Chapitre 30
Je me réveille en sursaut. Des explosions résonnent dans la maison. Non que je me considère comme une experte, mais je pense avoir acquis une certaine expérience, ces derniers temps et identifie de suite des coups de feu. Il y a des gens qui tirent au pistolet dans la maison. Ça ne peut pas être normal en plein milieu de la nuit. Il n'y a pas de rideaux à ma chambre, facile de constater qu'il fait noir. Même sans ma montre, je constate que le soleil est encore aussi endormi que moi.
D'autres détonations et, cette fois, je bondis de mon lit. Mon premier réflexe est de m'approcher de la porte, mais je me ravise à mi-chemin. J'ignore où sont les tireurs. Si une balle perdue venait percuter le panneau de bois, je ne donne pas cher de ma peau.
— Au secours ! je hurle en restant bien loin de la porte.
Je répète en anglais, à plusieurs reprises, mais personne ne vient. Je me précipite ensuite à la fenêtre pour essayer de voir quelque chose. N'importe quoi. J'ignore ce qu'il se passe. Je ne suis pas stupide au point de penser qu'ils se battent entre eux. Ils sont donc forcément attaqués.
La question à un million d'euros est maintenant de savoir qui a eu le courage de s'en prendre à eux ? Je n'ose me réjouir trop vite en pensant que c'est la police. Voilà pourquoi je cherche par la fenêtre. Si c'est la police, il y aura sans doute des gyrophares. Même si je ne suis plus en France, dans tous les pays du monde, la police se signalent avec sirène et lumière, non ?
Si ce ne sont pas les forces de l'ordre, alors il est possible que ce soit un gang ennemi. Ce serait peut-être pire que d'être la prisonnière de ceux-là ? Ils s'imagineront peut-être que je suis la compagne du chef et me tueront pour faire bonne mesure. Ou pire. Ou alors, ils devineront que je suis une prisonnière et je deviendrais la leur. Ou pire !
Soudain, je ne sais plus si j'ai envie d'être secourue ou oubliée.
Des clés !
Des clés dans la serrure de ma porte. Il n'y a pas d'hésitation, c'est donc un de mes ravisseurs. C'est ma chance. Je me précipite vers la porte avant qu'il ne puisse l'ouvrir et me tiens prête. Je ne sais pas trop ce que je pourrais faire face à un colosse armé, mais dans le contexte actuel, j'aurais peut-être bien une chance d'échapper à sa vigilance tandis qu'il surveille ses arrières pour éviter les balles.
Lorsque la porte s'ouvre, je constate que le reste de la maison est plongé dans la pénombre également. Il y a une vague lumière vacillante dans le couloir, comme si quelqu'un c'était cogné la tête dans une suspension.
De nouvelles détonations attirent l'attention de mon geôlier et, alors qu'il tourne la tête vers la gauche, je tire la porte en grand, de toutes mes forces. Je me dis qu'avec un peu de chance, ça va le déséquilibrer et je pourrais passer dans un petit espace. À ce moment pourtant, je suis aspergée d'un liquide poisseux et grumeleux. De nouveau, pas besoin de réfléchir, cette situation m'est déjà arrivée. Je hurle de toute mes forces, alors que le corps sans vie bascule vers moi. Trop paniquée pour réagir, je me laisse emporter par le poids de la victime et retiens tout juste ma chute en arrière. Seulement le gars pèse lourd et son visage s'écrase sur mon nez et mes lèvres, en faisant éclater une contre mes incisives. Une vive douleur incendie ma bouche tandis que j'ai l'impression qu'on m'enfonce quelque chose en plein milieu du visage.
La bouche pleine de liquide, j'avale pour ne pas me noyer avant de réaliser ce qui coule sur ma langue. Mon sang, mais peut-être aussi celui de mon ravisseur. Est-ce la douleur ou l'urgence de la situation, je l'ignore, mais le fait d'avoir peut-être avalé un morceau de la cervelle d'un être humain ne me dérange pas tant que ça et je repousse le cadavre sur le côté avec un soupire.
Coups de feu, encore.
Je me redresse un peu et me tâte la poitrine en sentant mon t-shirt poisseux. Ce n'est pas mon sang, je le sais, mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter. Je roule sur le côté et me relève doucement. J'avise la porte restée ouverte et me demande à quel point ma liberté est illusoire. Si je sors, est-ce que je ne risque pas de me prendre une balle perdue, moi aussi ?
— Putain ! je chuchote. Qu'est-ce que je fais ?
Je m'essuie le visage, d'abord d'une main, puis avec le bas de mon t-shirt, presque sec. Mon nez me tire une grimace, mais je retiens le cri de douleur.
Coup de feu !
Beaucoup plus proche, cette fois. Qui que ce soit, il vient dans ma direction. Je me colle au mur, à côté de la porte, espérant passer inaperçue. J'ai maintenant la certitude que ce n'est pas la police. Aucune lumière bleue ou rouge. Il s'agit donc d'un règlement de compte et je ne veux pas y prendre part. Je suis assise sur le sol, les genoux collés à ma poitrine poisseuse de sang. Il fait sombre, je suis invisible. Je l'espère de tout mon cœur.
— Léo ?
Je sursaute. Mon cœur aussi. Ma respiration s'interrompt.
Personne ici ne m'appelle comme ça ! Je tourne la tête vers l'encadrement de la porte, d'où venait le chuchotis.
Il tire et la détonation me vrille les tympans.
— C'est moi, Léo ! Est-ce que tu es blessée ?
Il est venu ! C'est bien lui. Mes yeux s'embuent, puis se remplissent de larmes sans que je ne puisse rien y faire. Il est venu !
— Est-ce que tu es blessée ? répète-t-il.
— Non, je réponds enfin. Non, je vais bien. Je crois.
Je ne vais pas bien du tout, mais je suis tellement heureuse d'entendre le son de sa voix que j'en perds toute espèce de logique. Maloé est venu me sauver ! Comme il l'avait promis. En réalité, il avait promis de me protéger, mais peu importe. Il est là et j'ai la certitude que tout ira bien à partir de maintenant.
Il se poste, accroupi, devant moi et me dévisage.
— Je suis là, Léo, dit-il d'un ton sûr. Je suis là.
Je le reconnais à peine. Il est habillé de noir dans un genre de tenue militaire. Je souris, les yeux pleins de larmes et me jette dans ses bras en le serrant de toutes mes forces. Il ne me serre que d'un bras, mais je me sens en sécurité là. Je me délecte du contact de sa peau contre ma joue poisseuse de sang, je hume l'odeur de son uniforme. Il y a un vague reste de son parfum en plus de cette étrange odeur de feu d'artifice. Il est là !
Et pourtant, il me repousse doucement.
— J'ai encore du ménage à faire, ma belle.
« Ma belle. » Je dois pourtant être loin d'être belle en ce moment. Je ne me suis pas lavée correctement depuis plusieurs jours et j'ai la cervelle d'un homme sur le visage. Pourtant, j'apprécie son mensonge.
Il pose ses lèvres sur les miennes. C'est bref, mais une fois encore, j'apprécie.
— Ne bouge surtout pas d'ici, m'ordonne-t-il. Trouve un coin où te mettre à l'abri et n'ouvre à personne, je reviens au plus vite.
— Non ! Je le supplie en me jetant dans ses bras de nouveau.
— Il reste des sales types à descendre, Léo. Ensuite, on repart ensemble, promis !
Il me repousse et me répète d'aller me cacher quelque part dans la pièce.
Avant même que je commence à me mettre en quête, il s'est glissé dans le couloir. Dix secondes plus tard, de nouveaux coups de feu retentissent et je me bouche les oreilles. Sans réfléchir, je me jette sous le lit et ferme les yeux, oreilles bouchées. Les sons des détonations ne m'arrivent plus que de façon étouffée et j'en suis ravie. À chaque échange, mon cœur se serre. À présent que je sais que c'est Mal, seul contre tous, qui se bat pour ma vie, j'ai peur qu'il se fasse toucher. Je n'ai même pas vérifié son état de santé.
J'espère qu'il va bien et chaque fois que j'entends les détonations, même si j'ai peur, j'ai aussi la certitude qu'il est en vie. Voilà pourquoi quand après une minute de silence, je n'entends toujours rien, je commence à m'inquiéter de nouveau. Je retire les mains de sur mes oreilles pour ne pas rater le moindre son.
Lorsqu'enfin, Maloé franchit de nouveau la porte de ma chambre, je m'extirpe du lit et lui saute dans le bras. Là, j'explose et pleure comme une enfant. Larmes, sanglots, hurlements, morve et bave. La douleur de mon nez se mêle à tout cela et une migraine atroce me vrille les neurones. Je pleure et je pleure encore, dans les bras de cet homme que j'ai pourtant rejeté de toutes mes forces quelques jours plus tôt. Je m'en veux de ce geste. Je ne veux plus le quitter. Plus jamais ! Et pourtant, je lui en veux à lui aussi de m'avoir traînée dans toute cette histoire. Et je pleure. Et j'ai mal à la tête. Et ma respiration est compliquée.
Cela dure longtemps, mais Mal reste là, à me soutenir, solide comme un roc. Sa main dans mon dos, ses lèvres sur mon front et mes joues, malgré le sang. Malgré l'odeur infecte que je dois dégager.
Je finis cependant par me calmer et il me repousse doucement pour me sourire et déposer ses lèvres sur les miennes en toute délicatesse.
— C'est fini, Léo, dit-il. Tout va bien. Nous sommes seuls, maintenant.
— Tu es sûr ? je demande entre deux hoquets.
Il me confirme qu'il n'y a plus âme qui vive ici.
— Est-ce qu'on peut partir ? je demande alors.
— Pas tout de suite.
C'est à ce moment qu'il m'apprend qu'il a pris une balle dans la cuisse. Rien de grave, selon lui.
— La balle a traversé sans rien toucher d'autre que du muscle, a priori, précise-t-il. Cependant, il ne veut pas partir sans avoir bandé sa jambe. Par ailleurs, il me recommande de me rincer le visage et de passer un autre t-shirt.
Pendant qu'il occupe ma salle de bain, je visite l'immense demeure et trouve un t-shirt trop grand dans une armoire de la pièce à côté. Je cherche une autre salle de bain et y dégotte une armoire à pharmacie. J'y dérobe des bandages et du désinfectant cutané.
— Tu sais, me dit-il lorsque je lui apporte mes trouvailles, se cacher sous le lit, c'était loin d'être la meilleure cachette.
— Il n'y avait pas de cachette, je réplique sèchement. Si un type armé avait eu envie de me tuer, je n'avais nulle part où aller. Je n'ai pas ton entraînement, je te signale.
À la façon dont il me regarde, je comprends qu'il ne s'attendait pas à tant de véhémence, mais il me sourit.
— Une bonne chose que ce soit moi qui sois venu, alors.
C'est peu de le dire.
Il me questionne sur ce qu'il s'est passé depuis qu'il a fui la police chez moi, tout en se bandant la cuisse. Je comprends soudain d'où lui viennent les cicatrices que j'ai eu l'occasion d'observer à quelques reprises.
Je lui raconte tout en détails. La collision avec une camionnette, le policier qui se prend une balle dans la gorge, l'inspecteur Tagbo qui s'écroule, mon enlèvement, le sac sur le visage, le tissu dans la bouche, la piqûre, la peur, la douleur, l'envie de mourir plutôt que de finir en esclave sexuelle. Tout.
Étonnamment, pas une larme ne coule pendant mon récit.
Enfin, nous quittons la maison et marchons jusqu'à la route, à une bonne dizaine minutes de marche. Là, nous retrouvons son véhicule. Loin de la voiture de James Bond à laquelle il m'avait habituée, je monte dans un SUV sombre.
— Je ne sais même pas où on est ni quand on est, je réalise à voix haute.
— Nous sommes lundi et tu es en Croatie.
— Retour à la case départ, je chuchote alors qu'il démarre, tous feux éteints, sur l'espèce de départementale.
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