant autour de sa personne et dont le principal concerné ignorait tout.
Des larmes coulèrent sur les joues du Napolitain, sans même qu'il ne s'en rende compte. La défaite était bien trop grande pour se préoccuper de si peu. Pourtant, la peur liquide creusait des sillons brûlants sur sa peau glacée, marquant son être comme de l'acide. Des sanglots déchirèrent le calme vacant, brisant quelque chose en cet adolescent. L'espoir ? La raison ? Une quelconque normalité ?
Ce fut au bout de longues minutes que l'épuisement le gagna, comme un prédateur tomberait sur sa proie. Mais cette dernière n'eut pas à craindre les méandres du sommeil cette nuit-là. Morphée serait clément, enveloppant cet être perdu dans un voile sombre. Il n'y aurait ni cauchemar ni présence anormale, Delkateï demeurait bien seul face à la perversité de ses tourments.
Dehors, la Nuit observait paisiblement le spectacle qui s'offrait à elle. La Lune pâle l'accompagnait comme de juste, sa face ronde dessinait l'œil unique de l'horizon.
Et voilà le chapitre 14 !!
C'est un petit chapitre mais intense, j'ai hâte de connaître vos impressions, d'ailleurs. Vos hypothèses aussi, vis-à-vis de ce qu'il s'est passé et des paroles d'Andrew au dernier chapitre. Rapport ou non ? La chambre était vide, pourquoi ? Vous pouvez me confier vos théories haha :3
Le prochain chapitre s'intitulera Identités et accueillera un personnage étroitement lié à Delkateï. Je vous laisse deviner qui il est XD
Voilà pour moi, comme dit plus haut, j'attends vos avis avec beaucoup d'impatience. Vos votes me sont également d'un soutien précieux.
Bisous les chatons ~
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