𝟑𝟔 : Long Flight

Seungmin
— Mais putain, c'est quoi ça ? Pourquoi quand j'entre dans les toilettes publiques de l'hôpital, il y a deux de mes amis censés être en froids en train de se rouler une pelle ?!

En distinguant leurs épaules zinzolines, je renchéris aussitôt :

— Même plus, apparemment...

Chan et Jeongin avaient tous les deux un souffle haché, leurs chevelures étaient en bataille, emmêlées dans tous les sens, leurs lèvres gonflées et rougies. Ils scrutaient leurs chaussures, un air honteux peint sur leurs visages qui suaient abondamment.

Je poussai un soupir, un tourbillon de confusion m'envahit. J'hésitais à trouver cette situation comique, absurde ou complètement embarrassante.

— Seung, ce n'est pas ce que...

— N'essaie même pas de chercher une excuse, Chan, le réprimandai-je sévèrement. Il faut que j'y aille, mais vous avez intérêt à m'expliquer ce bordel. Jeongin, tu viens avec moi, et tout de suite.

Je leur décochai un regard aigu et ressortis des toilettes, talonné par le Maknae.

— Nan mais sérieux ! lâchai-je une fois que nous nous fûmes éloignés. Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Je croyais que tu le voyais uniquement comme un ami !

— C'est le cas.

— Ah ouais ? Alors comment t'expliques ce qui vient de se passer ?

— C'était juste... un accident.

— Vous avez failli coucher ensemble dans ces toilettes, merde Jeongin !

Le noiraud me dévisagea d'un air gêné et légèrement hagard.

— Rends-toi à l'évidence, lui dis-je doucement. Tu aimes Chris.

— J-Je... je ne suis pas gay...

— Mais qu'est-ce que t'en as à foutre, sérieux !

— C'est toi qui me dis ça ? Toi, qui as rejeté Hyunjin ?

Je me figeai, submergé par une vague de culpabilité. J'avais tellement été scandalisé par le comportement de Jeongin que je n'avais même pas songé à ma propre situation, pourtant similaire à la sienne.

— Tu me fais la morale, mais en réalité, t'es pire que moi, cracha le Maknae. C'est à cause de ta réaction excessive que Hyunjin a fait une tentative de suicide ! Mais merde, occupe-toi de tes propres problèmes sentimentaux au lieu de t'immiscer dans les miens !

Je me sentais terriblement blessé dans mon amour-propre. J'aurais voulu m'insurger, mais en vérité, je savais que Jeongin avait raison, comme toujours.

Il était informé de tout ce qui se passait autour de lui avant même que la personne concernée ne soit au courant, mais personne ne s'en inquiétait, simplement parce qu'il était adorable. Sa maturité et son sang-froid étaient impressionnants, il savait gérer toutes sortes de situations compliquées en ayant des réflexions avisées. Même si le noiraud n'avait pas su deviner ce que Chris ressentait pour lui, il l'avait découvert de lui-même. Moi, par exemple, cela faisait quatre années que je côtoyais Hyunjin, et je n'avais même pas été fichu de trouver quelle était la raison pour laquelle il s'isolait parfois.

Je me sentais mal, j'avais tellement honte de moi. Si j'avais embrassé mon Hyung, c'était parce que son apparence féminine m'avait ouvert les yeux, pas parce qu'elle m'avait séduite. Non, j'avais eu tort sur toute la ligne. Je l'avais toujours considéré en tant que meilleur ami, sans jamais avoir envisagé un seul instant que l'on pourrait peut-être avoir une relation plus que simplement amical.

Lorsque nous nous étions embrassés ce matin même, j'avais été perturbé par Hyunjin parce que je l'avais vu d'une façon que je n'aurais jamais imaginée. Et au fond de moi, cela avait été le déclic. Purement et simplement, cela m'avait fait comprendre ce que je ressentais réellement pour mon meilleur ami.

Jusqu'à maintenant, j'avais cru que j'étais tombé amoureux de son apparence féminine. Mais j'avais enfin compris.

J'étais amoureux de la personne qu'était Hyunjin, et non pas de son physique, quel qu'il soit.

J'étais infiniment stupide. Si j'avais eu ce raisonnement déjà ce matin, mon meilleur ami ne serait pas présentement en danger de mort.

— Désolé, s'excusa Jeongin. Mais je veux juste que tu te rendes compte de tes propres erreurs avant de me reprocher les miennes.

— Ne t'en fais pas, c'est entièrement de ma faute... j'aurais dû y réfléchir avant.

— On est arrivés. Je crois que tu peux entrer, le médecin n'a pas l'air d'être dans les parages. J'y vais, je retourne voir Chan pour qu'on s'explique. Tâche de ne pas tout foutre en l'air avec Hyunjin.

J'acquiesçai et le regardai tourner les talons. J'avais l'impression d'avoir fait un voyage dans le temps, et que j'étais à nouveau ce garçon de treize ans qui s'était cassé un bras lors de l'une de ses nombreuses escapades. Mine de rien, c'était aussi le meilleur moment de ma vie, puisque j'avais rencontré Hyunjin. Je m'étais profondément entiché de lui.

J'exerçai une petite pression sur la poignée avec appréhension, ne sachant pas vraiment à quoi m'attendre. Mais la porte refusa de s'ouvrir. Pourquoi était-elle fermée ? Jeongin s'était-il trompé ?

Je repartis en direction de la réception, armé de la ferme attention de mettre les choses au clair avec mon meilleur ami.

Je m'attardai devant une fenêtre, et je vis au-dehors le jardin de l'hôpital, synonyme de tant de souvenirs qui me parurent lointains. J'aperçus le fameux banc sur lequel Hyunjin avait été assis, il y avait de cela quatre ans.

Oh mais...

Je courus jusqu'à la sortie, m'attirant au passage quelques regards réprobateurs, et m'engageai sur le sentier menant au jardin.

Je pris place aux côtés de la damoiselle habillée de la robe d'hôpital. Sa tête reposait contre le dossier du banc, ses paupières étaient closes, ses pommettes humides.

— Hyunjin, l'appelai-je doucement.

— Pourquoi... pourquoi je ne suis pas mort ? sanglota celui-ci.

Sa question m'ébranla.

— Pourquoi tu devrais mourir ?

— Je suis si fatigué Seung, t'imagines même pas à quel point ce que je vis est éreintant. J'ai essayé de me tuer en contrôlant mon don, et j'ai failli réussir, tu sais. Sauf que... Jeongin m'a trouvé et a appelé les secours. Il a compris qui j'étais. C'est qu'il est vraiment perspicace, le petit.

— Ouais. Beaucoup trop, ça m'effraie parfois.

— Il aurait dû me laisser disparaître. Ça aurait arrangé tout le monde.

— Tu racontes n'importe quoi, Hyunjin ! protestai-je vivement. Tu es mon meilleur ami, enfin peut-être plus, alors n'ose pas dire que la mort t'aurait été plus favorable !

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il avait toujours les yeux fermés.

— Regarde-moi.

Il obtempéra et entreprit de s'asseoir, grimaçant légèrement dû à la douleur. Ses prunelles étaient ternes, larmoyantes, l'éternel éclat de joie qu'on pouvait autrefois y discerner s'était totalement estompé pour laisser place à un vide vertigineux qui me donna la chair de poule.

Hyunjin était brisé.

Et j'étais en partie fautif de son état actuel.

— Hyung, à propos de ce matin...

— Seungmin, j'ai compris, oublions ça.

— Non, je veux dire... je suis désolé d'avoir réagi comme ça...

— Pas besoin, je comprends. Tu croyais embrasser une femme, pas... moi.

Son ton amer était affreusement résigné, empreinte de morosité. Sa voix féminine était cassée et éraillée, il me faisait cruellement de la peine.

— Si, au contraire, le contestai-je. Je viens de comprendre que ça ne changeait rien.

— Laisse-moi rire.

— Écoute-moi. Je ne suis pas totalement certain de ce que je ressens, mais je veux essayer quelque chose avec le vrai toi. Parce que cette apparence de femme n'est pas la tienne.

— Ne dis pas n'importe quoi, grommela mon vis-à-vis.

Sa voix était faible, m'inquiétant quelque peu. Une pensée alarmante m'effleura alors.

— Hyunjin, est-ce que...

— Hmm. Je suis sorti sans permission.

— Mais quoi ?! m'écriai-je. T'es complètement con ! Viens, je te ramène à ta chambre.

— Non.

— Hyunjin...

— Laisse-moi mourir sur ce banc.

— Pas question ! Tu comptes pour moi, tu comprends ça, Hyung ? Je tiens à toi, alors maintenant tu vas me faire le plaisir de retourner à ta chambre et d'arrêter de parler de ta mort !

Il s'esclaffa d'un léger rire guttural, et s'exécuta. Il se leva, tremblotant, et se dirigea vers l'entrée sur ses jambes chancelantes. Je m'empressai de lui venir en aide, croisant son regard atone l'espace de quelques secondes.

Les lèvres de Hyunjin s'étirèrent pour former un sourire tendre.

— T'as pas changé, constata-t-il. Malgré ces années, tu restes le même, toujours là pour aider les autres.

J'arquai les sourcils devant son expression candide.

— Seungmin... merci de m'avoir pris sous ton aile.

— Bien sûr, Hyung. Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée, sache-le.

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