Chapitre 21 - L'honneur des Von Pfaehler
Marie-Garance était assise sur une chaise, droite comme un « i », vivante image de la tension. Elle surveillait ses deux fils qui regardaient un Disney sur l'immense TV du salon. Captivés par les aventures Vaiana et Maui, ils n'avaient pas remarqué l'état de leur mère. La petite dernière, en revanche, agrippait fermement son bras. Iris observait la dame noire qui avait dit à sa maman de s'asseoir, de ne pas bouger et de ne pas parler. La petite fille de quatre ans n'avait jamais entendu quelqu'un parler comme ça à sa mère. Elle suçait son pouce, nerveuse elle aussi, et consciente que la situation était anormale.
– Pourquoi tu es méchante ? demanda-t-elle.
Debout en position de repos, l'Aspirante Harris surveillait les quatre civils tandis que le Commandeur interrogeait le chef de famille. Elle n'avait pas jugé utile de déployer une de ses armes car il n'y avait aucune adversité. Elle observa la gamine qui la défiait crânement du regard. Du caractère. Elle appréciait. Elle décida de répondre, même si rien ne l'y obligeait.
– Pourquoi tu dis que je suis méchante ? Je n'ai rien fait de mal.
– Si. Tu fais peur à maman.
Harris posa son regard de braise sur la mère assise. Une bourgeoise française sans intérêt, qui avait les lèvres pincées et baissa rapidement les yeux.
– Tais-toi, Iris. Laisse la dame tranquille. Elle va bientôt partir.
– Qui te dit que c'est moi, la méchante, répondit la voyante de la Fondation, sans se soucier de la mère. Ce sont peut-être tes parents qui sont les méchants.
Le visage rond de la petite fille se tordit sous l'effet d'une rapide réflexion.
– Non, ils sont gentils.
– Et ton oncle Gregor, il est gentil ?
– Oh, oui !
– C'est à cause de Gregor, que vous êtes là ? demanda sèchement Marie-Garance. Vous pouvez partir de suite, il n'habite pas ici.
– Taisez-vous. Je parle à votre fille.
Peu habituée, à ce qu'on lui parle sur ce ton, Marie-Garance s'apprêtait à répondre, mais quelque chose dans l'attitude de la femme en treillis l'en dissuada.
– Tu vois, t'es méchante. Et tonton lui il est gentil. Il est rigolo.
– Il vient souvent ici ?
– Oh non ! Il vient pour manger, c'est tout. Il adore les frites de maman !
Harris se tut. Interroger cette gamine, cela ne rimait à rien. Autant interroger le chien de la maison... Un bruit de vaisselle qui se casse résonna dans la cuisine. L'interrogatoire devenait plus physique, pensa-t-elle avec satisfaction. Elle posa sa main sur la gaine de son couteau militaire à l'attention de la bourgeoise. Silence, et pas bouger.
Dans la cuisine, une autre partition se jouait, plus violente.
La tête rentrée dans les épaules, Viktor était avachi sur une chaise. Du sang coulait sur son polo bleu ciel, puis sur le sol. Il s'en fichait. Il avait probablement le nez brisé, mais cela aussi, il l'accueillait avec indifférence. L'énergumène qui avait fait irruption dans sa maison passait à peine les portes. Il ressemblait à un de ces combattants de MMA. Il avait l'accent américain et les muscles hypertrophiés qui déformaient son corps jusqu'à le rendre ridicule.
– Vous avez conscience que je ne partirai pas avant vous ayez répondu à mes questions ?
Viktor se redressa de son mieux et planta son regard baigné de larmes dans celui, insensible, du Commandeur Spengler. Il répliqua avec une voix qu'il espérait ferme.
– Ce n'est pas en me frappant que vous parviendrez à vos fins. Je vous ai déjà répondu. Je... Je ne sais pas où se trouve mon frère. Et je ne sais rien de ses activités !
– Je ne vous crois pas.
– Il travaille comme antiquaire ! Il vend des objets de luxe, c'est tout ce que je sais, je vous le jure !
Le commandeur se pencha vers Viktor, qui s'arrêta de respirer tellement il appréhendait la suite.
– Vous n'êtes pas de taille à me résister. Dites-moi ce que je veux savoir, et je ne vous ferai pas de mal. Jouez au héros, et vous, ainsi que votre famille, souffrirez pour rien.
Les yeux impitoyables de l'Américain plantés dans ceux, affolés, du notaire, indiquaient qu'il n'y avait aucun bluff. Simplement une description.
– Je vais être le plus conciliant possible. Je répondrais de mon mieux à vos questions. A une seule condition, cependant.
– Laquelle, monsieur Von Pfaehler ?
– J'exige que ma femme emporte les enfants et parte d'ici. Elle ne parlera à personne de ce qui se passe, de vous, de rien. Si ma famille quitte les lieux, je coopère sans retenue.
Spengler considéra le notable français, avec son nez explosé, la mixture de sang, de morve et de larmes qui avait coulé sur son ridicule polo. Comment un petit homme tel que lui pouvait poser ses conditions, avec sa bedaine de trentenaire trop gourmand ? Pourtant, derrière la peur et la mollesse, le Commandeur décelait sa détermination.
– Vous exigez ?
– Vous l'avez probablement remarqué, il y a des caméras de surveillance dans toute la propriété. S'il nous arrivait malheur, la police française se ferait un plaisir de vous pourchasser. Ma famille est installée dans le sud-ouest depuis très longtemps. Notre malheur ne passera pas inaperçu. Je vous offre ce que vous voulez, mais vous devez laisser ma femme s'en aller, avec les enfants. Mon intérêt, c'est que vous partiez vite, satisfait, et que vous ne reveniez jamais.
Le Commandeur Spengler jeta un coup d'œil rapide dans la cuisine. Il ne trouva aucune caméra, mais cela ne voulait rien dire. Il posa sa main large comme un battoir sur le crâne du notaire. Il exerça une légère pression puis murmura à son oreille.
– Je ne peux pas accepter ce marché. Je n'aurais aucune garantie que votre épouse ne se rendra pas à la police. On arrête de jouer.
– Je vous promets, elle n'ira nulle part.
– Viktor, répondez-moi maintenant. Savez-vous ou Gregor peut bien se cacher, actuellement ?
– Je vous jure que non. Il est très secret sur sa vie. Quand il vient, nous discutons des enfants, et de choses anodines. Je sais qu'il me cache des choses, mais j'ai toujours respecté son intimité.
– Il a un lieu de prédilection, ici ? demanda subitement Spengler, qui avait une idée. Le cabanon au fond du jardin, la cave, un coin du jardin ? Un endroit où il aime s'isoler ?
L'agent de la Fondation augmenta sa pression sur le crâne du notaire. Ce dernier poussa un gémissement de douleur.
– Non, je vous jure ! Il traine parfois dans sa chambre, mais c'est normal il vient ici pour se reposer et se détendre.
– Sa chambre, bien sûr. Amenez-moi là-bas, de suite.
D'une poigne de fer, Spengler releva Viktor. Les jambes chancelantes, le notaire le suivit dans son salon. Il se força à réfléchir, à ne pas céder à la panique. Trente minutes auparavant, il se posait simplement la question entre travailler sur quelques dossiers, ou regarder un film sur Netflix. Désormais, il planifiait de mettre sa famille en sécurité, et de se préparer au pire pour lui-même. De même qu'il avait su que ses parents cachaient des secrets, avant leur disparition non élucidée, il se doutait que Gregor dissimulait aussi de sombres secrets. Tout cet argent, il ne le sortait pas de nulle part. Aujourd'hui, la vie clandestine de son frère menaçait de détruire la sienne.
Marie-Garance étouffa un cri en voyant son mari en sang et le nez brisé. Les deux garçons continuaient de regarder leur film, absorbés. Iris courut vers son père et agrippa l'une de ses jambes.
– Tu as mal, papa ?
– Non ma chérie, c'est rien du tout. Je vais très bien. Retourne voir ta mère.
Il se tourna vers son épouse.
– Ne t'inquiète pas. C'est juste un malentendu.
Les yeux exorbités, Marie-Garance ne parvenait pas à détacher son regard de son époux blessé, puis de l'homme qui était responsable de cette violence.
– Allons-y.
D'une démarche mécanique, le notaire monta à l'étage. Marie-Garance vint chercher sa fille et se rendit avec elle au salon. Elle l'installa avec ses frères devant la télé sous la surveillance de l'Aspirante Harris. Iris se dégagea de l'étreinte de sa mère. Elle s'en fichait, de Vaiana ! Elle se précipita en dehors du salon et partit à la recherche de son père. Harris ne réagit pas. La gamine pouvait bien faire ce qu'elle voulait. La jeune femme n'était pas certaine que les méthodes du Commandeur étaient les plus adaptées. Ce n'était cependant pas son rôle d'élaborer les stratégies.
Le mercenaire américain poussa le notable girondin dans la chambre. Le lit avait été fait et il régnait un ordre relatif. Spengler se concentra sur les énergies magiques, à la recherche d'une faille. Il ressentait cette légère tension électrique, qui ne laissait aucun doute sur son existence, mais il ne parvenait pas à déterminer où. La faille devait être très ancienne, et le sorcier qui l'avait créée l'avait bien dissimulée.
Interdit, Viktor observait l'Américain qui avait le regard perdu dans le vide. Cela n'avait aucun sens. Devait-il en profiter pour tenter de l'assommer ? Mais avec quoi ?
– Tu fais quoi, monsieur ? demanda Iris d'une petite voix.
La petite fille s'était faufilée dans la chambre de Gregor, sans que personne ne la remarque. Son père se précipita pour la prendre dans ses bras.
– Excusez-la, elle est trop petite pour comprendre.
Agacé par son incapacité à trouver la faille, Spengler avait envie de sortir son arme et de réduire la famille complète au silence. Cette mission en France tournait au fiasco complet.
– Votre frère vous a parlé de quelque chose de spécial dans cette chambre ?
– Non, jamais. Il a insisté pour que ce soit la sienne, après le départ de mes parents. Je n'ai vu aucune raison de m'y opposer car je préfère l'exposition de notre propre chambre.
Spengler fronça les sourcils. Il y avait une faille. Il en était certain.
Iris se tortilla pour s'extraire des bras de son père. Elle trotta vers le mur entre la penderie et la fenêtre, juste en dessous du poster de Depeche Mode.
Son image se brouilla puis elle disparut. Le cerveau de son père essaya d'enregistrer l'information, sans succès. Il bredouilla quelques mots incohérents. Il ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Il devait avoir eu une légère absence. Trop de stress. Sa fille n'était plus là. Elle devait être redescendue voir sa mère.
Le visage carré du Commandeur Spengler se fendit d'un mauvais sourire. Il profita de la stupeur du notaire pour l'asseoir à même le sol. Il sortit des menottes et l'attacha au radiateur en fonte. Puis il suivit la petite fille et s'enfonça dans l'instance.
Une heure plus tard, la famille Von Pfaehler au grand complet était installée dans le salon. Les deux américains avaient quitté la maison, en les laissant choqués et soulagés en même temps. L'homme avait insisté, Viktor et son épouse devaient se taire et ne pas prévenir la police. Dans leur intérêt. Le notaire n'avait pas compris les événements dans la chambre, et il avait mal au crâne. Il avait cru voir le colosse et Iris réapparaître au bord du mur, mais c'était impossible. Il avait rêvé. Il s'était fait frapper, après tout. Rien d'étonnant à ce qu'il soit incapable de se rappeler des faits exacts.
En revanche, Viktor avait remarqué l'intérêt malsain que portait l'Américain à sa fille de quatre ans. Il n'avait pas manqué de voir le regard de la femme en treillis se poser sur Iris avant de partir, quand le colosse lui avait glissé quelques mots à l'oreille. Viktor frissonna. Ils semblaient satisfaits de leur passage chez eux. Mais pourquoi ? Il ne leur avait rien dit.
Viktor se promit de poser pas mal de questions à Gregor, quand il le verrait. Il espérait que son petit frère ne s'était pas mis dans des problèmes insolubles. Gregor serait bien obligé de lui dire quel était son secret... et Viktor craignait que ce soit une révélation difficile à encaisser. Le notaire se promit de questionner aussi Iris. La fillette lui cachait également quelque chose.
--- Notes de l'autéur :
Merci pour votre patience ! Ce chapitre m'a donné du fil à retordre ! J'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, une tite étoile, et tout est parfait.
Pour le chapitre 22, vous n'aurez pas à attendre 1 semaine entière !
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