Chapitre 17

Après notre petite discussion qui est loin de m'avoir fait du bien, je suis allée directement à la boulangerie. Là, j'ai pu penser à autre chose. En effet, j'ignore pourquoi, les clients se sont succédés sans presque discontinuer.

C'est donc exténuée que je rentre à la maison avec deux sandwichs crudités jambon et une part de flan de la veille. Contrairement à ce que j'ai prétendu à Kaïs il y a quelques temps, il n'y a aucun risque pour moi. En revanche, nous ne pouvons plus vendre les sandwichs après une journée. Pour les pâtisseries, les règles varient en fonction de l'article. Quoi qu'il en soit, je ne m'embêterai pas à faire à manger en rentrant et cela me va très bien.

J'ai mal dans les mollets comme si j'avais marché des centaines de kilomètres et mon cerveau est en panne sèche. À tel point que je rate mon immeuble et dois faire demi-tour pour rentrer chez moi.

Je prends juste le temps de me déshabiller et passe mon pantalon de jogging pour m'installer par terre au pied de mon lit et manger mon premier sandwich. Je garde mon chemisier que je me contente de déboutonner un peu. Après deux bouchées seulement, je le pose sur mon lit et attrape un oreiller pour m'installer dessus. Je refuse de mettre des miettes dans mes draps lavés deux jours plus tôt.

Tout en mangeant, j'essaie de relire mes cours de la journée, mais mon cerveau n'est décidément pas de la partie. Je relie trois fois le même passage sans parvenir à réellement le comprendre alors que je sais que ce n'est pas si compliqué. Je décide donc d'abandonner et attrape mon téléphone portable à la place. Me vider l'esprit sur les réseaux sociaux me semble soudain la seule chose à faire.

J'ai à peine passé trois ou quatre posts que l'on frappe à ma porte. Enfermée dans le silence depuis plusieurs minutes, le son de la porte me fait sursauter et je manque avaler de travers. De toute mon âme, je prie pour que ce ne soit pas Kaïs. Je n'ai ni la volonté ni la force d'avoir une discussion sérieuse avec lui. Cela dit, vu l'heure, il est peu probable que ce soit quelqu'un d'autre. Je me prépare donc mentalement à une dispute et une rupture. Au moins une rupture.

— Mal ? dis-je en le découvrant, toujours aussi beau, dans le couloir plongé dans la pénombre. Pourquoi tu n'allumes pas ?

Il me sourit et me parle d'économie d'énergie. Ce mec est incroyable !

Il entre sans que je l'y invite et je referme la porte derrière lui. J'avais encore mon sandwich en main. Je le pose donc sur le minuscule plan de travail, côté cuisine et en profite pour refermer deux boutons de mon chemisier. Toute seule chez moi, ce n'était pas gênant, maintenant, c'est autre chose.

— Comment va ton petit ami ? me demande Mal.

— Il va très bien, je crache presque. Qu'est-ce que tu fais encore là ?

— Je veux toujours te voir, Léo.

— Et moi ?

Il me regarde d'un air étonné. Je ne sais pas si c'est à cause de mon ton agressif ou bien de ma question. Je décide que c'est la question qui mérite un peu d'explicitation.

— Et moi, je répète sur le même ton sec. Est-ce que tu crois que j'ai envie de te voir ?

Il sourit. Mon cœur accélère, mais pour une raison totalement différente de d'habitude en sa présence.

— C'est pas drôle, Mal ! je m'emporte. Tu ne peux pas débarquer quand bon te semble parce que tu as envie de me voir. Je ne suis pas à ta disposition. Je ne suis pas ta chose ! C'est pas comme ça que ça marche la vie ! Je ne t'appartiens pas !

Il ne répond pas tout de suite et semble attendre de voir si je poursuis ou non. Je voudrais saisir cette opportunité et ajouter une phrase bien sentie, mais rien ne vient. Il prend une longue inspiration, bloque son souffle, puis relâche sans rien dire non plus. Pas tout de suite, du moins.

— J'aimerais que tu m'appartiennes, commence-t-il.

Je soupire ostensiblement, mais ne trouve rien à répliquer.

— Tu me plais, Léo, poursuit-il. Depuis notre rencontre, tu hantes mes pensées. Ne crois pas que je poursuive les femmes en général. Encore moins par-delà les frontières. Seulement...

Son expression, habituellement froide, hautaine où sûre, change soudain. Il paraît presque fragile, pour une fois. Je fais un pas en avant, je veux me blottir dans ses bras, lui dire que, moi aussi, je pense à lui. Que je n'ai qu'une envie : fondre mes lèvres avec les siennes, sentir ses mains partout sur mon corps. Mais je m'arrête avant de faire un second pas. Je dois garder le contrôle.

— Ça ne change pas ce que je viens de te dire, Mal, je lâche le plus froidement possible.

Disons que c'est tiède.

— Tu ne peux pas débarquer comme ça et penser que je suis disposée à t'accueillir et t'offrir ce que tu veux.

Il me sourit. Voilà le retour de son air supérieur.

— J'ai pour habitude de prendre ce que je veux, ajoute-t-il en faisant un pas dans ma direction.

Compte tenu de la taille de mon studio, nous voici face à face, il n'a qu'à tendre le bras pour m'attraper et faire de moi ce qu'il veut. J'espère qu'il veut la même chose que moi.

Pourtant, je grince des dents en répliquant :

— Je ne suis pas une pute !

Il allait franchir le dernier demi-mètre qui nous sépare encore et se fige. Cette fois, je crois que je l'ai choqué. Je suis assez fière.

— Jamais de la vie je n'ai pensé ça, Léo, me dit-il d'une voix ridiculement faible. Je n'éprouve que du respect pour toi. Du respect et du désir, en réalité.

C'est plus fort que moi, je tressaille et souris. J'essaie de m'en empêcher, mais les muscles de mon visage son en mode automatique. Mal me retourne un genre de sourire, lui aussi. Et il s'avance.

Il pose une main sur mon bras. Je souffle discrètement entre mes lèvres pour juguler la tension dans mes nerfs. Je ne sais plus quoi faire. Lui résister ? L'envoyer balader ? Me jeter sur lui et le couvrir de baisers enflammés ?

J'ai très envie de me laisser aller à cette dernière proposition, pourtant, je viens de dire que je n'étais ni une pute, ni sa chose. Il effleure ma peau au travers de la fine étoffe de mon chemisier et je sens la chair de poule suivre de près le tracer de ses doigts. Je devrais le forcer à sortir d'ici. Il se rapproche encore. Je lui lance un regard aussi noir que possible, histoire de lui faire comprendre qu'il n'est pas le bienvenu ici. Il est tout proche à présent. Ma gorge se serre. Il pose sa deuxième main sur mon épaule, puis me caresse le menton du dos de celle-ci.

Cette fois, impossible de retenir mon frisson et il sourit.

— Ce n'est pas drôle, Mal ! je lâche, furieuse.

Ou presque. De mon visage, sa main redescend vers ma poitrine, s'arrêtant sur le premier bouton fermé de mon chemisier.

— Non, souffle-t-il en vissant son regard au mien. Ce n'est pas drôle.

Il défait le bouton avec lenteur, son autre main délicatement cramponnée à mon poignet. J'ai mal dans la poitrine, mon cœur y bat beaucoup trop fort. Beaucoup trop vite.

Il s'attaque au deuxième bouton et je ne dis rien, ne fais rien. Suis-je sa chose, en fin de compte ? À vrai dire, j'ai beau me répéter qu'il ne faut pas, lorsqu'il commence à s'affairer sur le troisième bouton, je ne peux que me rendre à l'évidence : j'en meurs d'envie et rien de ce que ma raison pourra me hurler ne changera ça.

Mal approche avec une lenteur infini son visage du mien. Le quatrième bouton et le suivant cèdent l'un après l'autre et sa main bouillante se pose sur mon ventre en même temps que ses lèvres rencontrent les miennes. Je ne résiste plus. Je ne ressens que le plaisir de ses deux contacts simultanés. Sans avoir à forcer, je libère mon poignet de son emprise et pose mes doigts sur sa nuque pour approfondir notre baiser. Quel délice de retrouver la sensation de sa langue contre la mienne !

Je constate qu'il porte toujours son manteau alors que sa main baladeuse parcourt doucement la courbe de mon sein. À travers le tissu de mon soutien-gorge, je ressens la chaleur de sa peau et me force à inspirer pour ne pas gémir de plaisir.

— Je sais que tu ne m'appartiens pas, Léo, souffle-t-il si proche que ses lèvres chatouillent les miennes lorsqu'il parle. Mais je te veux.

— Tais-toi !

Je replaque ses lèvres contre les miennes et décide de le débarrasser de son manteau. Il fait beaucoup trop chaud ici, de toute façon. De son côté, sa main qui me maintenait passe sous l'élastique détendu de mon jogging et m'attrape la fesse alors que son autre main passe dans mon dos pour dégrafer mon soutif d'un geste expert.

Sa veste bleu nuit suit son manteau sur le sol et il me repousse en direction du lit, deux mètres à peine plus loin. Lorsque je butte contre le matelas, au lieu de me laisser tomber, je pivote pour échanger nos places, puis recule d'un pas. Ses mains désormais loin de ma peau me manquent déjà, mais je n'ai pas prévu que cela dure bien longtemps. Je finis de me déshabiller, envoyant valser mon chemisier et mon soutien-gorge.

— J'arrive, dis-je avec un regard empli de désir. T'as intérêt d'être nu quand je reviens.

Il pouffe, mais ne réplique pas. Dans la salle de bain, j'attrape la boîte de préservatifs et en tire le dernier. Il faudra refaire le plein.

À mon retour, Mal est toujours debout devant le lit, sourire aux lèvres, totalement nu. Je profite du court trajet pour me repaître de son corps offert en pâture à mon regard. Il n'est que muscles secs et cicatrices. Il en a une belle sur la cuisse gauche. Une longue ligne qui s'arrête juste au-dessus du genou. Je ne l'avais pas remarquée la dernière fois. Je délaisse pourtant cette marque pour m'attarder sur son membre pointé vers moi et souris. D'un geste délicat, je déchire l'emballage et, encore plus délicatement, déroule le préservatif le long de sa verge. Ceci fait, je dépose mes lèvres sur sa poitrine et joue un peu avec lui, le caressant d'une main, palpant ses boules de l'autre. Ma langue s'attarde une seconde sur son téton, de la même manière qu'il a fait avec le mien la dernière fois.

Il me caresse de nouveau et je le repousse soudain sur le lit où il s'étale de tout son long, les pieds toujours sur le sol. Je le suis, avançant sur les genoux jusqu'à aligner nos deux bassins. Les deux mains sur sa poitrine, j'accroche son regard avant de le faire pénétrer en moi avec lenteur. Tout en descendant, j'agite légèrement le bassin, cherchant à augmenter mes propres sensations. Lorsqu'il est au plus profond de mon être, j'entame un mouvement de bascule et me noie dans son regard gourmand avec délice. Je maîtrise la situation, imposant mon rythme, les mouvements, l'angle. Il pourrait peut-être reprendre le contrôle, mais n'en fait rien. Il est à moi et je compte bien en profiter. Je plonge sur ses lèvres, les mordille sans cesser mes oscillations de bassin. Il aime, je le sens à son membre encore plus dur à présent. Je le vois à ses yeux fous. Je l'entends à son souffle rauque. Et tout ça m'excite, moi aussi. Beaucoup trop.

Des deux mains, il me saisit les hanches et tente de m'imposer un rythme différent. Je me redresse légèrement, attrape ses mains et les remonte au-dessus de sa tête, reprenant le contrôle.

— C'est moi qui pilote, je lui souffle à l'oreille, avant de pincer son lobe du bout des dents.

Doucement, mais sûrement, je nous mène à l'orgasme. Il part le premier, en cambrant le bassin si fort que j'en tombe presque. Je le suis quelques secondes plus tard, ravie.

Le souffle encore court, je me blottis contre lui, lâchant ses mains qui retrouvent leur place dans mon dos.

Lorsque je reprends conscience, en plein milieu de la nuit, Mal est debout à côté du lit, en train de boutonner sa chemise.

— Tu t'en vas ? je questionne à moitié ensommeillée.

Il est évident qu'il ne s'habille pas pour aller promener le chien. Ma question est stupide. Mais je viens de me réveiller et mon cerveau n'a pas encore atteint son plein potentiel.

Il prend le temps de finir de boutonner sa chemise et se penche vers moi pour déposer un doux baiser sur mon front.

— Oui, se contente-t-il de me répondre.

Je jette un œil à ma montre, mais la luminosité est bien trop faible pour que je distingue quoi que ce soit. Mal m'annonce qu'il est deux heures du matin.

— Tu n'as pas besoin de partir, tu sais. J'aimerais que tu restes.

Ma voix sonne un peu implorante, mais c'est en grande partie à cause de la fatigue.

— Je ne peux pas.

Je hausse un sourcil, dubitative. Qu'est-ce qui pourrait bien l'empêcher, à deux heures du matin, de rester ? Mon expression le fait sourire, mais pas moi.

— Pourquoi ?

— Parce que j'ai des obligations ailleurs, m'annonce-t-il sans se démonter.

— À deux heures du matin ?

Mon rythme cardiaque s'accélère. Pour la première fois depuis que je le connais, je commence à envisager une vérité toute simple qui expliquerait pas mal de mystères autour de sa personne.

— Tu as une femme quelque part qui t'attends ? je demande.

Je ne parle que d'une femme, mais j'imagine aussi un ou deux bambins. Ma bouche, déjà un peu pâteuse devient carrément sèche.

Il rit. J'imagine que c'est censé me rassurer.

— Non. Pas de femme, dit-il.

— Alors quoi ? j'insiste. Qu'est-ce qui nécessite que tu partes au milieu de la nuit ?

Silence. Il me caresse le bras du bout des doigts. Une sensation agréable, mais je ne me détourne pas de mon objectif : obtenir des informations. Une réponse à ma question par exemple.

— Je voudrais rester, me dit-il encore. Mais je ne peux pas. Crois-moi.

— Ce n'est pas la question de te croire, je m'emporte un peu en repoussant sa main de ma peau. Je veux comprendre. Je veux savoir. J'ignore tout de toi, Mal. Je ne sais même pas ce que tu fais dans la vie ni où tu habites. Rien !

Silence. Il reste à me fixer droit dans les yeux, sans expression.

— Tu te rends compte que je n'ai même pas ton numéro de téléphone ? Comment je suis censée le vivre ? Je dois être en permanence à ta disposition, prête pour toi vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Je te l'ai dit déjà : je ne suis pas ta chose !

Je ne crie pas, parce que j'ai un minimum de contrôle, mais j'avoue que je n'en suis pas bien loin. Je suis en colère après lui, bien entendu, mais surtout après moi, en réalité. J'ai beau prétendre ne pas vouloir être à sa disposition, il a suffi qu'il se pointe à mon appartement pour que j'abandonne toutes mes convictions et l'invite dans mes draps.

Je suis faible !

— Je...

Il hésite et, l'espace d'une seconde, je vois passer une ombre de culpabilité dans son regard noir.

— Je ne peux pas te donner ça, Léo, soupire-t-il en se relevant. Je suis désolé. C'est impossible.

— Ça ne me va pas comme réponse, je grince. Tu ne peux pas débarquer chez moi en prétendant que tu penses à moi, que tu tiens à moi, me faire ton numéro, et ensuite, me dire que je ne dois rien savoir de toi. Le coup du mystérieux beau gosse, ça va bien cinq minutes, mais au bout d'un moment, il en faut plus si tu veux construire quelque chose.

Son expression demeure inchangée, mais je comprends que de mon côté, j'attends en réalité bien plus de Mal. Jusqu'à ce que je le formule, je ne m'en étais pas rendu compte, malgré les remarques d'Esthel sur le sujet. J'ai envie de construire quelque chose avec Mal. Je ne sais pas quoi, je ne sais pas si ça marchera, mais j'ai envie d'essayer. Et malheureusement, tout indique que lui n'en a pas envie.

— Si vraiment tu tenais à moi, comme tu le prétends, je poursuis, des larmes dans les yeux, tu me ferais confiance.

L'espace d'un instant, je crois qu'il veut me révéler quelque chose. Je vois ses lèvres s'entrouvrir, puis se refermer. Son regard qui se fait plus tendre une seconde, avant de redevenir vide ou presque. Enfin, il secoue la tête en évitant mon regard, cette fois.

— Je ne peux pas répondre à tes questions, Léo. Je suis désolé.

— Mais j'en ai rien à foutre que tu sois désolé ! je hurle cette fois.

Je suis presque aussi surprise que lui, mais je décide de ne pas me radoucir.

— Va-t'en ! je continue en baissant à peine le ton. Casse-toi ! Et c'est pas la peine de revenir me voir. Soi-disant que tu tiens à moi, mais j'ai pas le droit d'avoir ton numéro ni aucune information sur toi et encore moins une explication ? Alors je ne veux plus te voir. J'ai besoin d'un mec stable et de confiance, Mal. Manifestement, c'est pas toi. Salut !

Il garde la bouche ouverte, mais ne prononce pas un mot. Cependant il ne bouge pas non plus.

— Casse-toi, je t'ai dit !

Mes joues sont soudain baignées de larmes et je sens que je vais craquer. À moins que ce ne soit déjà fait ?

Maloé se décide enfin à tourner les talons. Il ramasse ses chaussures et sort de mon studio en les tenant à la main. Sans rien ajouter.

Lorsque la porte est fermée, je me réfugie la tête sous la couette et pleure un bon coup. Je vais avoir une belle tête demain en cours...

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