Chapitre 14
Demain, cela fera une semaine que je suis sans nouvelles de Maloé. Je ne sais pas comment je me sens par rapport à ça. Une part de moi en est satisfaite. Ne plus le voir débarquer, m'aide à me consacrer à mes études en premier lieu, mais également à Kaïs. Depuis notre première fois, il n'a pas voulu en rester là. Si nous sommes loin de passer toutes nos nuits ensemble, nous avons tout de même remis le couvert deux fois en deux jours. Chaque fois, dans mon petit appartement.
D'un autre côté, rester sans nouvelles de Mal ne me suffit pas à passer à autre chose. Preuve en est, même là, chez Kaïs, entourée de mes copines et de certains de ses amis, je pense encore à mon agent secret. En réalité, cela n'a rien de véritablement étonnant, considérant que j'ai toujours cette étrange impression d'être suivie où que j'aille.
— Ça va, Léo ? me demande Esthel, après une gorgée de son punch.
Je la rassure d'un simple hochement de tête, mais je ne la sens pas convaincue.
— Ouais, je rajoute à voix haute, cette fois.
La musique n'est pas tonitruante, mais nous sommes bien trop proches des enceintes pour que je me contente d'un niveau normal. Je crie presque pour lui répondre.
— Tu te morfonds de ton homme ? insiste-t-elle.
Je tressaille, puis comprends qu'elle parle de Kaïs et non de Maloé. Je lui souris en le cherchant du regard. Non, je ne me morfonds pas le moins du monde. Nous avons fait l'amour dans la matinée et, si j'ai bien plus apprécié que les deux fois précédente, je n'arrive toujours pas à prendre autant de plaisir que je le devrais. Je mets ça sur le compte de la culpabilité, mais je me demande s'il n'y a pas autre chose.
Mon air absent induit Esthel en erreur et elle me propose d'aller retrouver mon petit ami, en pleine discussion avec ses potes.
— On ne t'en voudra pas, ne t'inquiète pas, poursuit-elle avec un large sourire.
Lorsque je me tourne vers Alizé, elle semble bien moins enjouée que notre amie commune. Elle n'est pas dupe, sans doute. Elle sait qu'à un moment, bientôt sans doute, je ferai du mal à Kaïs. Elle a beau prétendre que son frère est assez grand pour gérer sa vie amoureuse comme il veut, elle n'en reste pas moins sa grande sœur. Elle ne veut pas qu'il souffre. Moi non plus, en réalité. Voilà pourquoi je suis si torturée.
— Ah bah non ! reprend Esthel d'un air coquin. Pas besoin, c'est lui qui vient.
En effet, Kaïs s'avance vers nous, deux verres en main. Il nous sourit et me tend son deuxième verre que je porte à mes narines.
— Sans alcool, me rassure-t-il avant de poser ses lèvres dans le creux de mon cou.
Je le remercie et bois une gorgée de jus de pommes. J'ai bien l'intention de travailler demain, je refuse de le faire avec la gueule de bois. Voilà pourquoi j'ai pris un verre alcoolisé en tout début de soirée, mais je tourne aux softs depuis.
— Comment ça va ? demande-t-il à la volée.
— Tu avais dit qu'il y aurait des beaux gosses, rouspète Alizé.
C'était la condition pour qu'elle vienne à cette soirée improvisée. La raison officielle de cette réunion chez lui était qu'il avait récupéré des bouteilles au BDE et qu'il voulait les écouler. La vérité était qu'il voulait me faire lâcher un peu la pression. Raison pour laquelle, il avait invité sa sœur, sachant qu'elle ne viendrait pas sans Esthel et qu'elles deux me tiendraient compagnie.
— Et Noam, là-bas ? dit-il d'un air outré. Tu ne vas pas me dire que c'est pas un beau gosse ?
Le Noam en question est un jeune homme de première année, au corps de statue grecque. Moulé dans un slim gris et un débardeur de basket si large qu'il ne lui cache rien du tout, j'avoue avoir eu un petit coup de chaud lorsque Kaïs nous l'a présenté. Alizé a d'ailleurs fait une remarque sur le fait qu'il pourrait peut-être nous faire une petite danse, plus tard.
Là encore, rien qu'à l'évocation du jeune homme, elle rougit légèrement.
— Non, mais, si j'ai bien compris, lui et moi on chasse le même gibier, grogne-t-elle.
— Ah bah, ça, j'y peux rien, rigole Kaïs.
Alizé grimace, tandis qu'Esthel et moi nous amusons de la situation.
Soudain, en portant de nouveau mon verre à mes lèvres, je tombe sur un homme que je reconnais. J'essaie de ne pas réagir de façon visible et me tourne discrètement vers Kaïs.
— Dis-moi, dis-je un peu moins fort que ce qu'il faudrait, le poussant à se pencher vers moi. Il y a un type là-bas qui regarde vers moi. Brun, trapus, avec un col roulé...
— Oui, me dit-il en adoptant le même ton que moi.
— Tu le connais ?
— Non, sourit-il. Il a dû s'incruster en entendant le bruit depuis le couloir, annonce-t-il.
— Ils sont relous, les gens, non ? se plaint Esthel.
Kaïs explique que, comme il ne ferme jamais la porte lorsqu'il organise des soirées chez lui, ça lui arrive parfois de voir débarquer un voisin. La plupart du temps, ils viennent demander de baisser la musique. Cependant, non seulement la musique n'est pas si fort, mais surtout...
— C'est pas un voisin, nous révèle Kaïs. Je ne le connais pas.
— Moi si, je laisse échapper dans un frisson. Je crois que je l'ai vu devant la boulangerie.
— C'est lui qui te suit ? s'étrangle Alizé en se redressant pour essayer de mieux le distinguer.
Ce faisant, elle lui indique que nous l'avons repéré et l'inconnu s'éloigne en direction du couloir donnant dans l'entrée.
— Je ne sais pas s'il me suit, mais j'avoue que ça me fout la trouille.
— On va régler ça tout de suite, déclare Kaïs en prenant l'intrus en chasse.
— Attends ! Kaïs !
Rien n'y fait, il ne ralentit pas et disparait à son tour dans le couloir.
— Il croit quoi ? s'étonne Alizé. Qu'il va le rattraper et lui casser la gueule ?
— Je ne sais pas, je réplique, mais je ne suis pas super rassurée.
Comme si j'étais capable de lui venir en aide, je confie mon verre à Esthel et prends mon petit ami en chasse, malgré les protestations de mes deux amies. Je m'engage dans le petit couloir qui dessert la cuisine, les toilettes et l'entrée, ouverte sur le palier. À peine arrivée à la porte, Kaïs est de retour.
— Je ne sais pas où il est, bébé, me dit-il en me repoussant délicatement à l'intérieur. Tu m'expliques c'est quoi cette histoire de mec qui te suit ? Pourquoi je ne suis pas au courant ?
Excellente question. Probablement parce que, jusqu'à présent, je soupçonnais Mal d'être mon mystérieux stalker. Encore à présent, pour être honnête, j'imagine que c'est quelqu'un qui travaille pour lui. Ou un de ses amis, qui sait ?
— Je ne sais pas, je soupire en haussant les épaules.
Je commence à me demander si je serai un jour capable d'avoir une discussion avec Kaïs sans qu'un mensonge ne vienne s'immiscer entre nous.
Loin de se laisser embobiner par ma réponse qui n'en est pas vraiment une, Kaïs m'interroge de nouveau. Je lui explique donc que, depuis une petite semaine, j'ai parfois l'impression que quelqu'un me surveille. J'évite soigneusement de rentrer dans trop de détails, bien entendu. D'ailleurs, jusqu'à ce que je reconnaisse ce type, je n'avais pas la moindre idée de l'identité de mon poursuivant.
— Et lui, tu l'as vu où ? me demande Kaïs, alors que nous arrivons près de sa sœur et Esthel.
— Devant la boulangerie, je répète. Hier ou avant-hier, peut-être.
— C'est flippant, ton histoire ! se plaint Esthel. T'es sûre que c'est lui.
— Complètement.
C'est en découvrant le faciès apeuré d'Alizé que je prends soudain conscience de la situation. Vraiment ! Un homme me suit et est suffisamment confiant (ou inconscient) pour s'introduire dans une maison qui n'est pas la sienne, afin de me surveiller. Il n'a rien tenté jusqu'à présent, mais il pourrait très bien être un tueur en série.
— Ou un violeur, enchaîne Esthel.
— Merci, dis-je en réprimant un frisson d'horreur. Tu me remontes le moral, là.
— Tu restes dormir ici, ce soir, déclare soudain Kaïs.
— Et nous, on peut crever ? s'emporte Alizé. Sympa, le frangin.
— Vous pouvez rester aussi, si vous voulez, poursuit Kaïs. Mais je croyais que ce mec en avait après Léo seulement ?
— C'est pas une raison, grommelle Alizé, boudeuse.
Nous rions de la grimace qu'elle fait et l'ambiance se détend un peu. J'accepte avec plaisir la proposition de mon petit ami. À bien y réfléchir, je pense que c'était plutôt un ordre, mais je m'y plie sans broncher. Alizé et Esthel décident de rentrer chez elles tout de même, à la condition expresse que Kaïs les raccompagne jusque dans la rue pour monter dans leur Uber.
Pour l'instant, la soirée n'est pas encore finie et les autres invités n'ont rien remarqué. L'un d'entre eux vient de lancer une appli de karaoké qu'il affiche sur l'écran de télévision du salon. La première chanson qu'il choisit est « I kissed a girl ». Dès les premières notes, je me précipite avec Alizé vers l'écran et commence à chanter avant même de pouvoir lire les paroles.
This was never the way I planned
Not my intention
I got so brave, drink in hand
Nous nous mettons à danser en continuant de dérouler les paroles, sans même jeter un œil à la télévision. Le copain de Kaïs, qui avait pris le micro à l'origine, nous le tient désormais, pendant que nous faisons notre show, allant jusqu'à nous faire un smack pendant le refrain, sous les hurlements des garçons.
Rien de mieux que Katy Perry pour retrouver le sourire.
Les chansons s'enchaînent ensuite, je n'en connais qu'à peine la moitié, mais me laisse porter par l'ambiance et chante sur presque tous les titres. Juste les refrains.
Petit à petit, les quelques invités quittent ensuite l'appartement. Lorsque nous ne sommes plus que tous les quatre, Esthel et Alizé décident qu'il est temps pour elles de partir. Comme exigé par sa sœur, Kaïs les raccompagne en bas. Il me recommande de n'ouvrir à personne en son absence.
— À trois heures du matin, je te garantis que ce n'est pas dans mes plans, je me moque en refermant derrière lui.
Pendant les trois minutes que dure son absence, je débarrasse un peu les verres et les bouteilles. À son retour, nous nous écroulons simplement sur le canapé, main dans la main.
— Tu as passé une bonne soirée ? me demande-t-il.
Je me penche vers lui et l'embrasse sur le menton. Il est rasé et tout doux, c'est agréable. Je réitère avant de lui répondre.
— Super soirée, merci ! Je ne sais pas dans quel état je vais être demain pour bosser, mais c'est un autre sujet.
— Ne me dis pas que tu vas mettre ton réveil, s'il te plaît.
Il prend une tête de Chat Potté pour me dire ça et j'éclate de rire.
— Je ne sais même pas où est mon téléphone, de toute façon, je déclare.
— Sauvé !
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