Chapitre 28

Lorsque je reprends conscience, je note immédiatement un certain nombre de différences. La première d'entre elles est que je suis assise. Je suis toujours ballotée, mais moins fortement que lors de mon premier voyage. En revanche, au registre de ce qui n'a pas changé, je suis toujours bâillonnée avec un sac sur la tête. Mes mains sont toujours ligotées, mais posées sur mes cuisses. C'est là qu'intervient le deuxième changement de taille : mes vêtements. Ce ne sont pas les mêmes. Je l'ai senti avant même de réaliser que mes mains étaient devant moi dorénavant. Mon cœur pique un sprint lorsque je comprends que non seulement, j'ai changé de vêtements, mais surtout, que je n'ai plus de sous-vêtements. Je sens le tissu de mon pantalon contre mes fesses et entre mes jambes ! Probablement un jean. Mes seins ne sont plus maintenus non plus et, à chaque mouvement de la route, frottent contre le coton rêche de mon haut, quel qu'il soit.

Une panique sans commune mesure s'empare alors de moi. M'ont-ils violée ? Un frisson de dégoût me secoue si fort que je me cogne la tête contre la paroi dans mon dos.

Un type se marre et fait un commentaire. Il a la voix bien plus grave que ceux que j'avais entendu tout à l'heure. Était-ce bien tout à l'heure ? Je ne sais pas. Je suis complètement désorientée, paniquée, victime d'une forte nausée à l'idée qu'ils aient pu abuser de moi pendant mon inconscience.

Ne devrais-je pas ressentir quelque chose ? Une douleur au niveau du vagin, quelque chose ? Comment puis-je être sûre de ce qu'il s'est passé ?

Nouveau frisson, mais cette fois, j'ai le réflexe de me pencher en avant pour éviter le choc. Nouveau commentaire, moins hilare. J'aimerais lui répondre. Lui dire d'aller se pendre ou quelque chose comme ça, mais avec mon tissu dans la bouche et mon sac de toile noir sur la tête, je ne sais même pas vraiment où il est et je ne peux rien dire d'intelligible. Peu m'importe, cependant. Je suis prise d'une telle rage, que je me secoue dans tous les sens et tire sur mes liens de toutes mes forces en hurlant.

À la première voix, une seconde s'ajoute et ils échangent quelques mots. Lorsque je sens la présence de l'un d'eux toute proche, je balance mes deux mains ensemble dans l'espoir de l'assommer. Non seulement ça ne fonctionne pas, mais en plus, je ne le touche même pas. En revanche, il m'attrape d'une main à la gorge et me retient les mains de l'autre. Soudain, je suis incapable de respirer. Il sert si fort que je me demande même s'il ne va pas séparer ma tête de mon corps.

Malgré le tissu qui me couvre le visage, je sens son haleine de vieille cigarette lorsqu'il s'adresse à moi d'un ton menaçant. Certes, je ne comprends pas un mot, mais son intention est claire. Il parle peu, mais me garde dans cette posture, privée d'air, pendant de longues secondes. Je tape des pieds, d'abord avec beaucoup de vigueur, mais très vite sans la moindre énergie. J'essaie de me convaincre qu'il ne va pas me tuer. Pas après s'être donné tout se mal pour me kidnapper. Mais lorsque des lumières viennent danser à l'orée de mon champ de vision rétrécit, je me dis qu'il n'a peut-être pas eu l'information.

Soudain, il me relâche en me repoussant vers l'arrière et mon crâne heurte de nouveau la paroi de la camionnette. Je suis prise d'une quinte de toux pendant que l'air brûlant me griffe la gorge pour se précipiter dans mes poumons en manque. Je tousse et tousse encore à travers l'épaisse boule de tissu dans ma gorge. Je lutte comme je peux pour ne pas inspirer par la bouche et m'étouffer toute seule. Le sac se colle à mes narines, empêchant l'oxygène d'entrer aussi vite que j'en aurais besoin, mais je finis par retrouver ma respiration.

Je me laisse lentement glisser sur le côté pour m'allonger en essayent de ne me cogner à rien. Le sol est dur et l'odeur à ce niveau est infecte, mais qu'à cela ne tienne, je garde ma position. De façon absurde, je me sens plus en sécurité.

Malgré cela, et pour la première fois depuis que j'ai été séparée de la police, je me laisse aller à pleurer. Je fais de mon mieux pour ne pas sangloter, mais laisse mes larmes couler abondamment.

Les deux hommes, ne m'adressent plus la parole et ne parlent même pas entre eux, pendant un long moment. Je me demande si je ne me suis pas endormi de nouveau.

Au bout d'un moment, le véhicule ralentit, puis s'arrête. Redémarre lentement et roule sur ce qui ressemble à des graviers. Nous subissons plusieurs virages à faible allure avant de nous arrêter définitivement. On me saisit sans ménagement par le bras, me hisse sur mes jambes et me traine dans des graviers, en effet. Mes chaussures sont trop grandes. On dirait des tennis. Je monte les escaliers d'un perron avant d'être introduite dans une maison. Le sol doit être en carrelage. La température est très agréable et j'entends, au loin, des bruits de cuisine.

Personne ne m'adresse la parole et je n'essaie pas d'en savoir plus.

On me fait monter un étage, me traîne dans des couloirs, puis me fait passer une porte. J'entends qu'on la referme derrière nous, puis plus rien.

Rien.

Pas un son.

Pas un souffle.

J'ai l'impression d'être seule, mais sans en avoir la certitude. Je n'ose pas bouger et reste là, à quelques pas de la porte. Debout, les jambes faibles, les mains attachées devant moi et la peur au ventre.

— Il y a quelqu'un ? je demande à mi-voix.

Personne ne répond, mais je n'ose toujours pas bouger. Que faire ?

Au bout de longues minutes d'attente, je me décide enfin à esquisser un mouvement. D'abord un pas. Puis un second. J'ai peur de me cogner contre quelque chose, alors je tends les mains devant moi. Puisque personne ne me dit rien. Je dirige les doigts vers mon sac. J'y vais doucement. Très doucement. J'ai peur du piège et de me prendre un coup au moment où je m'y attendrais le moins. Pourtant, rien ne vient.

Je plisse les yeux lorsque la lumière d'un grand soleil m'éblouit. Il ne me faut pas longtemps pour m'habituer à la clarté et tourner sur moi-même au ralenti pour vérifier que je suis vraiment seule. Je soupire par le nez et me débarrasse de mon bâillon avant de faire jouer ma mâchoire inférieure et ma langue. J'ai l'intérieur des joues sec comme du vieux bois laissé au soleil.

Je suis presque libre. Les mains toujours attachées par un lien en plastique jaune. Libre. Tout est relatif, forcément. Mais personne ne me surveille. Je suis dans une grande chambre avec un lit king size aux draps propre. Il y a une table de nuit de chaque côté du lit. Mon premier réflexe est d'essayer d'ouvrir la porte : fermée à clé. Ensuite, j'entreprends de tout fouiller. Rien sur ni dans les tables de nuit. Pas plus dans la grande armoire dont, même la plupart des étagères ont été enlevées. Mes ravisseurs devaient avoir peur que je me serve de ça comme d'outils. Je ne vois pas bien ce que j'aurais pu en faire, mais cela ne me manquera pas, puisque je n'ai même pas mes vêtements.

C'est à ce moment que je décide de m'examiner avec un peu plus d'attention. Une porte, sur le côté de la chambre attire mon attention. C'est une petite salle de bain avec toilette et douche à l'italienne. J'ignore où je suis, mais je suis contente de ne pas avoir atterri dans une prison russe. En vérité, j'ignore à quoi ressemble les prisons russes, mais dans les films, elles sont horribles.

Dans ma petite salle de bain, je me rends vite compte qu'à part un miroir ovale et du savon liquide, il n'y a rien de plus que dans le reste de la chambre. Je m'observe avec attention. C'est bel et bien du sang que j'avais senti au niveau de mon oreille. Mes cheveux sont en partie collés et j'ai une belle bosse. Cependant, puisqu'il n'y a pas d'hémorragie, je décide que ce n'est pas grave. En réalité, tant que je n'y touche pas, je n'ai pas mal. En revanche, j'ai un bel hématome sous l'œil, du côté où je me suis pris la gifle.

En guise de haut, je porte un t-shirt un peu grand que je soulève comme je peux afin de m'ausculter du regard. À l'exception d'un bleu sur le côté et d'une large éraflure à l'épaule, je ne porte aucun stigmate. Je constate d'ailleurs que mon épaule ne me fait plus mal. Elle n'était donc pas déboitée.

Je repousse la porte de ma petite salle de bain et me défais de mon jean, lui aussi un peu grand. Mes genoux sont abîmés et j'ai un petit bleu sur un de mes mollets. Hormis cela, je ne trouve aucun autre bleu. Rien à l'intérieur des cuisses. À ce que j'ai cru comprendre, se faire violer laisse ce genre de traces. Je ne me réjouis pas trop vite pour autant, si on m'a violée alors que j'étais inconsciente, je n'ai forcément pas résisté, non plus.

Je me lave les mains soigneusement avant d'entamer une rapide palpation de mon vagin et n'y trouve rien de douloureux ou d'anormal. Je n'aurais probablement jamais de certitude à ce sujet, mais je me sens tout de même un peu rassurée.

Je me rhabille et décide de me nettoyer la tête pour me défaire de tout ce sang. Une fois ceci fait, je retourne dans la chambre avec les cheveux dégoulinants. Il n'y a pas de serviette !

Je me poste devant la seule fenêtre de la pièce. Elle est immense avec deux battants. Je suis au premier étage et, malgré cela, il y a de larges barreaux qui m'empêchent de sortir. Comme si je pouvais en avoir envie. J'ai une jolie vue sur les montagnes au loin et une immense forêt de feuillus. Avant les arbres, un petit bout de jardin.

Je retourne vers le lit et m'y assois. Je suis perdue. Je me demande toujours pourquoi ils m'ont changé mes vêtements. C'est alors que je réalise que je n'ai plus non plus ma montre ni mes clous d'oreilles. Se pourrait-il que, comme dans les films, ils aient imaginé que je portais un genre de puce GPS ?

Si c'est le cas, alors, ils ne laissent vraiment rien au hasard. Tout cela n'a vraiment rien de rassurant. Pas plus que le fait d'avoir été laissée seule ici. Je dirais qu'il a bien dû s'écouler une demi-heure depuis que je suis ici et personne n'est venu me dire quoi que ce soit. Si on m'a enfermée dans une chambre, plutôt que dans un sous-sol humide, j'imagine qu'on ne compte pas me laisser mourir. Et de toute façon, si vraiment je suis un appât pour Mal, il vaut mieux que je reste vivante. Pour autant, est-ce qu'ils se donneront la peine de me nourrir ?

Après encore un petit quart d'heure à me morfondre en essayant de comprendre comment m'en sortir sans trop de dommage, une clé s'active dans la serrure. Je me fige, toujours assise sur le lit, les mains attachées. Une haute et large silhouette s'encadre dans la porte. Je ne reconnais pas le visage de l'homme à la barbe sombre fournie. Il a de petits yeux verts qui tranchent avec ses cheveux aussi sombres que son menton.

À la main, il tient un sandwich qui me met l'eau à la bouche immédiatement. C'est à ce moment seulement que je me rends compte que je n'ai pas mangé depuis très longtemps. J'ignore combien de temps je suis restée inconsciente, mais puisqu'il y a des montagnes toutes proches, je suis à au moins plusieurs centaines de kilomètres de Paris. Ce qui signifie que j'ai dormi plusieurs heures aussi.

L'homme s'adresse à moi sur un ton neutre et j'essaie de lui parler.

— S'il vous plaît, j'implore alors qu'il s'approche, je ne peux pas vous aider. Mal ne viendra pas me chercher. Je ne suis plus avec lui.

Il ne donne même pas l'impression de m'avoir entendu et se penche vers moi une fois à un pas de distance. Il pose le sandwich sur le lit et se redresse pour sortir un couteau de chasse de son dos. Je panique et me demande pourquoi m'avoir amenée ici pour finir par me découper en morceaux.

Il attrape cependant ma main. Je tente de résister, mais je ne fais pas le poids et il tire plus fort pour étendre mes deux bras. Là, il sectionne le plastique et je respire de nouveau. Il empoche le lien et m'indique le sandwich de la pointe de sa lame en ajoutant quelques mots que je ne comprends pas plus. Je tente une nouvelle fois de lui expliquer que personne ne viendra me sauver. Que j'étais avec la police parce que je ne voulais plus rien avoir à faire avec Maloé et que leur plan est donc voué à l'échec, mais il ne réagit pas plus. Il se contente d'aller vérifier dans la salle de bain que tout va pour le mieux, ainsi que la solidité de la fenêtre. Comme si j'allais me lancer dans des travaux pour dégonder les barreaux.

Ensuite, il disparait.

Je lance un regard vers mon sandwich. Une demi baguette avec une sorte de jambon ultra fin et d'une drôle de couleur. Pas de beurre, pas de fromage ou de crudités. Je suis prisonnière, après tout.

Mon estomac se manifeste, me faisant comprendre que, lui, se moque bien de savoir ce qu'il y a dedans. Je croque alors et mange sans plaisir.

Une fois mon sandwich avalé, je retourne à la fenêtre et cherche où je pourrais être. En observant le ciel, je constate que le soleil est bien trop haut pour que nous soyons le même jour que celui de mon enlèvement. Et si je me fie au fait qu'on vient de m'apporter à manger, cela confirme qu'on doit être aux environs de midi. J'aurais donc été inconsciente pendant au minimum toute la nuit. Il est donc impossible que je sois toujours en France. Mais alors, où ?

Les ennemis de Mal étaient Polonais, si je me souviens bien de ce qu'a dit l'inspecteur Tagbo. Suis-je en Pologne ? Je ne suis pas assez calée en géographie pour me baser sur les montagnes devant moi. Elles me semblent de petite taille comparée aux monts des Alpes, mais j'en suis relativement éloignée, alors peut-être n'est-ce qu'une impression.

Je n'y connais rien en arbres non plus, impossible de me baser sur ça. En réalité, plus je cherche d'indices et plus je me rends compte que je ne serais pas capable d'en tirer profit. Alors, je finis par m'abstenir et retourne m'installer sur le lit.

Je repense au fait que je suis restée inconsciente de nombreuses heures. Peut-être même plusieurs jours ? C'est peut-être aussi pour ça qu'ils ont dû me changer. Mon corps a des besoins physiologiques, même endormi.

— Arrête de te prendre la tête, Léo ! je me sermonne à voix haute.

Tout ça n'a aucune espèce d'importance, en réalité. Je suis prisonnière et mes ravisseurs veulent sans doute tendre un piège à Maloé. S'il ne réagit pas, il faudra qu'ils décident quoi faire de moi et si je n'ai pas encore été violée, cela risque de finir par arriver. Si ce n'est par eux directement, sans doute par les gens à qui ils vont me vendre.

Je dois trouver un moyen de fuir d'ici.

Il est clair que la fenêtre n'est pas une option et il n'y a qu'une seule porte. L'espèce d'armoire à glace qui est venu m'apporter mon sandwich ne me rendra pas les choses faciles, surtout avec son couteau géant. Et puis, même si je parvenais à le passer – j'ignore comment – j'imagine qu'il y en a au moins une demi-douzaine d'autres comme lui dans le reste de la maison. Il me faut un plan. Comme dans les films. À la différence près que, dans les films, les héros qui font des plans sont des anciens des forces spéciales ou des champions de Kung-fu. Moi je suis étudiante en droit et ma dernière séance de sport remonte à plus de six mois, lorsque nous sommes allés courir avec Alizé et Kaïs. Au bout d'un kilomètre, nous avons laissé tomber Kaïs, au bord de la mort.

Je vais devoir m'entraîner, si je veux un espoir de fuir. Et pour que mon entraînement soit efficace, il me faudrait...six mois !

Je vais mourir ici.

Et contre toute attente, cette conclusion ne me déprime même pas. Je ne pleure pas, je ne rage pas. Rien. C'est étrange. C'est l'idée de finir comme esclave qui me révulse. La mort, moins. Soudain, je comprends que je suis presque résignée à mourir et que les barreaux aux fenêtres ne sont pas si ridicules que cela. Si je pouvais choisir entre la mort et l'esclavage, je commence à envisager que j'opterais peut-être pour une mort rapide.

Mais je n'ai même pas ce choix, pour le moment.

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