Chapitre 27

Me revoilà donc dans une voiture de police. Je me sens comme une vulgaire criminelle, à l'arrière du véhicule avec les deux policiers à l'avant. Par chance, ce n'est pas comme dans les films américains, il n'y a pas de grillage entre eux et moi. J'ose espérer qu'ils m'auraient laissée monter à l'avant si cela avait été le cas.

Cependant, j'avoue que c'est agréable de me rendre à la fac en voiture. Dans l'état dans lequel je suis, prendre le métro m'aurait probablement fait faire une attaque de panique. Il ne manque qu'un auto-radio et l'ambiance serait bien meilleure. J'ai hâte de pouvoir me plonger dans les cours pour oublier un peu tout ça.

— Attention ! hurle soudain l'inspecteur Tagbo.

Son collègue, au volant, écrase la pédale de frein tandis que je tourne la tête sur la droite, où Tagbo regarde. Une camionnette grise nous fonce dessus après avoir grillé un stop. Loin de vouloir faire un écart pour nous éviter, elle se décale pour nous percuter par le côté, visant la portière avant.

Le choc est d'une violence inouïe et je perds très vite mes repères lorsque la voiture de police part en tonneaux. J'ai beau être attachée par ma ceinture de sécurité, ma tête valse de droite et de gauche et je heurte la vitre à plusieurs reprises avant que notre véhicule s'immobilise. J'entends Tagbo crier quelque chose, sans parvenir à comprendre quoi que ce soit de ce qu'il hurle. Je suis en partie sonnée et ai bien du mal à faire la mise au point pendant quelques secondes.

Soudain, un son que je reconnais immédiatement me tétanise : des coups de feu.

— Non ! Non ! Non ! je m'écrie en essayant de me détacher.

Je tremble de partout et j'ai une vilaine migraine qui pulse sous mes tempes. Me détacher n'est pas évident, pourtant j'y parviens au second essai. Nouveau problème, ma porte est en partie enfoncée et, même si la vitre est brisée, je ne suis pas sûre de pouvoir passer par là. Jérémie, le collègue de Tagbo, apparait dans mon champ de vision, derrière la voiture, tandis que des tirs résonnent à intervalle régulier.

— On va vous sortir de...

Je hurle de toutes mes forces, quitte à me briser les cordes vocales. Le policier vient de prendre une balle dans la gorge et son sang se déverse en cascade sur le bitume. Dans un geste que même moi je sais inutile, il place sa main sur la blessure tout en crachant un peu de sang par la bouche. Son regard vers moi est horrible. Il sait qu'il va mourir. Je le sais aussi. Et je vais sans doute être la suivante.

Soudain, je vois l'étincelle de vie quitter le regard de mon garde du corps qui s'effondre au ralenti devant la seule issue de ma prison.

Je fais de mon mieux pour juguler la terreur qui a pris possession de moi. Je commence par arrêter de hurler. À la place, je halète, comme si je venais de courir un marathon à la vitesse d'un sprinter. J'observe autour de moi. L'autre portière est tout aussi déformée que celle-ci, mais j'essaie de l'activer, sans succès, comme je le pressentais.

— Léo ? entends-je alors.

Dois-je répondre ? C'est la voix de l'inspecteur, certes, mais si je réponds, nos agresseurs sauront que je suis là, non ? Ils le savent sans doute déjà.

— Oui, je suis là, dis-je en chuchotant de toute mes forces.

— Passez par l'avant, côté conducteur, dit-il avant qu'une nouvelle salve résonne.

Un impact sur la carrosserie me fait sursauter et crier de nouveau. J'ignore où c'était, mais je ne suis pas touchée. En tout cas, je ne ressens aucune nouvelle douleur. Je me faufile entre les deux sièges avant et bifurque vers le côté conducteur. Je repère l'inspecteur Tagbo. Ses jambes du moins.

C'est étrange de marcher à quatre pattes sur le plafond de la voiture.

— Par ici, me dit-il en se penchant pour me montrer son visage. Vite.

Il est blessé à la tête. Il a tout un côté du visage baigné de liquide rouge. Il tire encore pendant que j'essaie de m'extirper par la vitre brisée. La porte n'est pas ou peu déformée ce qui me laisse pas mal de place.

— Mon sac ! je m'écrie soudain.

— On s'en fout ! Venez !

Il m'attrape la main et me pousse derrière la carrosserie où j'imagine je serais à l'abri des tirs ennemis.

— Vous voyez ce magasin ? me demande-t-il.

Je regarde dans la direction qu'il m'indique. À vingt mètres, peut-être, la vitrine d'une librairie spécialisée. Le reste de la rue semble totalement désert. Je n'ai jamais vu ça dans Paris. À bien y regarder, les gens sont tous accroupis derrière des voitures ou au fond des magasins, dont cette librairie à la porte grande ouverte.

— Je vais compter jusqu'à trois, reprend Tagbo. À trois, vous courez comme une dératée et vous vous cachez à l'intérieur, je vous couvre.

Si la situation n'était pas si grave, je rigolerais. « Je vous couvre. » Maintenant, je me croirais vraiment dans un film d'action. Sauf que je vais devoir courir vingt mètres en me faisant canarder par je ne sais combien de tireurs.

— Vous êtes sûr ? je demande quand même.

— Il y a des dizaines de témoins ici, ajoute-t-il. Ils ont déjà appelé les renforts, soyez-en certaine. Je vais juste les tenir à distance suffisamment longtemps. Tout va très bien se passer.

Il a l'air vraiment convaincu, alors j'acquiesce en essayant d'être aussi confiante que lui.

— Un, deux, commence-t-il avant de se lever et de tendre son arme en direction de nos agresseurs.

Le « trois » ne sortira cependant jamais. À la place, il s'effondre avec une balle en pleine poitrine.

Je hurle de nouveau. Je jette un œil vers la librairie en évaluant mes chances d'y parvenir sans me prendre une balle.

Nulles !

Soudain, une poigne de fer me saisit le bras et je me remets à crier de plus belle. Cependant, ça ne dure pas plus d'une micro seconde. La gifle que je reçois me dévisse le cou et me cloue le bec. J'ai l'impression d'avoir rencontré un mur lancé vers moi à toute allure et je ne vois plus rien de l'œil gauche pendant quelques secondes. Temps qu'il faut à mon agresseur pour m'attraper et me basculer sur son épaule comme un sac de patates.

J'ai beaucoup de mal à comprendre ce qu'il se passe. En fait non. Je comprends très bien, mais avec plusieurs secondes de retard. C'est ainsi que je réalise que je suis sur l'épaule de ce mec au moment où il me bascule dans la camionnette. Je comprends d'ailleurs cela, lorsque cette dernière démarre et ainsi de suite. Le véhicule démarre en trombe et je suis bien trop sonnée pour me débattre ou crier. Ma dernière tentative m'a de toute façon bien refroidie. On m'enfonce un tissu dans la bouche qui manque m'étouffer. Je constate que ma mâchoire, que je croyais brisée, fonctionne encore à peu près. Je me retrouve avec un sac sur la tête. On m'attache les mains dans le dos avec un serre-câble ou quelque chose qui m'y fait penser. Puis, plus rien. Une vague odeur d'essence, des mouvements chaotiques qui me font me cogner toutes les trois secondes, mais plus personne ne me touche ou ne me parle. Ils ne parlent même pas entre eux, non plus. Je sais qu'ils sont plusieurs, car la camionnette avançait tandis qu'on m'attachait et me bâillonnait.

Je n'arrive à calmer ni mon cœur ni ma respiration et j'ai la certitude que je vais mourir. Non pas assassinée par mes assaillants, mais d'une crise cardiaque, tout bêtement. Le tissu du sac se colle et se décolle de mon visage au rythme effréné de ma respiration. Chaque mouvement un peu brusque me fait lâcher un petit cri étouffé par le bâillon dans ma bouche. Bâillon qui m'empêche d'avaler ma salive correctement et se retrouve imbibé de bave très vite.

Je tente de me redresser en position assise, mais me cogne la tête contre quelque chose lors d'un nouveau cahot, puis abandonne, tout simplement. Ce cauchemar dure peut-être cinq minutes avant que tout s'arrête soudain et que je sois projetée contre ce que j'imagine être l'arrière des sièges avant. Cette fois, j'entends des voix en même temps que les portes à l'avant puis, juste là où j'étais en appui.

Je tombe durement sur le sol. La route ? On me redresse sans ménagement. Ils sont deux à me porter cette fois. Je ne me débats même pas. J'ai rencontré le sol une fois déjà, j'en ai encore la tête qui tourne et une épaule douloureuse. J'essaie de deviner la langue qu'ils utilisent, sans le moindre succès. Un pays de l'est, je dirais, mais sans certitude.

On me balance de nouveau, mais cette fois, dans un espace beaucoup plus exigu. Une porte claque et j'essaie encore de me redresser pour me cogner contre quelque chose. Je suis dans un coffre !

Cette fois, je me débats. Je rus dans toutes les directions possibles et de toutes mes forces. Je hurle aussi. Ce qui produit un son ridicule alors même que cela me brûle la gorge. Lorsque la voiture se met en mouvement, j'abandonne. D'abord, personne ne m'entendra dans le trafic et, même si j'arrivais, par un miracle quelconque, à ouvrir le coffre, en sortir sans visibilité alors que nous sommes lancés sur une route serait du suicide.

Je ne suis pas certaine de rester en vie longtemps, mais je ne veux pas me suicider pour autant.

Cette fois, nous roulons plus longtemps. Être allongée dans ce petit coffre, me permets de moins souffrir des nombreux virages, freinages et accélérations. Je me cogne moins et moins fort. Cela me laisse le temps de faire le compte de mes douleurs.

Je souffre du côté de la tête, ainsi que du front. J'ai l'impression de sentir du sang couler derrière mon oreille, mais cela pourrait tout autant être de la sueur. La chaleur atroce que je ressentais sur ma joue après la gifle se dissipe peu à peu. Mon épaule me fait un mal de chien aussi et j'espère qu'elle ne s'est pas démise lorsque je suis tombée de la camionnette. J'arrive un peu mieux à respirer, mais ma gorge me brûle toujours autant. Bien entendu, j'ai aussi mal aux poignets, là où ils sont attachés. Je ressens une gêne au niveau du genou, mais je crois que ce n'est dû qu'à ma position. À part ça ? Je suis en vie et, pour le moment, je m'en contenterai.

Je sais que le coéquipier de l'inspecteur Tagbo n'a pas eu cette chance et je me demande si Tagbo survivra à sa blessure. D'une certaine façon, le fait que je sois dans un coffre, attachée et bâillonnée, est une bonne nouvelle, j'imagine. S'ils avaient voulu me tuer, je serais étendue sur le bitume avec Jérémie et Tagbo.

Maigre consolation, mais je vais faire avec ce que j'ai.

Reste que je ne sais pas vraiment ce que ces gens me veulent. Il semble assez logique que ce soit les ennemis de Mal. Ils veulent me prendre en otage pour le forcer à sortir de son trou, j'imagine. Comme dans les films d'action. Seulement, ils ont un train de retard : Mal et moi, c'est fini. Il faut absolument que je trouve un moyen de le leur dire !

Et quoi ? Une fois qu'ils sauront que je l'ai envoyé paître, ils vont me libérer avec des excuses ? Réveille-toi, Léo ! Ils vont me descendre, oui.

À moins qu'il décide de me vendre ? J'ai vu un film comme ça, où des filles se font kidnappée pour finir vendues comme esclaves sexuelles à de gros pervers.

À bien y réfléchir, l'inspecteur Tagbo avait peut-être raison : il peut y avoir pire que la mort.

Si seulement j'avais accepté l'aide de Maloé. J'ai été stupide. Il avait raison, c'était probablement le seul à vraiment pouvoir m'aider. À présent, je suis en route pour une vie d'esclave. Je devrais peut-être bien me suicider.

Soudain la voiture s'arrête et, après quelques secondes, quelqu'un ouvre le coffre. Au travers du tissu, je distingue une lumière en hauteur, nous sommes sous un lampadaire. Une vive piqûre dans le bras, puis une brûlure sous ma peau. On vient de m'injecter quelque chose !

Le coffre se referme. Les ténèbres de nouveau. Une drôle de nausée me saisit. La tête me tourne. Puis, plus rien.

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