Chapitre 10 - Révélation accélérée
Ce n'était pas son genre mais, enfouie sous la couette, Lucy pleurait. Des sanglots non étouffés. De toute façon, il n'y avait personne pour les entendre.
Elle était enfermée dans cette foutue chambre sans porte. Rien à bouffer. Si elle devait y rester pour l'éternité, elle ne devrait pas avoir faim. Il n'y avait aucune logique. Elle ne supportait pas le silence. Elle se concentrait sur le bruit de la pluie, à l'extérieur. Elle frottait la couette sur elle-même, avide du moindre son. Elle le savait, dans pas longtemps elle se parlerait toute seule, comme les vieux.
Lucy reniflait et s'essuyait la morve sur la housse de couette. Elle se roula en boule lorsqu'elle entendit distinctement le plancher de la chambre grincer. Son ventre se liquéfia sous l'effet de la terreur. Comment avait-elle pu croire qu'elle serait en sécurité ici ? Elle se contracta, prête à recevoir les coups. Recroquevillée sur elle-même, elle murmurait en boucle : « J'en ai rien à foutre, j'en ai rien à foutre ! »
– Eh toi, dans le lit ?
C'était une voix d'homme, inconnue. Plutôt douce, et dénuée d'agressivité.
– Sors la tête de là... qu'on sache si t'es un monstre ou pas...
Lucy repoussa doucement les draps. Une tignasse blonde décolorée emmêlée, avec deux mèches aussi roses que le cartable de Barbie. Elle découvrit deux grands types. Le premier était fringué comme un cosplay de DragonBall, mais sa tunique avait connu des jours meilleurs. Elle était déchirée et tâchée de terre et de sang. Les vestiges de son chignon pendaient lamentablement au-dessus de ses épaules. Asiatique. Plutôt mignon, mais la trentaine. Le second devait en avoir cinq de moins. Encore plus mignon. Un brun mal rasé avec des yeux intenses, et dont les mèches rebelles tombaient sur sa belle bouche charnue. Il portait des vêtements noirs streetwear mais Lucy ne reconnut pas la marque. Ses Converse dégoulinaient sur le plancher.
– Te voilà enfin, dit-il, toujours avec douceur. Reste calme, surtout. Pas de nouvelles catastrophes, s'il te plait. Cela n'a pas été spécialement facile de te retrouver.
Lucy se redressa, intriguée.
– Vous me cherchiez ? Vous me voulez quoi ?
Le type en noir montra ses paumes de main, crasseuses, en signe d'apaisement. Il semblait craindre qu'elle pète encore un plomb.
– Je m'appelle Gregor, et lui c'est Yimito. Nous ne te voulons aucun mal, c'est même plutôt le contraire.
Lucy l'observa avec une moue méprisante, puis elle se rappela de quoi elle avait l'air. Les cheveux en pétard, son maquillage en vrac et de la morve sur la joue, ce n'était pas le moment de faire sa chieuse.
– Ok, vous avez quelque chose à bouffer ? Je crève de faim.
Gregor inspecta dans son sac à dos, persuadé d'avoir pris des barres chocolatées. Il tendit des Snickers à la jeune fille qui se jeta dessus. Il en proposa à Yimito, qui observa la confiserie avec curiosité.
– C'est du chocolat. Cela nous redonnera des forces avant le trajet retour.
L'extra-humain déchira le papier et croqua dans la barre. Il macha lentement.
– C'est très sucré, mais ce n'est pas mauvais. Du chocolat, vous dites ?
Lucy examina le cosplayeur. Il avait perdu la mémoire, le mec ? Gregor comprit sa surprise. La remarque de son compagnon n'avait aucun sens pour la jeune fille, car personne sur terre ignorait l'existence du chocolat ! Yimito devait lui paraître complètement à côté de la plaque, pour ne pas dire plus. Mais la jeune fille allait devoir assimiler pas mal de choses nouvelles...
– Ecoute...
– Lucy.
– ...Lucy, il va falloir que tu ouvres ton esprit car je vais t'expliquer des trucs vraiment, mais vraiment dingues !
La jeune fille s'assit en tailleur sur le lit. Elle avait avalé les deux barres en un temps record. La bretelle de son débardeur était tombée, et elle les toisait dans une pose indécente. Le guerrier extra-humain se dandinait, visiblement gêné par le manque de pudeur de la jeune fille.
– Du genre ?
– Du genre, nous ne sommes actuellement plus sur Terre. Du genre, Yimito ici présent est originaire d'un monde lointain. Du genre, c'est toi qui a créé ces portails magiques puis les réalités dans lesquelles on a failli mourir.
– De quoi ?! Je n'ai rien fait du tout ! C'est de la merde, ce que tu dis...
– Ah, et qu'est-ce qui te fait dire ça ?
– Tu délires grave, mec. Des portails magiques...
– Mais comment tu expliques tout ce qui t'es arrivé, et ce que tu fous ici ?
– Le mec là, pourquoi il parle français, comme nous ? S'il est pas humain, c'est pas logique.
Le chasseur de primes secoua la tête avec admiration. Elle n'était pas sotte, la gamine. Pas forcément bien éduquée, mais loin d'être stupide.
– Tu as raison, ce n'est pas logique. D'abord, il est bien humain, j'ai juste dit qu'il n'était pas Terrien, nuance. Ensuite, nous sommes dans des instances simples, figées. Elles obéissent aux règles très précises de leur créatrice, qui a inventé ces réalités closes avec la seule langue naturelle qui lui est passé par la tête. Le Français, donc.
Elle lui fit un geste, et Gregor lui tendit sa dernière barre chocolatée. Elle l'engouffra en quelques secondes.
– Une instance, c'est quoi ?
– L'espace créé par magie dans lequel on est actuellement, et tous ceux que tu as traversés depuis que tu as quitté la maison à Montpellier.
– Et la créatrice de tout ce bordel, c'est moi, c'est ça ?
– Oui... se contenta de répondre Gregor en souriant, amer. Il voyait bien que la jeune fille avait du mal à le croire. Et il ne pouvait pas la blâmer.
– C'est débile... Je suis incapable de tous les trucs dont tu as parlé. Tu es en plein délire.
– C'est difficile à imaginer, je sais. Mais la situation est folle, et nous sommes bien tous les trois dans cette chambre impossible, non ?
– Oui... admit Lucy.
– Il faut bien une explication, aussi... débile soit-elle ! Et moi je t'en fournis une.
– Mais n'importe quoi !
Ce fut au tour de Lucy d'avoir un rire amer.
– Je veux dire, des portails magiques ?!
Yimito se racla la gorge, désirant intervenir.
– Si je peux me permettre, je ne sais même pas ce que « français » signifie. J'exprime ma pensée par les seuls outils dont je dispose ici, la langue qui régit ici. Gregor a raison, mademoiselle, nous sommes dans une instance simple, aux règles fixes.
Lucy s'apprêtait à rétorquer une de ses répliques cinglantes mais Gregor leva la main pour l'interrompre. Il ne la connaissait pas, mais il s'autorisait à deviner qui elle était. Elle avait des bleus sur ses bras menus, un bel hématome qui courait de sa tempe jusqu'à son menton, et le regard dur d'une adolescente qui avait vécu pas mal de choses difficiles.
– Attends ! Il y a tellement de choses que tu ignores, que même si je passais toute une nuit à t'expliquer, je n'aurais pas encore terminé. Et en plus, j'ai une amie qui fera ça bien mieux que moi. Donc, je vais te faire un gros raccourci.
– Fais comme tu veux, tant qu'on se barre d'ici.
Yimito se rapprocha d'une des fenêtres.
– Il faut se hâter. Cette instance n'est pas plus stable que les précédentes.
Gregor prit une inspiration pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Aller à l'essentiel, pas de détails. Il s'assit sur le bord du lit, à quelques centimètres de la jeune fille. Celle-ci eut un mouvement de recul, réflexe incontrôlé pour parer à une agression. Gregor l'observa en essayant de cacher le sentiment de pitié qu'il ressentait pour elle.
– Je ne porterai jamais la main sur toi, Lucy. Jamais. Et personne ne le fera en ma présence.
Comme la jeune fille ne répondait pas, il continua.
– Ok... Je te préviens, ça va te paraître dément. Ok... La magie existe. Les sorciers sur Terre se cachent, et ils sont capables de créer des failles. Mieux encore, ils créent derrière ces failles invisibles au commun des mortels ce qu'on appelle des instances, des réalités hors de notre espace et pour certaines hors de notre temps. Il existe des instances plus ou moins complexes, selon la puissance du sorcier qui les a tissées. Il y a des instances qui sont aussi vastes et complexes que notre planète, et d'autres qui ne sont que de simples coffres-forts. Toi, tu viens de révéler tes talents de sorcière. A priori, tu assures comme une malade même si tu ne maitrises rien...
– Quoi ? le coupa Lucy. Moi, je suis une sorcière ? N'importe quoi !
– Alors explique moi ce que nous faisons ici, dans cette chambre au milieu de rien. Et tu m'expliqueras aussi le monstre aux bras griffus de l'autre instance, qui ressemble à ton père ?
Lucy ouvrit la bouche pour répliquer qu'il n'était que son beau-père, mais Yimito fut plus rapide qu'elle.
– Veuillez excuser mon interruption, mais il semblerait que le processus de désagrégation de l'instance s'accélère. Il serait judicieux que nous quittions les lieux au plus vite.
Gregor se rapprocha encore un peu plus de Lucy et planta son regard dans le sien.
– Tu as créé cette chambre, maintenant tu dois créer une faille. Pense à Montpellier, pense à chez toi, ça nous rapprochera peut-être ?
– Tu délires, je sais pas de quoi tu parles !
Le chasseur de prime posa ses mains sur les épaules de la jeune fille. Celle-ci se contracta, instantanément sur la défensive. Gregor la lâcha aussitôt. Il murmura d'une voix douce.
– Ferme les yeux. Concentre-toi sur ton ressenti. Je ne veux pas te mettre la pression, mais si tu ne créés pas de suite une nouvelle instance, on va y passer. Tu en es capable, Lucy. Tu l'as déjà fait. Tu étais en état de choc. Tu peux le refaire sans passer par la crise que tu as vécue. Concentre-toi.
– Mais... je fais comment ?
– Je ne suis pas sorcier, Lucy. Je n'en sais rien.
– Mais moi non plus !
– Essaye quand même ! Pour me faire plaisir !
Le guerrier extra-humain prit la parole. Les yeux fermés, la jeune fille se concentra sur sa voix.
– Vous avez déjà puisé dans votre peur, dans votre colère pour ouvrir les mondes. Pensez à toutes les souffrances qui ont fait de vous la jeune femme forte que vous êtes. Pensez à toutes les épreuves, à toutes les blessures. A tous ceux qui vous ont fait du mal. Soyez en colère, Lucy. Vous avez le droit ! Vous ne méritez pas tout le malheur qui s'est abattu sur vous. Ne restez pas une victime sans rébellion !
Les lèvres serrées sous l'effet de la concentration, grimaçante tellement elle fermait les yeux, Lucy écoutait la voix monocorde du cosplayeur. Il avait raison. Elle en prenait plein la gueule depuis toujours. Tellement plein la gueule ! Alors qu'elle n'emmerdait jamais personne... Et son beau-père, le premier d'entre tous, avec son mépris, et ses coups. Et tous les autres, et Ewan, pas mieux... Toujours à se servir d'elle, à se foutre de sa gueule, à lui faire du mal... Il avait raison, le Sangoku de l'espace. Jusqu'ici, elle avait été trop conne. La victime gentille... Mais c'était fini, tout ça ! Elle allait tout péter !
Gregor observait le visage de la jeune fille se tordre sous l'effet de la colère. Pendue aux lèvres de Yimito qui ne cessait de parler, elle bouillait d'une rage de plus en plus envahissante. D'imperceptibles déflagrations d'énergie magique pure grésillaient autour d'elle. Une boule intense de magie était en train de se former. Gregor n'était pas persuadé que provoquer la gamine était le choix le plus sécuritaire, mais au moins, il se passait quelque chose.
Nouvelle instance, ou explosion mortelle, ils allaient vite être fixés.
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Notes de l'auteur :
Pauvre Lucy, cela fait beaucoup à assimiler en très peu de temps... mais dans son malheur, elle a trouvé les bonnes personnes pour la soutenir. Et elle ignore encore la dangerosité de sa situation !
L'histoire suit son cours. J'espère que ça continue de vous plaire. Moi en tous cas, j'aime bien l'écrire. Pensez à me mettre des petites étoiles et des commentaires, j'y peux rien, mais j'aime ça :D
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