Chapitre 15
Réveil ou pas, je me lève aux aurores le dimanche matin et, après quelques câlins sous la couette, je rentre chez moi. Kaïs me propose de me raccompagner, mais je le rassure sur ma capacité à gérer le trajet et il se recouche. La vérité, c'est que j'ai tout de même un peu peur. J'ai beau me persuader que l'homme qui me suit n'est qu'un ami, collègue ou contact de Mal qui me surveille pour je ne sais quelle raison, il se pourrait aussi que ce soit juste un sale type.
Ce n'est que parce qu'il n'a jamais rien tenté, malgré le nombre de fois où je me suis retrouvée seule dans la rue, que je me sens presque en sécurité. Presque.
Rien ne m'arrive sur le trajet ni plus tard. Kaïs m'envoie des messages toutes les heures pour vérifier que je suis toujours vivante. Il est mignon. Lorsque je lui dis qu'il n'est pas obligé, il rétorque que c'est une méthode éprouvée dans les films d'action. Que s'il m'arrive quelque chose, il pourra réagir rapidement. Je n'insiste pas et me contente de lui répondre par un pouce en l'air toutes les heures. Inutile de lui demander comment il compte réagir si je ne réponds pas. Il a beau faire de la boxe et avoir un passé de quelques années de Tae Kwon Do, ça ne fait pas de lui un membre du GIGN.
Le lundi matin, alors que nous nous retrouvons tous les quatre avec mes deux amies, je lui explique qu'il est hors de question qu'il continue de me spammer tous les jours.
— Tant que tu es à la fac, il y aura plein de témoins, t'inquiète, me répond-il comme si c'était censé me rassurer.
— Il est mignon, quand même, se moque gentiment Esthel après son départ.
— Oui, mais non, je réplique avec une grimace. Je me sens un peu fliquée, tu vois.
— Dis-lui qu'il arrête ! lâche Alizé.
— Tu crois que je ne l'ai pas déjà fait ?
Elle ne trouve rien à répliquer et nous nous dirigeons vers notre amphi, toutes les deux.
— J'imagine que tu n'as rien dit à Kaïs à propos de ton agent secret ? demande-t-elle.
Je la dévisage tout en continuant d'avancer, mais ne remarque aucune trace d'irritation sur son visage. Pas de sarcasme dans sa voix non plus. Elle me demande ça comme elle m'aurait demandé si j'ai bien mes affaires de cours. Je grimace.
— Non. D'un autre côté, je ne vois pas bien ce que je pourrais lui dire, je poursuis.
— Pas faux...
Nous arrivons dans le couloir qui mène à notre amphi. Une fois à l'intérieur, c'en sera terminé des discussions d'ordre privé, c'est un principe de base : il y a bien trop d'oreilles indiscrètes.
— Écoute, Alizé, je commence sans vraiment savoir ce que je vais lui dire ensuite...
— T'en fais pas, cocotte, me coupe-t-elle avec le sourire. Je suis de ton côté. Je sais que tu n'es pas amoureuse de Kaïs et que tu es avec lui parce que je t'ai saoulée avec ça pendant des mois. J'aimerais que tu évites de le faire souffrir, mais concrètement, si ça arrive, ça sera sans doute de ma faute.
Waouh !
— Non ! j'interviens. Ne dis pas ça. C'est pas de ta faute, ma belle. Et je n'ai pas l'intention de le faire souffrir.
Elle me jette un regard par en-dessous alors que nous pénétrons dans la grande salle. Mon cœur se serre instantanément. Elle ne me fait pas confiance et, je dois bien admettre que je la comprends. Cependant, même si je le faisais effectivement souffrir, cela n'aurait rien de volontaire.
— Je t'assure ! je conclus donc en me faufilant pour rejoindre une place libre à peu près au milieu de la pièce.
— Si tu le dis.
Les jours qui suivent me semblent désespérément normaux. Je vais en cours, passe du temps avec Kaïs au maximum lorsque je suis à la fac, mais rentre chez moi, seule, pour travailler. Ce n'est que le jeudi qu'il y a de l'animation. Cependant, j'avoue que je m'en serais bien passé.
En sortant du cours de procédures civiles d'exécution – cours que je suis sans Alizé qui y a préféré le droit étranger et de la nationalité – je tombe sur Mal. Enfin, non, je ne tombe pas vraiment sur lui. Je le découvre, en face de la porte, nonchalamment appuyé contre le mur.
Je reste interdite, une seconde, le cœur entament une accélération de tous les diables. Je suis bousculée par un, puis deux élèves, avant de m'avancer lentement vers lui. Il ne bouge pas. Il semble que ce soit à moi de le rejoindre. Ce que je fais de toute façon. Je suis une nouille !
— Salut, Léo ! me dit-il de sa voix grave que j'avais presque sortie de ma mémoire.
J'avais aussi réussi à oublier dans quel état je pouvais me retrouver en sa présence. D'un coup, je suis accablée par la chaleur, j'ai du mal à garder un souffle régulier, comme si je venais de monter des escaliers. Est-ce que c'est ça, être en pamoison ?
J'ai tellement envie de plonger sur ses lèvres pour retrouver leur goût !
— Qu'est-ce que tu fais là ? parviens-je à articuler avec un minimum de maîtrise.
Mon ton n'a rien d'agressif. Je suis étonnée. D'abord, parce qu'il se pointe juste devant ma salle de cours. Même s'il me fait suivre, ça reste une certaine prouesse. Mais en plus, nous sommes en milieu d'après-midi, je n'ai pas fini mes cours. J'ai une pause d'une demi-heure, c'est tout.
— Je voulais te voir, dit-il.
C'est fou à quel point les choses sont toujours extrêmement simples avec lui. Il voulait me voir, donc il se pointe. Logique ! Après presque deux semaines sans nouvelles et juste au moment où je commençais à me faire à l'idée que je ne le reverrais plus.
— Veux-tu venir faire un tour avec moi ? ajoute-t-il.
— Euh, bah là, j'ai cours bientôt, je réponds perdant de ma fausse maîtrise à chaque mot. Je peux pas.
— Tu pourrais quitter plus tôt et me suivre, n'est-ce pas ?
Qu'est-ce que j'aime ce « n'est-ce pas » !
— Je... J'imagine que... Il faut que je bosse, je finis par me reprendre.
Je secoue la tête pour essayer de me réveiller. Je ne suis pas sa chose. Il n'a pas à se pointer et m'hypnotiser comme ça. Je refuse !
— Es-tu bien sûre, Léo ?
Il s'approche de moi, bougeant pour la première fois autre chose que sa si jolie bouche. En un pas, il est si proche que je n'aurais qu'à tendre légèrement le cou pour fondre mes lèvres contre les siennes. Je n'en fais rien, mais ça me coûte un effort surhumain.
— Je te cherchais, justement, Léo !
La voix de Kaïs dans mon dos me fait sursauter et je recule brusquement d'un pas. Lorsqu'il arrive près de moi, Kaïs marque une pause et fixe son regard sur Mal. Ce dernier lui rend son regard, une étincelle étrange dans les yeux. Soudain j'ai peur. Très peur de ce qu'il pourrait se passer. Kaïs doit déjà savoir que Mal n'est pas un étudiant. Aucun étudiant ne porte un tel costume ni un manteau en laine qui doit coûter un ou deux mois de salaire. Et puis, même s'il n'est pas si vieux, il n'a manifestement pas l'âge pour être dans ma promo. De la même manière, il me semble trop jeune pour être prof. En clair : jamais Kaïs ne croira que Mal est à sa place ici.
— T'es qui ? demande-t-il avec un ton acerbe.
— Un ami, se contente de sourire Maloé.
Un sourire qui fleure bon le sarcasme et qui ne me dit rien qui vaille. Kaïs semble surpris, une seconde, par l'aplomb de Mal. Ce dernier n'a que quelques centimètres de plus que mon petit ami, mais pour les avoir vus tous les deux dans leur plus simple appareil, je sais que Kaïs ne fait pas le poids. Discrètement, je m'immisce entre eux, tournée vers mon petit ami. Je ne trouve rien à dire et attrape simplement la main de Kaïs en caressant le dos de celle-ci de mon pouce.
— Pourquoi je ne te connais pas ? demande-t-il, toujours agressif et ajoutant un regard noir.
— Parce que tu ne peux pas connaître tout le monde, réplique Mal.
— Tu le connais vraiment ? me demande Kaïs en tournant le regard vers moi.
Je hoche la tête, me maudissant intérieurement de ne pas être capable d'une meilleure répartie.
— C'est un ami ? insiste Kaïs.
J'hésite. Comment devrais-je le qualifier. Ami me semble bien présomptueux. Nous avons pourtant couché ensemble.
— Je te présente Maloé, dis-je sans vraiment répondre. Mal, tu auras compris que c'est Kaïs, mon petit ami.
Cette précision n'était pas utile, je le sais, pourtant, c'est sorti. Je sens la tension dans la main de Kaïs et poursuis mon espèce de massage du bout du pouce.
— Tu n'as rien à faire ici si tu n'es pas un élève, attaque Kaïs.
— Es-tu une sorte de gardien ? interroge Mal avec ce même sourire suffisant qui ne risque pas de détendre Kaïs.
— Non, mais ça ne change rien à ce que je viens de dire. Tu dois quitter l'établissement.
— Ou quoi ? demande Mal en faisant un minuscule pas vers lui.
Je me retrouve en contact avec les deux hommes. Je tiens la main de Kaïs dans les miennes et Mal, de son côté, me caresse le bas des reins, déclenchant un tremblement incontrôlable en moi. Kaïs ne voit rien de ce qu'il fait et je refuse de lui dire d'arrêter pour ne pas déclencher une bagarre.
Je sens une goutte de sueur perler, puis descendre le long de ma colonne vertébrale.
— Ou je pourrais bien te foutre dehors moi-même, déclare Kaïs sans la moindre hésitation.
Mal pouffe et il n'e faut pas plus à Kaïs pour se laisser submerger par sa colère. Il lève un poing fermé et s'apprête à l'abattre sur Mal. Dès lors, je ne comprends pas bien ce qu'il se passe. Je me sens tirée en arrière avec force et retenue ensuite par la poigne de Mal. Dans le même temps, sans que je voie bien comment, il arrête le coup de Kaïs, attrape son poignet et le balaie du pied. Kaïs vacille, une demi-seconde, puis s'étale au sol, le souffle coupé par l'impact.
De mon côté, je suis maintenue à l'écart par l'autre main de Mal posée sur mon plexus. Tout près de mon cœur affolé. Kaïs, au sol, le poignet toujours dans la main gauche de Mal, grimace, mais ne dis rien.
— La prochaine fois, lance Mal d'une voix parfaitement contrôlée, assure-toi de mettre ta petite amie à l'abri avant d'entamer une bagarre que tu ne peux pas gagner.
— Lâche-le ! j'ordonne soudain.
Il lâche le poignet de Kaïs et se tourne vers moi sans plus lui prêter attention.
— Tu devrais partir, Mal, j'ajoute en essayant de garder un ton dur.
Il me fixe longuement et j'ai du mal à lire ce que son regard signifie.
— Je vais trouver la sortie tout seul, finalement, annonce Mal avant de s'éloigner sans un regard pour Kaïs. Aussitôt, je m'accroupis près de mon petit ami pour m'enquérir de son état de santé.
— Ça va ! grommelle-t-il. Ça va...
Puis, il se relève.
Il s'époussette un peu, sous le regard des quelques étudiants qui ont assisté à la scène. Je réalise seulement maintenant que, depuis le début, personne n'a levé le petit doigt. Nous vivons vraiment dans un monde étrange.
— C'était qui ? me tance Kaïs.
— Je te l'ai dit, je réponds, un peu surprise du ton qu'il emploie avec moi. Maloé.
— Te fous pas de ma gueule, Léo, s'il te plaît...
Je ne sais pas ce qui me gêne le plus. Les mots qu'il utilise ou l'extrême calme avec lequel il les prononce. Je reste sans voix, le fixant avec des yeux probablement vides. Incapable de trouver quoi répondre à ça. Perdue.
— D'où tu le connais ? Et depuis quand ?
Cette fois, le calme a disparu et j'ai un peu l'impression de me retrouver dans une salle d'interrogatoire face à un méchant flic. J'aimerais que le gentil flic vienne tout de suite.
— Je l'ai rencontré en Croatie, quand on y était avec Alizé et Esthel, je réponds.
Je pourrais tenter de lui sortir un mensonge, mais même si je suis devenue douée à ce jeu, je ne me sens pas capable d'inventer quoi que ce soit de crédible avec ce stress sur les épaules.
— Je vois...
Vraiment ? Que voit-il, au juste ?
— Et qu'est-ce qu'il fait là ? poursuit Kaïs. Il n'est manifestement pas français, il est pas de Paris donc ?
— Je ne sais pas, je chuchote. J'ignore où il vit.
Ça, pour le coup, ce n'est pas un mensonge. Mal s'est bien arrangé pour que je ne sache rien de sa vie privée.
Kaïs continue de me dévisager, attendant manifestement que je parle davantage. Je n'en fais rien. Je n'ai rien à ajouter. Surtout pas !
Autour de nous, les étudiants se sont dispersés. La plupart sont entrés dans la classe dont je sortais. Il y a bien une fille, à moins de dix mètres, qui consulte son téléphone portable, mais c'est tout. Les autres semblent tous s'éloigner de nous.
— Tu n'as rien de plus à me dire au sujet de ce type ? insiste Kaïs après deux minutes de silence.
— Non...
— Je crois que si, au contraire, siffle-t-il entre ses dents.
Je crois ne l'avoir jamais vu comme ça. Jusqu'à maintenant, il est vrai, j'avais peu de raisons de voir Kaïs en colère. Parfois, il s'engueulait avec sa sœur, certes, mais même si le ton montait parfois beaucoup, jamais il n'avait l'air prêt à frapper. Là, j'ai la quasi-certitude qu'il se retient de toutes ses forces de ne pas me décocher un crochet du droit ou quelque chose comme ça. Je serre les dents pour empêcher ma mâchoire de trembler et entortille mes doigts dans le même objectif.
Il sait. C'est certain ! Il croit savoir, tout du moins. Dans mon cas, c'est la même chose. Il n'attend qu'une chose : que je lui confirme que je le trompe avec Mal. Mais je tiens à la vie. Tant qu'il sera dans cet état, je ne pourrai rien lui dire, même s'il a raison.
Il me fixe encore un moment, les muscles maxillaires se contractant et se décontractant à un rythme hypnotique. Sa jugulaire bat en accord avec mon cœur en pleine crise de tachycardie. Soudain, il ferme les yeux, prend une longue inspiration, puis fait demi-tour et s'éloigne sans un mot.
Toujours en pleine crise de panique, je le regarde et espère qu'il a rouvert les yeux.
Mon téléphone vibre dans ma poche arrière et je sursaute. Alizé m'envoie un SMS.
T'es où ? 🙃
Notre prochain cours est dans un quart d'heure. Je souffle à fond et me mets en route.
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