Chapitre 38 - Le bulldozer américain
L'air lourd et rendu irrespirable par la fumée de la cheminée brûlait les poumons de Gregor. L'odeur âcre du bois mal consumé se mêlait à celle, plus insidieuse, du fer et du sang. Les chaînes pendantes, rouillées par le temps et l'humidité, cliquetaient une musique macabre. La cave voûtée aux pierres suintantes, éclairée par une lueur vacillante, se prêtait mal aux affrontements. Le chasseur de primes et le Commandeur de la Fondation ne semblaient pas avoir intégré cette donnée.
Les deux hommes s'affrontaient avec la rage au ventre. Leurs pieds glissaient sur le sol traitre. Gregor profitait que Spengler doive se courber, incapable de se tenir droit et de dégager sa pleine puissance. Il avait plusieurs fois écrasé ses poings sur le visage anguleux du colosse. Il lui avait semblé marteler du bois. Lui-même avait esquivé des coups qui l'auraient assommé s'ils avaient atteint leur cible.
Les autres avaient disparu. Aucun des deux ne se l'expliquait.
Il y avait le Premier Secrétaire, qui touchait le visage de Margot. De suite après, Harris les rejoignait afin de le protéger des réactions éventuelles de la sorcière. Puis il y avait eu le même brouillard bizarre, et tous trois s'étaient volatilisés. La cave insalubre avait perdu la moitié de sa population. En tout état de cause, cela ne préoccupait pas le moins du monde Gregor à l'instant présent. Il se focalisait sur les 130 kilos de muscles qui essayaient de lui broyer la tête.
– Tu ne devrais pas te battre, dit fake-Lucy. Le Commandeur ne fait que son travail.
Le chasseur de primes avait donné un coup de pied dans le fusil mitrailleur afin de l'éloigner du combat. Il le regrettait car il ne voyait pas comment prendre le dessus. Un des poings de Spengler passa au travers de ses parades et vint lui martyriser les côtes. Il entendit un bruit sinistre de casse, à moins que ce ne soit son imagination. Il fut projeté contre le mur, à moitié assommé.
Fort de son avantage, Spengler se précipita sur le voyant. Il s'écorcha le cuir chevelu aux pierres rugueuses du plafond en forme de voute. Nouveau coup de pied. Le voyant valdingua en direction de la cheminée et de toute la collection d'outils. Il s'agrippa à ce qu'il put et sentit le métal froid et rouillé dans sa paume de main. Par reflexe, il se protégea avec sa trouvaille. Il y eux quelques étincelles lorsque le métal rencontra le métal.
– A votre place, je réglerai ça au calme, dit fake-Lucy. Arguments contre arguments. Avant que cela ne se termine avec des bobos.
La peon s'était rapprochée des deux hommes. Elle observait d'un air sévère le Commandeur avec une énorme tenaille et le chasseur de primes avec son brise-os. Spengler jeta un coup d'œil à la chose qui ressemblait à la gamine. Il hésitait à la faire taire à sa manière. Cela permit à Gregor de se relever.
– Elle a raison. Je veux bien régler ça à l'amiable, moi.
– La ferme !
– Tu es beaucoup trop nerveux. Il n'y a plus que nous ici, on pourrait en profiter pour faire connaissance.
La montagne de muscle se rapprocha de Gregor... qui recula d'autant.
– Cela te sers à quoi, ces plaisanteries ? Dans quelques minutes, tu seras mort.
– Je n'aimerais pas être dans ta tête. Toute cette colère, cet appétit pour la violence.
– L'Hostile 24 a raison, décréta la fausse Lucy, qui sans le vouloir s'était placée entre les deux hommes. Vous avez les moyens d'immobiliser le suspect sans avoir besoin de le brutaliser, monsieur Spengler.
– La ferme !
D'un geste d'humeur, le commandeur asséna un coup de tenaille sur le bras de la peon. Cette dernière poussa un cri de douleur et s'effondra au sol. Le souffle coupé par le choc, elle se tut quelques secondes avant d'éclater en sanglots. Gregor en profita pour s'enfuir au fond de la salle de torture, à la recherche du fusil.
Il le trouva enfin, sous un tabouret. Il se jeta dessus. Il n'aurait pas d'autres chances. Lorsqu'il se retourna avec l'arme en main, Spengler était déjà sur lui, prêt à le démembrer. Il appuya sur la détente.
Le bulldozer américain le frappait déjà lorsque l'arme laissa échapper une rafale mortelle. La plupart des balles firent exploser les pierres pourries du plafond mais Gregor eut la satisfaction de voir plusieurs impacts atteindre le Commandeur.
Grognant de colère et de surprise, Spengler accusa le coup à sa manière, avec un surcroit de sauvagerie ! Un minable comme l'Hostile 24 n'aurait pas raison de lui ! A deux mains, Spengler empoigna le cou de Gregor. Stupéfait par la résistance de son adversaire, le chasseur de primes lâcha l'arme et essaya de se dégager. Il avait la sensation que son crâne allait exploser.
Des quantités importantes de sang s'échappaient des blessures du Commandeur. Le liquide poisseux recouvra bientôt le visage de Gregor, qui luttait pour garder conscience. En pleine panique, ses mains griffaient le torse de Spengler. Un de ses doigts trouva par hasard l'un des impacts du fusil mitrailleur. Il l'enfonça dans la plaie, aussi loin qu'il put.
Le bulldozer américain poussa un grognement rauque et relâcha son étreinte.
En se rappelant plus tard de l'anecdote, Gregor n'en était pas fier mais il ressentit une joie mauvaise à cet instant précis. Cette saloperie de Commandeur ressentait donc des choses ! Il souffrait !
Avec l'aide de ses jambes, le chasseur de primes fit basculer son adversaire sur le côté. Il se leva et se hâta de ramasser le fusil. Aussi surpris qu'effrayé, il voyait l'Américain se redresser lui aussi, malgré les balles qui avait déchiqueté son torse. Il fit feu une seconde fois, jusqu'à ce que l'arme se taise.
Le Commandeur s'affala. Il mourut quelques secondes plus tard, un rictus de rage figé pour l'éternité.
Abruti par le bruit, peinant à recouvrir son souffle, Gregor resta immobile et chancelant, à regarder le cadavre de celui qui l'avait pourchassé ces dernières semaines. Il repensa à sa famille, à Fouad, à Margot. Jamais il n'avait été à ce point satisfait de contempler un cadavre.
– Tu n'aurais jamais dû le tuer, gémit la fausse Lucy. Il devait t'arrêter car tu es un hors-la-loi.
La peon avait les yeux rougis par les larmes. Elle se tenait le bras. Dans le meilleur des cas, elle aurait un bleu énorme, ou alors c'était cassé. Elle aurait bien mérité un grand reset... dans l'éventualité où l'instance repartirait à zéro bien sûr.
– Je suis navré Lucy. Je n'ai pas pu faire autrement.
–– Eh bien tu n'aurais pas dû. Tu étais son prisonnier.
–– Je te promets d'être un prisonnier super sage maintenant.
La jeune fille ne saisit pas l'ironie de sa réponse. Elle le remercia et continua de gémir. Elle souffrait beaucoup. Gregor ne se sentait pas à son top, lui non plus. A chaque respiration, ses cotes lui faisaient un mal de chien.
– Tu connais une sortie, Lucy ? Il doit bien y avoir un moyen de quitter cette maudite cave.
– Je ne sais pas, se lamenta la jeune fille.
– Tu peux marcher ? Viens avec moi, nous allons voir s'il y a une sortie ou encore mieux, une faille !
Le chasseur de primes fouilla le cadavre du Commandeur et trouva un chargeur rempli. Il en équipa le fusil mitrailleur et s'engagea dans le couloir obscur, de l'autre côté de la salle de torture. Fake-Lucy trottait derrière lui, inquiète et défaitiste. Elle prononçait à intervalles réguliers des plaintes au sujet de son bras blessé ou bien sur le statut de hors-la-loi de Gregor. Sinon, elle tenait des propos qui ne voulaient rien dire. La peon avait beaucoup trop dévié de son attribution initiale.
Le couloir semblait infini. Il était plongé dans une quasi obscurité. Le sol et les parois perdaient peu à peu de leur substance, si bien que Gregor avait l'impression de s'enfoncer à l'intérieur du sol en pierre. Après avoir marché ainsi une vingtaine de minutes, il rebroussa chemin. Cela ne servait à rien.
Une fois de retour dans la cave voutée, il poussa les braises dans la petite cheminée.
– Pourquoi tu éteins le feu ? Tu fais quoi ?
– Je voudrais vérifier un truc. Je n'ai pas envie de passer l'éternité ici.
Le chasseur de primes grimpa dans le foyer et regarda à travers le conduit. Rien. Il humecta son doigt avec sa bouche toute sèche. Il n'y avait pas le moindre vent.
Il retourna s'asseoir sur l'une des chaises et invita la fausse Lucy à l'imiter. Il ne supporterait pas de la voir s'agiter. Il n'y avait rien dans cette salle de torture, à part de quoi torturer, bien sûr. Gregor avait soif. Il n'était pas claustrophobe, mais il avait l'impression d'être enterré vivant dans ce trou plongé dans une semi-obscurité depuis que les dernières braises s'étaient éteintes.
Il était bel et bien prisonnier.
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Notes de l'auteur :
Je sens que ce chapitre va apporter quelques satisfactions à certains d'entre vous. Exit le Commandeur Spengler ! Je vous annonce que pour la suite, on risque de voir Lucy, et non fake-Lucy ! (c'est pas un énorme spoil...^^).
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