Chapitre 11 - Zone commerciale

Gregor observait le lieu avec circonspection.

– Vraiment ? Tu as fait exprès ?

– Non promis, j'essayais de penser à rien.

– C'est raté. La prochaine fois, imagine des trucs mignons.

– Quelque chose a bougé derrière nous, les interrompit Yimito, son bâton de combat prêt à servir.

Les lumières vacillantes des néons bleutées peinaient à percer l'obscurité. Les allées désertes résonnaient de l'écho des pas fantomatiques des clients absents. Les rayons débordaient de marchandises périmées. Ils racontaient l'histoire oubliée d'un lieu autrefois vibrant d'activité, aujourd'hui enveloppé du voile de la désolation. La grande surface ressemblait à un décor pour une série postapocalyptique.

– J'ai... j'ai pensé à un lieu que j'aime bien.

– Pas besoin de caddy en tous cas. J'espère que ça nous rapproche de chez nous.

– Lucy, vous seriez bien inspirée de vous reconcentrer sur un lieu précis de votre réalité de départ... Et je persiste, il y a des bruits qui se rapprochent.

Le guerrier extra-terrien se mit en position de défense. Le chasseur de primes avait sorti son pistolet semi-automatique. Entre les deux, Lucy essayait de ne pas réfléchir. Tout lui semblait irréel : le décor, les deux beaux mecs qui la protégeaient, elle et ses soi-disant pouvoirs ! Elle essaya de repenser à un truc sympa de Montpellier. Apparemment, elle avait la capacité de les ramener là-bas...

Plusieurs boites de conserves tombèrent au sol dans le rayon d'à côté. Le bruit de leur chute résonna dans le supermarché abandonné. On entendait des bruits de pas trainants. Des grognements, aussi, aurait juré Gregor. Soudain, il les vit.

– Je ne te condamne en rien, Lucy, mais essaie d'avoir des images positives, s'il te plait.

– Tu m'as dit de penser à ma dernière expérience cool pour imaginer une instance.

– C'est pas super cool, ici...

– Je suis désolée. J'avais passé ma soirée avec Mathilde. On a discuté des mecs et on a maté une série. Excellente soirée.

– Laisse-moi deviner la série...

Une demi-douzaine de zombies se rapprochaient d'eux en chancelant de part et d'autre de l'allée. Des parodies de clients, avec leur sac à main, leur cabas, et les fringues de ménagères. Leurs yeux morts exprimaient l'avidité. Leur bouche grande ouverte ne laissait aucun doute sur leur désir de chair fraiche.

Gregor visa. Il explosa le crâne d'une grosse dame qui s'effondra au sol. Ce fut le départ d'un massacre visqueux et bref. Yimito maniait le bâton avec la rapidité et la précision d'un spécialiste. A chaque impact, le bruit des os qui se brisent se mêlaient à celui, écœurant, de la chair pourrie qui éclate. Gregor visait dans le plus grand calme. Pour l'instant, il ne se passait rien de fâcheux. Il se félicitait que la gamine n'ait pas imaginé des créatures plus rapides.

Lucy fermait les yeux. Elle se sentait stupide et nulle, comme d'habitude. Mais cette fois, à juste titre. Elle avait créé tout ce merdier, et elle ne savait même pas comment !

Il s'agissait de la troisième instance qu'ils traversaient. Aucune n'avait révélé un décor apaisé. Echec sur toute la ligne. Lucy décida de changer de tactique. Elle ne voulait pas imaginer un lieu qu'elle aimait. Elle devait imaginer la réalité à Montpellier. Elle essaya de matérialiser une « faille », comme lui avait expliqué Gregor. Autour d'elle, un immense fracas annonçait l'arrivée d'une créature un peu plus volumineuse que les autres.

Entourés de zombies morts pour de bon, le chasseur de primes enclencha son dernier chargeur. Les étagères s'effondraient à un rythme inquiétant. Quoi que ce soit, ça se rapprochait. Et c'était gros ! Il jeta un coup d'œil à Yimito qui pataugeait dans les viscères des clients zombifiés. Ce dernier eut le même regard déterminé. Ni l'un ni l'autre ne connaissait cette jeune fille, mais ils étaient bien décidés à la ramener chez elle. Dussent-ils y passer pour cela !

Lucy tendit une main vers le liseré électrique d'une nouvelle faille. L'arme toujours au poing, Gregor pénétra sans attendre à l'intérieur, en entrainant avec lui sa jeune protégée. Yimito aperçut une monstruosité faite d'amas de chairs sanguinolentes, qui n'était pas si éloignée des ennemis qu'il avait l'habitude de combattre chez lui. Sans attendre il suivit les deux autres.

L'asphalte scintillait de chaleur. Les quelques voitures immobiles semblaient fondre dans le parking surchauffé. Le silence oppressant était seulement rompu par le chant strident des cigales, créant une ambiance étouffante de solitude et d'abandon. Clignant des yeux pour s'habituer à la luminosité, Gregor observa attentivement la zone commerciale. Tout lui paraissait aussi déprimant et banal : pas de doute, ils étaient revenus sur cette bonne vieille Terre.

– Je crois que tu as réussi, Lucy.

Elle tomba dans ses bras, en relâchant la pression. Ils faisaient peine à voir, tous les trois. Les vêtements déchirés et crasseux, avec des taches de sang et d'immondices diverses. Le chasseur de primes rangea son arme dans son sac à dos et sortit son téléphone. Mais ce dernier était définitivement foutu. A côté de lui, Yimito ne perdait pas un détail de cet étrange royaume à la fois technologique et décrépi. Il ouvrit la bouche mais une langue inconnue sortit de sa bouche. Gregor fit un signe qu'il ne comprenait pas, mais le guerrier ne semblait pas s'en rendre compte.

– Je ne pige rien, Yimito, dit-il enfin.

Le guerrier extra-terrien fit un signe d'incompréhension. Les deux hommes échangèrent des gestes. La communication n'allait pas être simple.

– C'est la merde, dit Gregor à l'attention de Lucy. Il ne peut pas rester ici, il va se faire repérer.

– Attends, on va se mettre à l'ombre. J'ai faim, j'ai soif, je veux me reposer !

Ils se rendirent contre la tôle ondulée du magasin, en profitant de la large bande d'ombre qu'elle procurait.

– Tu as raison, je donnerais cher pour un coca !

– Je sais ou on est, ce n'est pas très loin de chez moi.

– Non !

– Quoi, non ?

– Tu ne peux pas rentrer chez toi, Lucy.

La jeune fille l'observa avec inquiétude. Elle s'était peut-être trompée à son sujet. Derrière son allure cool se cachait un bon psycho, toujours à imposer sa volonté.

– Je ne t'ai pas tout dit. Ici, les sorcières sont pourchassées et tuées. Et même pour les gens comme moi, c'est dangereux.

– Tu plaisantes ?

– Pas du tout. Tes exploits lors de la fête ont dû attirer plusieurs sociétés secrètes dont l'existence est vouée à l'éradication de personnes comme toi. Je suis certain qu'ils sillonnent en ce moment même la ville à ta recherche. Et je suis encore plus certain qu'ils surveillent chez toi et chez tes amis, et tous les endroits où tu vas souvent.

Lucy digéra une nouvelle fois toutes les informations que lui balançait Gregor. Ce mec était un vrai canon, mais il ne fallait pas qu'il ouvre la bouche...

– Et je fais quoi, alors ?

– Tu me suis. Je dois te ramener à ma patronne. Elle saura quoi faire pour toi.

Il se tourna vers Yimito, qui transpirait à gros gouttes.

– Et pour lui aussi, j'imagine.

Lucy n'eut pas le temps de rouspéter. Le chasseur de primes lui demanda son téléphone, seul objet qui ne l'avait pas quitté. Moins de 5%. Il glissa sa propre carte SIM en priant que Fouad réponde à son coup de fil.

– Hey vieux frère, tu étais où ?

– En balade ! Je n'ai pas trop le temps de t'expliquer, mais est-ce que tu pourrais venir nous chercher ? De suite, de préférence.

– Nous ?

– Oui, on est trois. D'ailleurs, si tu as 3 teeshirts de rechange je t'en serais extrêmement reconnaissant.

– Et de l'eau ! murmura Lucy.


Fouad nota l'adresse et raccrocha. Il reposa lentement le téléphone, comme on le lui avait ordonné. Il se tourna vers la montagne de muscle, un Américain qui était tranquillement assis dans son fauteuil, à boire son eau gazeuse comme s'il était son invité. Derrière lui, il sentait la présence de la jeune femme. Une Noire qui avait oublié de sourire. Elle le menaçait avec un énorme couteau militaire et il ne faisait aucun doute qu'elle s'en servirait s'il n'obéissait pas exactement à leurs ordres. Les deux tueurs ne s'étaient pas présentés, mais ils séquestraient Fouad depuis trois heures. De toute évidence, ils travaillaient pour le compte d'une société secrète. Et ils s'intéressaient à Gregor. Pour le malheur de Fouad, il avait été photographié avec le chasseur de primes et était répertorié contact officiel de ce dernier.

– Bien, dit la montagne de muscle, avec un accent américain marqué. Maintenant, vous allez prendre ce que votre ami vous a demandé, et vous allez le rejoindre.

– Ce n'est pas mon ami, dit Fouad. Je le connais à peine.

Le G.I. Joe leva une main large comme un battoir. Il ne lui avait pas donné l'autorisation de se justifier.

– Vous allez rouler doucement. Je dois pouvoir vous suivre. Harris montera avec vous à l'arrière. A la moindre stupidité de votre part, elle vous égorge. Est-ce clair ?

Fouad acquiesça. Très clair en effet. Il se dirigea vers sa chambre à la recherche des 3 teeshirts. Il regarda sa guitare basse, qu'il avait sortie pour le concert de ce soir. Il espérait de tout cœur pouvoir s'y rendre. Mais il ne fallait pas trop y compter. Fouad savait que pour certains, être un Voyant, même peu doué, était suffisant pour se faire tuer.

Il espérait de tout cœur que tout se passerait bien.


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Notes de l'auteur :

C'est compliqué, j'ai successivement l'impression d'aller trop vite, et de ne pas assez "poser" le récit, et parfois l'inverse, de piétiner et de ne pas avancer dans mon histoire. Au final, chaque chapitre fait avancer le récit, j'espère que c'est visible. Et le prochain risque d'être un peu violent, je préviens les âmes sensibles ! :D

En tous cas merci pour les abonnements, les étoiles et les messages !


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