Inspiration foudroyante, round 2

C'est fou ce que certains personnage peuvent être envahissant quand ils veulent ! Bon je devais profiter des derniers jours de vacances pour avancer sur les Chroniques, mais au lieu de ça Illiana est de retour ... Alors voilà !



C'est une présence dans la pièce qui lui fait reprendre conscience. Illiana entrouvre les paupières pour observer l'intrus. Un garçon d'une douzaine d'années, au teint hâlé et aux cheveux roux ébouriffés, pose sur elle un regard bleu intrigué voir légèrement effrayé. Elle note qu'il porte un collier semblable au sien, il partage donc son statut d'esclave. Une boule de colère et de révolte gonfle dans la poitrine de l'elfe. Comment peut-on faire subir ce sort à un enfant aussi jeune ?

Le jeune garçon hésite puis la prend à l'épaule pour la secouer mettant fin à sa réflexion.

- Hé, chuchote-t-il, il faut que tu te réveilles.

Illiana ouvre les yeux et plante son regard dans le sien. Il a un mouvement de recul avant de dire précipitamment :

- Je t'ai apporté de quoi manger...

Il désigne un plateau posé à côté de la paillasse sur laquelle elle se repose.

- Merci, articule-t-elle.

Il hoche la tête et sort rapidement. L'elfe se redresse et grimace. Tous les muscles de son corps sont douloureux et courbaturés. Elle jette un coup d'œil par l'étroite et unique fenêtre de la pièce. À la hauteur du soleil dans le ciel, elle estime l'heure aux environs de midi. Un grognement de son estomac la décide à s'intéresser au contenu du plateau. Une portion de bouillie de céréales, probablement de l'avoine, et quelques pois, le tout accompagné d'une petite cruche d'eau. Un vrai festin comparé au reste de pain sec des cachots ! Elle engloutit son repas tout en se remémorant les évènements de la veille.

Graham s'était révélé être le contremaître en chef. Il avait la quarantaine, une carrure massive, le teint buriné et les cheveux et la barbe grisonnants. Le fouet à sa ceinture avait fait frissonner l'elfe. Son regard noir et perçant avait détaillé Illiana des pieds à la tête quand Oriane l'avait déposée devant lui.

- Qu'est ce que tu m'amènes là ? avait-t-il bougonné.

Il s'était légèrement radouci en entendant les explications de la femme soldat. Il l'avait nourrie puis conduite jusqu'ici, sous les toits. Sans être tendre, il ne l'avait pas brusquée et cela l'avait agréablement surprise. Le seul ordre qu'il lui avait donné était de ne pas tenter de sortir d'ici sans autorisation. Néanmoins, elle s'était promis de ne pas se laisser convaincre facilement.

Son repas avalé, elle se lève et s'étire. Sa chambre est froide et nue, hormis sa paillasse, sa couverture et quelques planches clouée aux murs de pierre grise. Avide, elle se dirige vers la fenêtre. Même avec sa grande taille, elle doit se hausser sur la pointe des pieds pour réussir à entrevoir autre chose que le bleu du ciel. Mais elle n'arrive à distinguer qu'un flanc de montagne rocailleux, et les larmes lui montent aux yeux. Elle n'a pas été en contact avec la nature depuis son arrivée et ce manque lui pèse. Mais impossible de sortir de la forteresse, sa geôlière lui a assuré.

Se rappelant brutalement sa situation, elle se laisse glisser au sol. Esclave dans une forteresse d'humains, un rôle qu'elle n'a aucune envie de jouer. Pas alors que ses frères et sœurs d'armes sont tombés au combat, qu'elle ne sait pas si ses parents sont encore en vie... et qu'elle les a vendus. Elle n'a pas résisté longtemps à la torture, peut-être trois ou quatre jours, une avance insignifiante pour un convoi de civils face à un groupe armé...

Illiana secoue la tête et serre les poings, mais rien n'y fait. Les larmes coulent le long de ses joues sans qu'elle puisse les en empêcher. Elle a besoin d'évacuer ce trop-plein d'émotions. Elle a besoin de retrouver un contact physique avec un autre être vivant qui ne soit pas agressif. Pourtant, elle sait pertinemment que ça n'arrivera pas.

Elle pleure de longues minutes en silence, recroquevillée sur elle-même, perdue dans le noir de son désespoir. Et puis le noir s'éclaircit, devient rouge. Rouge de rage et de colère. Elle trouvera un moyen de leur faire payer, tous autant qu'ils sont, la magicienne en premier. Ses sanglots finissent par se tarir et elle reprend peu à peu sa respiration. Sa peine est toujours présente, néanmoins elle ne lui déchire plus le cœur, étouffée par la révolte. Elle ne doit rien laisser paraître cependant, car au premier signe d'agressivité, ils la puniront. Le menton posé sur les genoux et les bras enroulés autour de ses jambes, elle s'oblige au calme, elle attend. Quoi ? Elle ne sait pas, mais elle n'a rien d'autre à faire.

La porte s'ouvre en grinçant et elle se redresse. Graham se tient devant elle.

- Debout et suis-moi, lui ordonne-t-il.

Elle se redresse en silence et lui emboîte le pas. Ils empruntent l'étroit escalier de la veille. L'elfe retient une grimace de douleur, tous ses muscles protestent face à ce traitement, d'autant que l'atmosphère est glacée. Ils descendent jusqu'en bas et le contremaître l'entraîne jusqu'à une grande pièce pleine de lumière, de chaleur et de monde. Ça court, ça s'agite en tous sens. Une pile de vêtement par ci, des draps étendus par là, ils sont visiblement dans la lingerie.

- Lydia ! gueule le contremaître à travers la pièce.

- Pas la peine de crier comme ça, je ne suis pas encore sourde ! s'exclame une petite femme âgé aux cheveux blancs en surgissant de derrière une rangée de draps. Qu'est ce que tu veux, Graham ?

- Trouve-moi des vêtements corrects pour elle, bougonne l'homme en désignant Illiana du menton. Au moins un autre ensemble, qu'elle ait quelque chose à se mettre sur le dos. Et trouve lui quelque chose à faire.

- Demandé si gentiment, je ne peux que m'exécuter avec diligence, ironise Lydia.

Graham marmonne une vague excuse dans sa barbe avant de sortir d'un pas vif. La lavandière détaille avec attention l'elfe qui l'observe à la dérobé.

- Aller viens, on va te trouver quelque chose d'un peu plus chaud que ça, lui lance-t-elle d'un ton enjoué.

Illiana suit la maîtresse des lieux qui se déplace en trottinant entre les obstacles avec une aisance née d'une longue habitude. Celle-ci l'emmène jusqu'à un coin où attendent plusieurs corbeilles de linge propre.

- Alors... Voyons voir...

Lydia réfléchit à voix haute tout en fouillant dans la masse.

- Essaye donc ça ! dit-elle en lui tendant soudain un tas de vêtements.

L'elfe réceptionne le paquet et ne peut empêcher un soupir de franchir ses lèvres quand elle déplie le tissu. Une robe. Et une sorte de tunique. Ils veulent lui faire mettre des robes... Elle déteste mettre des robes ! Constatant le regard de la lavandière posé sur elle, l'elfe comprend soudain qu'elle attend qu'elle se décide à enfiler la tenue, ici, en public.

- Allons je ne vais pas te manger ! Mais il faut que je voie si elle est à ta taille ! L'encourage la femme.

Comme pour se rappeler à elle, le collier lui envoie une décharge mentale. Illiana ravale donc sa fierté et se déshabille lentement.

- Eh bien, tu n'as que la peau sur les os, toi ! s'étonne la femme en la détaillant.

L'elfe détourne la tête, elle ne veut pas de la compassion qu'elle lit dans ses yeux. Elle n'a jamais eu beaucoup de formes, et sa captivité ne lui en a rien laissé. Ses côtes se dénombrent sans peine et ses membres sont amaigris, privés de muscles. Honteuse, elle se dépêche donc d'enfiler la tunique longue puis la robe grise en laine qui lui tombe jusqu'au chevilles. Trop larges, les vêtements baillent légèrement sur les côtés mais Lydia assure qu'une fois "remplumée", elle les remplira.

Dans la demi-heure suivante, elle se voit donc attribués deux paires de bas en laine, un autre ensemble identique au premier et une paire de botte en cuir usée. Un bref aller-retour pour aller déposer ses vêtements dans sa chambre et la voilà plantée devant Lydia, essayant de retenir toutes les informations que la petite femme débite tout en patrouillant dans la lingerie et en motivant ses subalternes. La lessive le sixième jour de la semaine, la cloche qui sonne les repas et les pauses, les tâches qui pourraient lui être confiées... Son interlocutrice a rapidement compris d'où elle vient, et commente à ce sujet :

- Dame Gwendoline était tellement en colère que toute la forteresse l'a entendu hurler après le capitaine Raquin. Cet imbécile a cru pouvoir lui cacher ton existence, il l'a payé cher. Sa carrière militaire est fichue maintenant qu'il est parti chasser le gobelin dans les Marches. M'enfin tu t'en moques éperdument je suppose. Bien, il est temps de se mettre au travail ! enchaine-t-elle. Camille ?

- Oui, maîtresse ? répond une petite brune d'une vingtaine d'années, un collier autour du cou et une corbeille pleine dans les bras.

- Emmène Illiana avec toi, à deux vous irez plus vite.

- Bien, maîtresse.

La jeune femme s'approche et lui colle son fardeau dans les bras. L'elfe est surprise par le poids du panier à linge mais ne dit rien. L'esclave s'empare d'une deuxième charge probablement aussi lourde et se dirige vers la sortie. Illiana lui emboîte le pas avec un temps de retard et fait un effort pour la rattraper.

- Alors, c'est toi que Dame Gwendoline a sorti des oubliettes hier ? Demande-t-elle.

Surprise par la question directe, son interlocutrice trébuche avant de lui jeter un regard incertain et de hocher la tête.

- Pas très causante hein ? Bah, c'est pas grave maîtresse Lydia dit souvent que je parle pour deux ! En tout cas, je suis bien contente que cette bande de pervers ait quitté les lieux, ils nous causaient des ennuis à nous aussi, tu sais ? En plus ils entrainaient les autres à adopter le même comportement. Heureusement que Dame Gwendoline est arrivée ! Elle a remis tout le monde au pas en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! C'est vraiment une femme exceptionnelle ! Elle est tellement jolie ! Et généreuse avec ça !

Cette avalanche de compliments tire une grimace à Illiana tandis qu'elles sortent dans la haute cour. Pour elle, la Dame du Fort reste une traîtresse malgré tous les éloges qu'elle entend à son sujet. Le vent qui souffle à l'extérieur chasse bien vite ses idées noires. L'elfe respire à pleins poumons l'air frais qui joue dans les mèches échappées de sa queue de cheval. La souffrance qu'elle ressent dans son cœur diminue un peu, même si elle voudrait être en contact avec quelque chose de plus palpable que le vent.

- Hé ! qu'est ce que tu fais ? Dépêche-toi ! s'écrie Camille.

L'elfe ne s'est pas aperçue qu'elle est immobile au milieu de la cour. Elle baisse les yeux pour échapper aux regards curieux et rejoint la jeune femme qui l'attend.

- Vous êtes une race curieuse, vous les elfes, quand même, ronchonne sa guide en se dirigeant vers une dépendance.

Illiana lui jette un regard en coin mais ne répond pas. Elle ne peut pas comprendre, c'est une humaine.

La dépendance se révèle être un baraquement pour les officiers de l'armée. Les deux femmes passent l'heure suivante à défaire les draps sales et en remettre des propres. Une tâche qui n'arrange pas les courbatures d'Illiana, qui serre les dents pour ne pas se plaindre. Camille, en incorrigible bavarde, l'inonde sous un flots de paroles presque continu. Des rumeurs inintéressantes pour la plupart, néanmoins l'elfe relève quelques informations utiles, comme le fait que la Dame aime se promener en pleine nature, et qu'elle ne part jamais sans être accompagnée.

Sur le chemin du retour, Illiana lève les yeux pour observer le rustique bâtiment qui l'abrite. Ce faisant, elle croise le regard ambré de Gwendoline de Rimath qui l'observe depuis une fenêtre. Un regard perçant qui semble deviner les secrets de son esprit, la colère qu'elle entretient à son égard. L'elfe brise le contact visuel. Elle n'a pas le droit de la regarder ainsi, le collier le lui fait savoir. De plus, elle ne veut pas que la magicienne puisse lire ses pensées.

L'après-midi s'écoule rapidement. Illiana reste à la lingerie, à laver et étendre des draps. Elle écoute beaucoup et parle peu, malgré les efforts des autres esclaves pour la mêler à la conversation. Au moment du dîner, on l'envoie donner un coup de main au cuisine. Le bruit, la chaleur et le monde, encore pires que là d'où elle vient, déplaisent aussitôt à l'elfe. Le collier l'empêche de faire demi-tour et elle se retrouve rapidement à remuer une soupe dans un immense chaudron. Les odeurs de viande lui donnent des hauts-le-cœur. Elle ne comprend pas comment les humains peuvent considérer cela comme une preuve de richesse. Il n'y a rien de noble à consommer la chair d'autre êtres vivants...

Après le dîner vient la vaisselle, puis enfin le temps pour les esclaves de se restaurer. Illiana se jette sur son bol de soupe épaissie de mie de pain bis. À son grand étonnement, les esclaves semblent plutôt détendus et plaisantent entre eux. Illiana décide de ne pas s'attarder et monte directement se coucher.

Allongée dans le noir, l'elfe réfléchit à sa journée. Elle s'attendait à des moqueries et une forme de rejet à son égard, quelque chose qui renforcerait sa colère et sa détermination, mais rien ne s'est produit. Difficile d'haïr des gens qui ne vous ont rien fait. Elle est également surprise de voir que les esclaves sont relativement bien traités. À peine cette pensée formulée, elle se morigène intérieurement. Une journée n'est pas une preuve suffisante. Elle doit absolument rester méfiante et surtout reprendre des forces. Mais pour cela, il faudrait qu'elle puisse avoir accès à l'extérieur. La prisonnière finit par s'endormir, méditant sur cette première étape de sa stratégie.

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