Chapitre 3
— Et tu l'as laissé partir ? s'emporte Esthel, lorsque je raconte à mes amies ma rencontre, de retour à l'hôtel.
Elle nous a parlé du groupe d'italiens avec qui elle a passé une partie de la soirée. Alizé n'a pas tari d'éloges sur son Allemand. Elle doit le retrouver, le lendemain, nous abandonnant pour notre excursion sur l'île de Bisevo. Tant pis pour elle.
Nous sommes à présent au lit, lumière éteinte, partageant à trois un lit King size. Esthel s'est tournée sur le côté, me postillonnant dessus lorsqu'elle s'est emportée. Je lui souris, même si elle ne le voit sans doute pas dans la pénombre.
— Je n'allais tout de même pas l'attacher là, je réplique.
— Et pourquoi pas ? se moque Alizé derrière Esthel. Ça aurait été marrant.
Je ne sais pas si ça aurait été marrant, mais l'idée d'attacher ce bel inconnu, ne me dérange pas outre mesure. À condition que ce ne soit pas dans une boîte de nuit.
— Mais du coup, t'as quand même son numéro ou quelque chose ? insiste Esthel.
Je secoue la tête négativement, avant de répondre à voix haute.
— T'es incorrigible ! se plaint-elle.
— Écoute, soupiré-je, s'il avait voulu me donner son numéro, il aurait demandé. Il est assez grand, crois-moi.
Alizé pouffe dans son coin et Esthel me sermonne de nouveau. Selon elle, l'époque où c'était aux mecs de conduire toutes les manœuvres, est plus que révolue. Sur ce point, je suis d'accord. Pour autant, je ne suis pas toujours à l'aise pour passer à la pratique.
— On verra s'il est là demain, je coupe pour mettre fin à la discussion. Sinon, c'est pas grave.
J'essaie de mettre de la conviction dans ma voix. Ce n'est pas grave. Alors, pourquoi je ressens cette étrange sensation dans le bas ventre ?
Le lendemain, après un long voyage en bus, puis en bateau et une attente interminable, nous finissons par pénétrer dans la fameuse grotte bleue et envoyons, avec Esthel, des photos du lieu magique à Alizé. Quels que soient les talents de son nouvel amant, cela ne saurait surpasser la vision de paradis que nous avons ici. La petite grotte ne reçoit de la lumière que par la réfraction des rayons du soleil qui pénètrent par le bas. Un éclairage surréaliste et magnifique. Malgré nos maillots de bain, nous n'avons pas le droit de sortir de notre embarcation pour nager dans ce lieu idyllique. Dommage.
L'une comme l'autre, nous mitraillons, prenons des selfies en rafales et des vidéos. Avec la queue qu'il y a, il est impossible de flâner, alors nous immortalisons le moment comme nous le pouvons. Esthel tente de me reparler de Maloé à plusieurs reprises, mais j'évite le sujet. Nous verrons ce soir, si je peux remettre la main sur lui. Ou mes lèvres sur les siennes. Je rappelle à Esthel que je ne suis pas venue pour les garçons.
— Bah pourquoi alors ? me demande-t-elle avec de grands yeux étonnés.
— Pour ça, par exemple, dis-je en montrant mon nouveau fond d'écran sur mon téléphone portable.
J'ai choisi une des photos prises quelques heures plus tôt dans la grotte.
— Pour décompresser après les partiels, je poursuis. Pour faire le plein d'énergie.
— Donc, pour les mecs aussi, insiste-t-elle.
Je souris. Certes, je ne dis pas non aux garçons. Mais ce n'est pas ce que je cherche, je lui répète pour la millième fois. J'aurais bien le temps plus tard, une fois installée dans ma vie professionnelle.
— À ce moment, me contredit-elle, tu ne pourras plus t'amuser. Au mieux, tu te trouveras un avocat barbant tout juste capable de te faire jouir une fois par mois.
J'éclate de rire.
— Quelle opinion tranchée, je ris. Tu as déjà couché avec un avocat ?
— Mon dieu non ! se récrie Esthel.
Je ris de plus belle. Esthel et ses a priori...
Je balaie le sujet et nous poursuivons notre balade dans la ville avant de rentrer à l'hôtel.
Pour la quatrième fois consécutive, nous nous rendons dans la même boîte et je dois avouer que je suis bien plus enjouée que les fois précédentes. Je passe bien plus de temps à me préparer, par exemple. Si je ne fais rien de particulier de mes cheveux que j'aime porter lâchés en presque toutes circonstances, je m'applique sur le maquillage. Je ne charge pas trop, mais veille à dissimuler mes cernes et le petit bouton qui pousse sur ma joue. Je choisis un chemisier bleu pâle que je laisse ouvert à la limite de la décence. Ce qui finit de convaincre mes copines que j'attends quelque chose de cette soirée, c'est la jupe à volants que je décide d'enfiler. Courte et évasée, elle révèlera mon shorty à la moindre occasion, comme le fait remarquer Alizé avec un sourire coquin.
— Il y en a un qui va passer un bon moment, je dirais, se moque Esthel.
— J'espère qu'il ne sera pas tout seul à passer un bon moment, je réplique avec un sourire.
Nous rions toutes les trois et quittons l'hôtel en compagnie de David, qui nous rejoins dans le hall. Alizé nous présente son petit ami Allemand et nous nous rendons tranquillement à la discothèque pour la découvrir fermée.
Esthel, qui n'est pas du genre à se contenter d'un « c'est fermé aujourd'hui » décide de jouer de ses qualités de négociatrice auprès d'un des videurs devant la boîte pour en savoir plus. Elle revient après un quart d'heure avec le visage défait.
— Qu'est-ce qu'il y a ? je demande.
— En fait, ils ne savent pas quand ils vont rouvrir, répond-elle. Le mec n'a pas été très clair, mais il y a une enquête pour homicide.
Nous sursautons tous les trois suite à cette révélation.
— Un meurtre ? demande tout de même Alizé.
Nous suivons toutes les deux le même cursus. Elle sait donc très bien qu'il y a une différence entre homicide et meurtre. Cependant, Esthel n'as pas cette maîtrise.
— Qu'est-ce que tu comprends pas dans homicide, cocotte ? Apparemment, un mec s'est fait descendre dans les toilettes, hier soir. Vers deux heures du matin.
Nos yeux s'agrandissent. Cela correspond au moment où nous sommes parties. Un quart d'heure environ après que Maloé m'a laissée seule. Trop chavirée par cette rencontre, je n'ai pas voulu retourner danser et Esthel étant fatiguée, elle aussi, nous avons décidé de rentrer. Par ailleurs, il fallait que nous nous levions tôt ce matin pour la visite de la grotte.
— T'imagines, si c'était ton mystérieux Maléo ? intervient Alizé.
— Bah ! T'as raison, Alizé. C'est exactement ce qu'elle a besoin d'entendre, s'insurge Esthel.
— C'est Maloé, je corrige à mi-voix.
J'entends David dire quelque chose, sans comprendre. Il parle anglais et mon cerveau ne semble plus capable de switcher d'une langue à l'autre. Si Alizé avait raison ?
Mes jambes se mettent à trembler et un de mes genoux me lâche. Esthel me rattrape de justesse, puis me guide vers une voiture. Je m'appuie sur le capot pour reprendre mes esprits.
— T'as vu ce que tu as fait, maintenant ? T'es fière de toi ?
— Pardon, Léo, me chuchote Alizé en se penchant vers moi pour attraper ma main. Y avait des centaines de personnes hier, ça peut être n'importe qui. Écoute pas les conneries que je dis.
— Ça va, dis-je en essayant de me convaincre plus qu'autre chose. Je ne pense pas que c'était lui et, de toute façon, je ne le connais pas.
— Ça serait vraiment bizarre, intervient David que je comprends, tout d'un coup.
Ça, c'est sûr. Mais ce que je viens de dire est vrai. Je ne connais pas Maloé. Même si jamais c'est lui qui a été tué hier soir. Ça ne devrait pas me toucher à ce point. Il embrassait bien, certes. Mais je ne peux pas dire que nous étions proches. Pas même que nous étions amis.
— Tu veux aller danser ailleurs ? me demande Esthel d'un ton doux.
On dirait qu'elle propose une glace à une gamine qui vient de s'égratigner le genou. Je réponds par la négative et décide de rentrer à l'hôtel. Elle me raccompagne, tandis qu'Alizé et David restent ensemble. J'ignore où ils comptent aller et il semble qu'eux-mêmes n'en sachent rien.
De retour dans notre chambre, je me change, un peu déçue de m'être apprêtée pour rien, un peu inquiète d'avoir rencontré un homme qui s'est fait tuer lors d'une bagarre dans les toilettes sales d'une boîte de nuit. Je n'avais aucune intention de faire ma vie avec lui. Pour autant, la perspective de passer une nuit dans ses bras avait fini par faire son chemin dans mon esprit et je m'en réjouissais. Je nous voyais déjà, dans sa chambre d'hôtel, faisant l'amour jusqu'à l'aube avant de se dire adieu pour retourner chacun à nos vies.
— C'est pas lui qui s'est fait buter ! déclare soudain Esthel, le nez sur son téléphone.
Mon cœur semble bondir hors de ma poitrine en entendant cette révélation. J'en demande plus à mon amie et me penche sur son écran, à mon tour. Elle me montre l'article qu'elle lit. La traduction automatique n'est pas des plus claires, mais l'essentiel est là : l'homme qui s'est fait tuer a pris six coups de couteau dans l'abdomen. On parle de Ludo Santorini, un italien de quarante-sept ans, en vacances dans sa villa croate. Il n'y a aucune photo, mais rien dans ce que l'article nous livre ne correspond à Maloé.
— Ça va mieux ? me demande Esthel.
Je prends un instant avant de répondre. Je réalise, qu'en effet, ma respiration me semble plus facile. J'avais beau me répéter que cet homme n'était rien pour moi, découvrir sa mort m'a affectée. Plus que je n'étais capable de le réaliser. Esthel, avec son empathie légendaire, l'a compris avant moi. Voilà pourquoi elle a cherché des infos sur Internet. C'est vraiment une bonne amie.
— Merci, Esthel ! je glisse avec le regard bien trop humide compte tenu de la situation.
— Tu rigoles ou quoi ? s'insurge-t-elle. Je pouvais pas te laisser te morfondre comme ça.
Je souris malgré la larme unique qui coule sur ma joue.
— Et si tu avais découvert que c'était lui ? demandé-je.
— Franchement, je sais pas ce que j'aurais fait, mais c'est pas le cas. C'est pas pour autant que tu risques de le revoir, mais au moins, tu sais qu'il est pas mort dans des chiottes pourries, sourit-elle. Avec un petit coup de pouce du destin, tu le reverras peut-être.
— On s'en va après demain, je lui rappelle.
— J'ai dit : avec un coup de pouce du destin, insiste-t-elle en grimaçant.
Je lui souris encore, sans rien ajouter. Nous passons une heure de plus, chacune sur son téléphone portable, avant de nous coucher.
Malheureusement, le destin ne se décide pas à me filer un coup de pouce et, lorsque nous décollons pour la France, le samedi après-midi, je n'ai eu aucune nouvelle de Maloé. Je décide de me faire une raison : nous n'étions pas destinés à partager plus qu'un baiser et puis c'est tout. Dans deux jours, les cours reprennent, c'est ça le plus important.
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