Chapitre 25 - Fracture majeure
La villa avait été dévastée.
A peine la faille traversée, Margot considéra tous les petits objets de décoration et les bibelots qu'elle avait eu le plaisir d'amasser au fil des années. Beaucoup d'entre eux gisaient à terre, brisés. Elle ne s'attarda pas sur les dégâts. Elle se précipita dans sa chambre afin de récupérer quelques affaires. Elle prit le temps d'envoyer un SMS à Gregor. La situation aurait été tellement différente avec son chasseur de primes. Elle fourra des vêtements et une liasse de billets dans un sac. Avant de quitter la pièce, elle choisit une paire de lunettes de soleil parmi toute sa collection. Des rondes, immenses, avec monture en bois. Ailleurs, Lucy hurla de toutes ses forces.
La sorcière courut à l'autre bout de la villa mais s'arrêta brusquement. Deux créatures dépourvues de peau, rosâtres, toutes veines et muscles apparents, se tenaient à l'entrée de la chambre de Lucy. Issues d'instances démoniaques, elles obéissaient aux règles du sorcier qui les avait créées. Et seul un dément pouvait imaginer de telles monstruosités...
Gênée par le sac, Margot ouvrit le feu. L'une des créatures couina et se recroquevilla. Le reste des balles vinrent se perdre dans le mur d'en face. L'autre monstre disparut dans la chambre.
– Margot, à l'aide !
La sorcière appuya sur la gâchette mais rien ne se produisit. L'arme semblait vide. Bien que décidée à rester en vie quoi qu'il advienne, elle fit une chose que plus tard, en réfléchissant au calme, elle ne comprit toujours pas. Margot s'élança vers la créature blessée et planta de toutes ses forces le canon du fusil dans l'un de ses gros yeux jaunâtres. Il explosa dans un bruit écœurant. La bestiole fut prise de tremblements et la sorcière en profita pour la dépasser. Dans la chambre, Lucy était à quatre pattes au-dessus son armoire. Elle agitait un parapluie en guise de gourdin.
Margot ouvrit la fenêtre qui donnait sur le jardin potager. Elle menaça la seconde créature avec son arme tandis que la première, blessée mais toujours sur ses pattes, pénétrait à son tour dans la pièce. La sorcière enjamba la fenêtre à reculons, alors que les créatures émettaient des sortes de feulements glaireux.
– Lucy, rejoins-moi en vitesse. Je ne sais pas combien de temps elles vont craindre le fusil.
La jeune fille descendit avec précautions de son armoire et marcha à côté de l'un des écorchés. Elle s'attendait à tout moment à être attaquée. Les bêtes feulaient comme des chats de cauchemar et dépourvues de bouches apparentes. Leurs deux pattes avant étaient démesurées et terminées de longues griffes aiguisées.
Aucun des Écorchés n'attaqua Lucy. Elle rejoignit Red-Head le cœur battant et surprise d'être encore en un seul morceau. L'énorme fusil mitrailleur dans les mains de son joli mentor lui paraissait encore plus irréel que les deux créatures infernales.
Une fois dans le jardin potager, les deux femmes coururent vers la forêt. Margot se retourna et se rendit compte avec désespoir que les deux sortes de chiens avaient elles aussi bondi hors de la villa. La fuite était inutile. Elles ne couraient jamais assez vite pour les semer. Margot stoppa sa course et fit face aux créatures.
– Va te mettre à l'abri, je vais les attirer, dit-elle.
Habituée d'obéir aux adultes, même quand les ordres lui paraissaient débiles, Lucy changea de direction et courut droit devant elle, vers la mer. Elle ne doutait pas que Red-Head s'en sortirait... mais elle ne voyait pas comment.
Il n'y eut aucun coup de feu.
Elle risqua un coup d'œil derrière son épaule. Les deux bêtes la suivaient tranquillement, sans se presser. Lucy aperçut un corps étendu, à l'entrée des bois. Son cœur s'emballa. Elle continua sa course, paniquée. De nouveau, elle était seule. Il n'y avait plus personne pour la protéger.
Les deux écorchés se rapprochaient d'elle lorsqu'elle voulut revenir dans la forêt et ses nombreuses failles. Ils la guidaient vers la plage, comme deux chiens bergers bondissants et monstrueux. Lorsqu'elle les observait, son cerveau se déconnectait. Non, elle ne risquait rien. Ces saloperies n'existaient pas. C'était un putain de cauchemar. Des larmes jaillirent de ses yeux clairs. Margot morte, elle n'avait plus personne. Elle espérait qu'elle ne souffrirait pas trop. Elle aurait voulu que tout soit différent.
Lucy poussa un grognement de désespoir. Elle était revenue sur plage, devant la villa. Trois silhouettes l'attendaient. Elle en reconnut deux sans mal : la montagne de muscles et la meuf au poignard. Encore dans leurs treillis noirs. Ils revenaient de l'instance de survie de Margot. A voir leurs blessures, les combats avaient été rudes. Tous deux avaient un fusil mitrailleur en main et le regard dur de ceux qui n'ont aucun état d'âme à s'en servir.
L'homme à leurs côtés avait les cheveux blancs et hirsutes. De nombreuses cicatrices barraient le sillage profond de ses rides. Ses yeux fous observaient la jeune fille avec un mélange de triomphe et d'avidité. Lucy remarqua à peine le tentacule répugnant qui lui tenait lieu de bras gauche. Un truc absurde parmi tant d'autres, aujourd'hui. C'était un sorcier, elle le savait.
– Vous deux, allez me chercher l'autre. Si elle est encore vivante, ne la tuez pas. Je voudrais la voir avant.
Les deux soldats quittèrent la plage sans un mot.
Il ne restait plus que Lucy, avec les deux Griffeurs et leur créateur, qui jubilait.
– Enfin, on se rencontre ! Je m'appelle Wagner.
– Pourquoi vous faites ça ? On devrait être dans le même camp.
Le sorcier éclata d'un rire non maitrisé, la tête basculée en arrière. Lucy se demanda si elle ne pouvait pas en profiter pour se jeter sur lui, mais elle ne bougea pas. Il y avait ses monstres, et elle était minuscule comparée à lui.
– Mais de quel camp parles-tu ? Tu penses que tous ceux d'entre nous se tiennent par la main, et font une ronde en chantant des chansons ? Ah ! Je purifie la Terre des gens comme toi depuis plus de soixante ans, petite.
– Comme nous, vous voulez dire, répondit Lucy, qui sentait la colère, encore lointaine, monter quelque part depuis son ventre.
– Comme nous, si tu veux. Mais moi j'utilise mon pouvoir contre toutes les aberrations que vous créez. Regarde ce que tu as fait, à Montpellier.
– J'ai pas fait exprès, là-bas. C'est arrivé tout seul.
– Cela n'excuse rien. Tu existes et c'est déjà de trop. Tout comme celle qui te protège. Si elle n'est pas morte, je vais la faire brûler.
Les poings serrés, Lucy sentait la peur se mélanger à sa colère. Malgré son jeune âge, des types comme lui, elle en avait déjà croisé pas mal. Ils se sentaient tellement supérieurs à elle, eux et leur saloperie de certitude de ne rien risquer car c'était juste une fille. Eux, qui la toisait de haut, avec mépris, elle et son mètre cinquante.
– J'existe et je vous emmerde.
Le sorcier éclata de rire, encore une fois.
– Tu as raison ! Il faut se rebeller. De toute façon, plus rien ne va te sauver maintenant.
Le sorcier se rapprocha d'elle, tranquillement. Au loin, deux coups de feu retentirent.
– Ah ? Je crois que ta protectrice est morte. Tant-pis, je ne la brulerai pas, finalement.
Lucy eut un sursaut et fit un geste pour s'enfuir, mais le tentacule de Wagner fut plus rapide et vint s'enrouler autour de sa taille. Elle voulut hurler. Le sorcier la gifla de sa main droite.
– La ferme !
Horrifiée par le contact avec le membre mutant du sorcier, Lucy se débattait. Wagner la frappa de nouveau, ulcéré par la stupidité de cette petite sotte.
Un éclair fendit le ciel azur et sans nuage.
Le sorcier continuait de la frapper, et elle de se débattre, impuissante.
Un second clair s'écrasa, au niveau où l'océan venait lécher de sa mousse brillante la plage de sable fin. Un grondement sourd retentit et la réalité de l'instance se déchira en deux. Une faille de dimension monstrueuse éventra l'instance privée de Margot, depuis le ciel jusqu'aux profondeurs de la terre. Le sable et l'eau s'y déversaient dans une tempête d'éclairs électriques et de fils magiques. Le tissage originel avait été pulvérisé par une force irrésistible.
Proche de la faille large comme un gouffre, les deux griffeurs furent attirés avec le sable et l'océan. Stupéfait, Wagner ne savait à quoi se raccrocher pour ne pas être aspiré à son tour. Il s'agrippa de son mieux à la fille qu'il devinait être l'autrice de cette performance. Elle avait les yeux révulsés et la bouche tordue comme une poupée horrifique. « Complètement grillée ! » pensa-t-il tandis que tous deux glissaient dans le maelstrom magique.
La faille avait déchiré l'instance de la protectrice, mais probablement d'autres réalités. Tandis qu'ils chutaient parmi le sable et les flots, Wagner aperçut des fils magiques qu'il devinait appartenir à d'autres instances que celle de la Rousse. Des tissages par centaines, déchirés comme de vulgaires ébauches, qui menaçaient de s'emmêler les uns aux autres pour un résultat inédit. Toujours agrippé à Lucy, Wagner vit des bribes de paysages, de villes, de montagnes, de paysages exotiques et l'intérieur d'habitations, éventrées et subitement offertes à sa vue d'homme en chute libre. Quelle incroyable puissance ! Extatique, le sorcier dément admirait les fils de multitudes de tissages pulvérisés par la trop forte émotion de la gamine. Stupéfiant ! Wagner ne savait pas s'il allait crever, mais il était ravi de pouvoir vivre cette expérience.
Cette fille, c'était de la dynamite !
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Notes de l'auteur :
Margot, morte ou pas ? J'ai déjà répondu en fait, mais pas grave. Par contre, Lucy est partie vers ailleurs, en compagnie de Wagner... Elle va devoir se débrouiller seule, semblerait-il. C'est la seconde fois où elle déchire tout avec une faille XXL.
J'espère que vous prenez plaisir à lire la suite... si c'est le cas, n'hésitez pas pas à en parler à d'autres lecteurs/lectrices de Wattpad !^^
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