Chapitre 2 - Plage privée
Gregor termina son café et laissa même un pourboire. Il avait pris l'habitude d'arriver pile à l'heure. Pas une minute de plus ou de moins. Le professionnalisme poussé à son meilleur, selon lui. Il pensait que cela ne pouvait qu'impressionner Margot. Et il avait à cœur de montrer à la sorcière qu'il était à la fois doué, pro, et incroyablement cool.
Gregor se regarda dans la devanture d'un magasin. Il esquissa un sourire, puis une grimace. Il arrangea ses cheveux et reprit son chemin, satisfait. Il savait qu'il plaisait aux femmes... mais Margot était-elle seulement humaine ? Il entra dans la ruelle pavée où habitait son employeuse, dans un studio minuscule et insalubre. Il appuya sur la sonnette sans nom. Il pénétra dans le couloir exigu où certains locataires avaient quand même garé leur vélo. Cela sentait la moisissure, la poussière et la vieille poubelle. Il monta au premier étage d'un pas alerte et frappa à la première porte à droite.
– Entre, c'est ouvert.
Debout au centre de la pièce unique du studio, Margot l'observait avec un sourire que Gregor qualifiait de perpétuellement énigmatique. Comme à son habitude, elle était sublime. Ses longs cheveux roux et bouclés cascadaient autour de ses épaules nues, alors qu'elle portait une robe d'été légère et diablement cintrée sur ses hanches et son ventre plat. Gregor avala sa salive et dit d'une voix qu'il désirait assurée.
– Salut Margot, la forme ?
Autour de la sorcière, le studio était vide et apparemment inhabité. La moquette grise n'avait pas été aspirée mais à quoi bon, car personne ne s'arrêtait jamais dans ce placard amélioré dont la seule fenêtre donnait sur un puits de jour encrassé.
– Allez, suis-moi, il fait chaud à crever, ici.
La sorcière traversa la faille qu'elle avait elle-même créée, et disparut dans son instance personnelle. Elle y avait installé ses appartements privés, invisibles au commun des mortels. Gregor la suivit. Il quitta la poussière, les acariens et la maudite chaleur de cet été caniculaire pour le mini royaume personnel de son employeuse, admirant au passage la démarche souple et gracieuse de la sorcière, ainsi que la coupe réussie de sa robe vue de dos.
La pièce était baignée dans une lumière douce et chaleureuse. Il s'agissait d'un salon meublé avec du bois clair, des canapés confortables autour d'une table basse design, et dont les larges baies vitrées donnaient sur une immense plage de sable fin. L'océan grondait doucement, avec ses rouleaux perpétuels, ses embruns, et cette humidité salée propre à tous les bords de mer. Gregor ferma les yeux et huma l'odeur de la mer, iodée.
– J'ai beau connaître, je ne m'y ferai jamais. Tu es la seule bordelaise à pouvoir aller te baigner sans avoir une heure de bouchons.
– Oui, j'aime bien ce petit luxe. Et la forêt derrière la maison n'est pas mal non plus. Garantie sans chasseur. J'ai calé la météo de l'instance sur celle de l'extérieur, de même que les cycles de la journée. C'est plus réaliste.
Gregor acquiesça. Il ne savait si réaliste était le mot qui lui venait en premier à l'esprit. Comme à chaque fois qu'il était seul en présence de Margot, et tout près d'elle, il sentait une légère pression lui étreindre l'estomac. A voir sa peau légèrement bronzée, constellée de quelques taches de rousseur, il imaginait pouvoir poser ses lèvres dessus, et découvrir le gout de celle-ci. Pire encore, Margot semblait ne pas connaître les règles élémentaires de la pudeur. Sa robe, une fois bien éclairée par le soleil maritime, laissait entrevoir de nombreux détails qui rendaient Gregor un peu plus nerveux. Les yeux beaucoup trop verts de la sorcière le fixèrent, rieurs.
– Tu sais que j'ai pensé à l'agrandir. Tout me parait un peu trop simple, pour l'instant. J'ai bien l'intention de me créer un petit paradis pour moi toute seule.
– En tous cas, il va falloir que je pense à apporter mon maillot de bain, je me dis la même chose à chaque fois.
– Tu peux te baigner nu. Il n'y a personne dans l'instance, à part moi.
Gregor eut un rire de gorge, incontrôlé. Il se maudit intérieurement. Il se comportait comme un gamin de quinze ans. Il décida de changer de sujet et sortit la lanterne de sa sacoche.
– Au fait, voilà le bidule que tu m'as commandé. J'espère que ça en vaut la peine, j'ai failli me faire écraser. C'était quoi cette instance ?
La sorcière attrapa la lanterne et l'observa attentivement. Tandis qu'elle se penchait sur l'objet, Gregor avait une vue plongeante sur son décolleté, et les effluves sucrées du parfum de la sorcière lui agaçait les narines. Il détourna le regard et recula d'un pas.
– Elle est superbe, merci. Quel bel artefact.
– C'est magique ?
– Oui. Elle éclaire, comme une lanterne doit éclairer, si l'on y met de l'huile. Mais elle révèlerait aussi les failles les mieux cachées des instances aux alentours. Et surtout, elle est magnifique, et si l'on met de l'huile essentielle, elle diffuse très bien les fragrances.
Margot posa la lanterne sur le coin d'un meuble, à côté d'une pile de bouquins.
– Elle est parfaite ici.
Gregor en était bouche bée. Il avait risqué sa peau pour un diffuseur d'arôme ? Sa vie valait-elle donc si peu, pour la sorcière ?
– Qui a créé cette instance ? finit-il par dire, pour passer à autre chose. C'était un fichu glaçon.
– Un sorcier mort depuis longtemps. Tu ne l'as pas remarqué, mais elle est immense et renferme des cités entières. Plusieurs failles y donnent accès, depuis chez nous, et depuis ailleurs.
– Ailleurs ?
– D'autres mondes, d'autres réalités pour lesquelles cette instance n'est pas plus importante que pour nous.
– Ok... Et pourquoi je devais me rendre à la gare avec le train ?
La sorcière éclata d'un rire cristallin.
– Parce que j'avais envie de t'imaginer là-dedans, avec les passagers !
– Tu te fous de moi ?
– Ne fais pas la tête, cela ne t'a pas tué. Et je te paye très bien.
La sorcière se déplaça vers le bar. Elle alluma sa JBL et bientôt la musique techno de Die Antwoord emplit le salon. Elle leur servit deux gins tonic et apporta par la même occasion une enveloppe. Gregor l'attrapa d'un geste sec et compta la liasse de billets de 50. Elle le prenait vraiment pour un con, et il détestait accourir à chaque fois qu'elle avait besoin de lui.
– Allez, arrête de faire la tête. Tu t'en es très bien sorti, et la lanterne est potentiellement dangereuse, si un Aveugle l'allumait et pouvait voir les failles, qui sait s'il serait capable de pénétrer à l'intérieur ?
Gregor se rendit sur la terrasse et sirota son gin tonic. Elle se rapprocha de lui, et colla ses hanches aux siennes. Dans le lointain des oiseaux volaient en rase motte, en pleine séance de pêche. Un des chats de la sorcière était assis dans le sable, à les observer.
– Tu es certain de ne pas vouloir te baigner ?
– J'apporterai mon maillot la prochaine fois, maugréa-t-il.
Dans un ultime sursaut de courage, Gregor voulut attraper la sorcière par l'épaule, mais celle-ci s'éloigna juste avant. Les pommettes du chasseur de prime rosirent. Ce n'était pas vraiment un râteau, mais un peu quand même.
– Comme tu veux. En tous cas, j'aurai bientôt du travail pour toi. Je suis en train d'étudier un rouleau qui est issu d'une instance lointaine. Enfin bref, j'aurais besoin de toi, et de tes talents de voyant. Si tu veux encore travailler pour moi ?
La sorcière se planta devant lui et le regarda dans les yeux. Le ventre de Gregor se noua. Il avait envie de l'embrasser. Il savait qu'elle savait qu'il avait envie. Mais il savait aussi qu'elle se foutait de lui.
Il termina son gin et quitta le petit coin de paradis de Margot.
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Notes de l'auteur :
Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous a plu ! Moi je me suis bien amusé à l'écrire en tous cas. (s'il vous a plu blabla étoiles blabla commentaires). Alors, Gregor a-t-il une chance avec Margot ? Et qui est vraiment Margot, après tout, peut-on faire confiance à une Sorcière ???
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