Chapitre 24 - L'assaut(1/2)

Les oreilles aplaties sur son crâne, la vieille chatte noire fila jusqu'à la cuisine. Dita revenait d'une de ses rares sorties hors de la villa. Comme à son habitude, elle se comportait comme si elle avait rencontré le diable en personne. Elle se planta devant sa gamelle vide. Un miaulement plaintif et sonore s'échappa de sa gorge. Bientôt suivi d'autres, plus forts.

– C'est moi qui ai nourri Mimi Geignarde tout à l'heure, dit Lucy sans détourner son regard de la télé.

Margot soupira. Super. Elle avait les joies d'une ado à la maison, maintenant. La sorcière se rendit dans la cuisine. Ses chats lui avaient des milliers de fois ordonné de les nourrir... et elle avait toujours obéi. On ne faisait pas attendre un Chat.

– Oui, oui... Tu vas avoir à manger, vieille folle.

La chatte noire émit son miaulement le plus lugubre. Margot attrapa les croquettes et se pencha pour remplir la coupelle.

Un claquement sec retentit. La sorcière leva les yeux. Un impact de balle avait explosé le placard. Elle s'était baissée au bon moment...

Une série de mitrailles lacéra la cuisine. Des éclats de bois et de verre s'abattirent sur la sorcière. Dita avait déjà filé. Dans le salon, allongée au sol, Lucy poussaient des cris terrorisés.

Le mitraillage cessa enfin.

– Tu es blessée ?

– Non, gémit-elle. J'ai rien !

– Alors rejoins-moi ! Dépêche-toi !

La sorcière risqua un regard dans le salon. La baie vitrée avait littéralement explosé. Il y avait du verre partout. La nuit avait commencé à tomber mais elle discernait des ombres qui couraient sur la plage. Des humains. Il y avait aussi des gros chiens.

Les poils de ses avant-bras se dressèrent sous l'effet du malaise. Non. Pas des chiens, des sortes de chiens...

– Lève-toi, et suis-moi si tu veux vivre !

Margot se redressa et attrapa la jeune fille. Sa chevelure rousse dansait autour d'elle comme une flamme incandescente. Elle saignait au niveau du front. Probablement un éclat de verre.

Elle entraina sa protégée dans le couloir alors que les coups de feu reprirent.

– Arrêtez de tirer, putain ! hurla une voix avec un mauvais accent anglais. On ne les aura pas avec vos armes !

Les deux sorcières se précipitèrent dans la salle de bain de Margot. Des serviettes jetées en boule et du linge sale jonchaient les dalles en pierre polie du sol. Sans s'arrêter, elles traversèrent la faille tissée juste à côté du lavabo en granit. Ailleurs dans la villa, on entendait des grognements bestiaux et des bruits de pas qui écrasaient les décombres.

La lumière blanche et clinique contrastait avec celle de la villa. La pièce spacieuse sentait bon le linge frais. Il y avait plusieurs machines à laver, ainsi qu'une large table et des étagères remplies de linge propre. Au centre de la buanderie, une jeune femme en tablier pastel leur souriait. Ses cheveux sombres étaient impeccablement retenus avec une coiffe amidonnée.

– Bonjour, Margot, j'espère que vous passez une excellente journée. Avez-vous du linge à me confier ?

Stupéfaite, Lucy mit quelques secondes à réagir.

– C'est quoi ce bordel ?

– Je me suis créée une petite instance pour faire mon linge et le repasser. Emilie s'en occupe, elle est super serviable.

– Je vous remercie madame, répondit la jeune femme avec un regard inexpressif.

– C'est une Peon ?

– A ton avis ? On en discutera plus tard, si ça ne te dérange pas. Ils vont trouver la faille d'une seconde à l'autre !

Margot entraina sa jeune protégée vers le fond de la buanderie. Emilie se rapprocha d'elle avec un linge humide.

– Vous êtes blessée, madame, voulez-vous que je m'en occupe ? Je suis douée pour soigner les bobos.

Les deux sorcières ne se préoccupèrent pas d'elle. Elles franchirent la nouvelle faille qui était dissimulée elle-aussi entre deux grands éviers industriels.



Quelques secondes plus tard, le Commandeur Spengler et l'Aspirante Harris traversèrent la faille qui menait à la buanderie. Wagner les suivait, accompagné de trois de ses créatures monstrueuses. Perplexes, ils observèrent le contenu de l'instance. Emilie se tenait au centre de la pièce, impeccable avec son tablier.

– Bonjour, messieurs-dames, j'espère que vous passez une excellente journée. Avez-vous du linge à me confier ?

Spengler tira une rafale avec son pistolet automatique. Le corps d'Emilie fut projeté en arrière, déchiquetée par les impacts. Le sang, rouge et brillant, jurait avec la blancheur de la buanderie instanciée.

– Imbécile. Elle aurait pu nous dire où se sont tirées les sorcières, dit Wagner, d'une voix méprisante.

– Mesurez vos propos, Wagner.

– La seule chose que je mesure, c'est ton inutilité pour cette mission !

Le colosse en treillis considéra le vieil homme au regard fou. L'aberration au service de la Fondation faisait tournoyer avec nervosité le tentacule qui lui tenait lieu de bras gauche. Le Commandeur fit appel à toute sa volonté pour répondre d'un ton égal.

– C'est une Peon. Elle ne savait rien et ne servait à rien.

– Ça, tu n'en sais rien. Certains de ces automates peuvent nous être utiles, si on prend le temps de leur parler. Mais flinguer avant de parler, c'est bien une méthode de cow-boy.

La mâchoire du Commandeur Spengler se contracta. Il réprima l'envie de vider le reste de son chargeur sur Wagner. La mission avant tout, quoi qu'il lui en coûte. Pendant ce temps, les trois Griffeurs s'agitaient autour du cadavre d'Emilie. L'Aspirante Harris s'appliqua à ne pas regarder vers ces créatures rosâtres et abjectes, et se concentra afin de découvrir où pouvait bien se dissimuler l'autre faille. La buanderie ne possédait aucune porte, il y en avait forcément une.

– Entre les éviers, marmonna Wagner, toujours méprisant. Elle se voit comme le nez au milieu de la figure...

Le vieux sorcier s'approcha d'une des tables pour humer la pile de serviettes propres et bien pliées. Il en prit une et épongea son visage en sueur. Il reposa la serviette sur la table avec délicatesse.

– Lavande... J'adore.

Il se dirigea ensuite sans hésiter vers la faille par laquelle avaient disparu les deux sorcières deux minutes plus tôt. Il jappa à l'attention des monstres. Les trois créatures se raidirent et emboitèrent son pas. Les muscles raidis par la colère, le Commandeur Spengler fit signe à Harris de les suivre.



Margot inspira profondément. Elle détestait l'instance dans laquelle elle avait entrainé sa protégée. Pourtant, elle l'avait créée de A à Z. Elle espérait sortir vivante de cet assaut grâce à ce bloc de métal un peu particulier, créé afin de se protéger, en dernier recours.

– C'est pas super, la déco...

– Maligne. L'esthétique n'a aucune importance ici.

L'instance ressemblait à un immense hangar, avec une lumière de néons tamisée, des plateaux surélevés et des structures métalliques peintes en noir et en gris.

– Ça ressemble à un LazerGame.

– Il y a un peu de ça. Viens, ne restons pas ici.

Margot entraina Lucy dans le dédale métallique jusqu'à une petite plateforme où une douzaine de soldats les attendaient. Ils auraient pu être des jumeaux car rien ne les différenciaient les uns des autres, à part le numéro sur leur combinaison. Ils portaient un casque et avaient tous un imposant fusil mitrailleur dans les bras.

– A vos ordres, Madame ! aboya le numéro 1.

– Des individus, peut-être accompagnés de créatures, vont faire irruption ici d'une minute à l'autre. Vous devez les intercepter et les éliminer. Pas de sommation, juste une élimination. Vous connaissez les cibles à protéger, auxquelles je rajoute Lucy ici présente.

Tous les soldats dévisagèrent la jeune fille, en enregistrant bien son visage. Ils quittèrent ensuite la plateforme afin de se mettre en formation de défense. Cette fois-ci, les intrus trouveraient une résistance tout autre lors de leur passage dans l'instance.

– Ils ressemblent tellement à un acteur connu.

– Je sais. Je me suis inspiré de lui pour les créer.

– Tu aurais dû choisir un beau gosse, alors. J'aurais pas mis ce mec pour me protéger, moi.

– C'est juste un habillage, pour les visages. Cela aurait pu être n'importe qui.

– Pas de souci. C'est juste que Sheldon Cooper, drôle de choix !

En contrebas, des rafales de tirs crépitèrent. Les deux sorcières entendirent des cris, des grognements, et encore des cris. Les armes à feu ne se taisaient pas.

Margot se précipita vers une passerelle qui s'éloignait du théâtre du massacre. Elle ne doutait pas que son armée de Sheldon Cooper puisse venir à bout des hommes de la Fondation, mais elle n'aurait pas parié dessus non plus. Autant ne prendre aucun risque.

Elle traversa en courant le reste de l'Instance de Survie, dispositif de sécurité bien connu des Sorciers. Elle ne ralentit pas le long d'un couloir étroit et bas de plafond jusqu'à un mur plein. Lucy remarqua sans peine la faille qui ne cherchait même pas à se dissimuler. Le tissage de cette dernière lui indiquait que Margot avait créé un autre type de portail. Les fils étaient disposés différemment, et ils semblaient onduler, ce qui n'était pas normal.

– C'est quoi cette faille ?

La sorcière rousse grimaça plus qu'elle ne sourit. Désabusée, elle devait bien se rendre à l'évidence : sa magie ressemblait à un jeu d'enfant pour sa soi-disant élève.

– Bravo Lucy, tu as remarqué. Même si je n'en doutais pas, venant de toi. Il s'agit d'une faille à sens unique. Tu peux quitter l'instance, mais de l'autre côté, il n'y a aucun moyen de revenir ici.

– Malin ! J'imagine qu'il existe un tas de failles différentes. J'adore ! Tu n'imagines pas combien je trouve fun d'être une sorcière !

Ailleurs dans l'instance, les coups de feu continuaient de retentir. Son armée de soldats se voyait opposer une forte résistance, apparemment. Margot attrapa un fusil mitrailleur dans une étagère remplie d'armes.

– C'est pas le moment pour les leçons. On en reparlera quand on sera en sécurité.

La sorcière rousse essuya le sang coagulé sur son visage, et traversa la nouvelle faille. Lucy la suivit sans prendre un fusil.

(...)



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Notes de l'auteur :

J'espère que cette première partie de chapitre mouvementée vous plait !  La grosse question est de savoir si le Commandeur va exploser l'aberration avec laquelle il est obligé de travailler... avant de s'occuper de Margot et Lucy. Mais cela signifierait désobéir au premier Secrétaire.

N'hésitez pas à me donner votre avis ! Et merci d'avance pour vos votes.

La suite demain.

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