(Précision : l'évocation de Romi, la meilleure amie à Montpellier de Lucy, peut apparaître sortie de nulle part. C'est normal, je l'ai développée lors de la réécriture des premiers chapitres, et elle n'apparait donc pas sur Wattpad. Elle manque beaucoup à Lucy, ce qui est normal pour une jeune fille pour laquelle les amies, c'est plus important que tout)

L'instance de Wagner avait disparu.

Noyée dans un maelstrom de fils lumineux et agités de convulsions électriques, Lucy flottait en suspension. Nue, les yeux fermés et les traits paisibles, elle avait fait disparaître le décor inutile. Elle se concentrait sur ce qui avait toujours été essentiel, elle s'en rendait compte à présent. Lorsqu'elle faisait le vide en elle, le vrai, les flux magiques et leur résonance dans les instances les plus proches lui apparaissaient, comme des masses invisibles mais bien présentes, partout autour d'elle.

Sa conscience s'était dilatée. Elle n'avait jamais tenté l'expérience auparavant, mais elle se fondait dans les vibrations infinies entre les univers. La sphère électrique dans laquelle elle baignait palpitait d'une énergie douce et fluide. Des filaments fusionnaient les uns aux autres, en arcs grésillants, et pénétraient sa peau. Lucy vibrait au rythme des pulsations cosmiques de la magie brute.

Parmi les échos issus des multitudes d'instances, des émotions appartenant à des sorciers anonymes lui parvenaient. La jeune fille ne saisissait pas s'il s'agissait du présent, du passé, où les énergies d'événements qui n'existaient pas encore, sinon dans le cœur de quelques créatures douées du même pouvoir qu'elle.

Lucy absorbait tout, avide de ces sensations nouvelles pour elle. Ses bras étaient ouverts pour accueillir le flux. Ses cheveux blonds ondulaient, portés par les vibrations, et ses deux mèches rose bonbon entouraient son visage semblable à celui d'une fille endormie. Pourtant, elle ne s'était jamais sentie à ce point éveillée ! Lucy se demandait pourquoi Margot ne lui avait jamais parlé de ces méditations exploratoires. Elle avait la conviction que si elle le désirait, elle pourrait découvrir de nouvelles possibilités, des pouvoirs que peut-être Red-Head ne l'avait pas sentie encore capable de maitriser.

Malgré l'état de transe dans laquelle elle était plongée, la jeune sorcière ne parvenait pas à se sortir de l'esprit cette impression d'être exilée à l'autre bout de l'univers, seule et abandonnée. Elle imaginait sa mère en train de pleurer, persuadée qu'il était trop tard et que la police ne lui ramènerait jamais sa fille disparue. Elle buvait encore plus que d'habitude. Elle pensait à Romi surtout. Sa meilleure amie ne l'aurait jamais oubliée comme cela. Elle devait parler d'elle au lycée, pour perpétuer l'espoir qu'elle reviendrait. Romi disait à qui voulait la croire que Lucy avait déconné grave mais qu'elle comptait revenir à Montpellier, même si la vie était toute pourrie là-bas. Romi ne lâcherait pas l'affaire. Cette meuf, elle tenait vraiment à elle.

Lucy ouvrit les yeux, troublée par les souvenirs de sa vie d'avant. Elle considéra son environnement immédiat. L'instance se réduisait à une boule d'énergie qui distillait l'atmosphère nécessaire à la survie de son corps. Elle flottait, portée par ces éclairs bleutés et grésillant, au milieu de rien. A l'extérieur, un observateur aurait pu confondre le néant avec l'espace bien connu des Terriens, mais il n'en était rien. C'était le néant absolu.

Elle ne s'était jamais sentie à ce point isolée. Elle avait détruit toutes les failles menant à l'instance de Wagner. La boule électrique était indépendante du reste du tissu qui reliait les univers, pensait-elle. Elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il n'y avait rien de plus triste, pour un être vivant, que d'exister à l'exclusion de toute autre forme de vie. Ici, si elle disparaissait, personne ne le saurait jamais. Vivante ou morte, elle avait déjà été effacée au regard de la vie. Elle n'existait déjà plus pour ceux qui l'aimaient. Margot et Gregor ne la retrouveraient jamais, dans cette bulle solitaire. Elle avait tranché le lien qui la reliait à ceux qui lui voulaient du mal, mais à quel prix ?

Un étau se serra dans la poitrine de la jeune fille. Un sanglot resta coincé dans sa gorge, comme un écho de désespoir. Elle sentit ses larmes couler le long de ses joues. Il n'y avait personne pour les essuyer. La jeune fille se concentra une petite seconde et créa un chaton potelé, avec des coussinets bicolores, bruns et roses.

L'adorable bestiole flottait à côté de Lucy, incapable du moindre mouvement. Il miaula, plaintif, frustré et désorienté.

– Ouais, ouais, le poilu ! Je vais t'arranger ça.

Une pelouse verte et chatoyante apparut. Lucy était maintenant assise dessus. Le chaton sauta dans l'herbe et vint s'attaquer à ses pieds. La jeune fille poussa un cri aigu.

– La sale bête ! Je t'ai pas créé pour que tu me griffes, Satanas !

Tandis qu'elle attrapait le chaton gris pour le câliner, un pantalon de jogging et un débardeur la recouvrirent instantanément. Lucy y avait pensé, et la respiration suivante, ils étaient là. Le tissage avait été réalisé intuitivement. La pelouse s'agrémenta d'une couverture et de quelques insectes qui voletaient au-dessus de coquelicots en fleurs. Sur un plateau, une bouteille d'Arizona était également apparue en compagnie d'une assiette de biscuits. La jeune fille y avait probablement pensé tandis que, d'un geste rapide, elle bousculait le bandit poilu.

Satanas avait sorti les griffes. Il se défendait de son mieux face aux doigts géants de l'Humaine qui lui chatouillaient le bidon. Il émit un feulement sauvage tout en se roulant sur le sol pour leur échapper. Il s'éloignait avec des pirouettes maladroites puis, feignant la colère, défiait la sorcière avec ses yeux émeraudes. Il repartait alors au combat en grognant.

Après quelques minutes de combat acharné, le chaton se pelotonna entre les jambes en tailleur de Lucy. Epuisé, il s'endormit aussitôt en ronronnant de satisfaction. La jeune fille se focalisa sur le petit corps tout chaud. Il s'agissait d'un chaton véritable, identique à tous les félins de son espèce. Lucy ne doutait pas qu'elle pourrait le ramener sur l'Instance-Terre, prouvant par la même occasion que Satanas pourrait vivre sa vie, vieillir et mourir, sans qu'elle ne puisse le contrôler. Comme un chat normal, dont la vie avait débuté âgé à trois mois.

Margot avait paru très fière d'avoir créé Moon. Lucy considéra qu'elle avait fait apparaître Satanas sans presque y réfléchir. Elle avait voulu un chaton, et il était apparu.

La jeune sorcière réfléchit aux implications de ce constat. Peut-être que si elle revenait sur Terre maintenant, elle ne serait pas autant en danger que tout le monde le supposait. Peut-être pourrait-elle se défendre, et même bien plus que si elle possédait un flingue, par exemple ?

Lucy but goulument l'Arizona glacé à même la bouteille. Revenir sur Terre, c'était la seule chose intelligente à faire. Et cool, aussi. Elle pourrait revoir ceux qui tenaient à elle et auquel elle tenait. Oui, il était temps d'activer le billet de retour.

Maintenant.

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Notes de l'auteur :

Nous nous approchons de la fin du roman, et j'espère qu'il continue de vous plaire.

La suite sur Terre, dans pas longtemps.