𝟑𝟒 : Sorry
Troisième personne
Changbin pénétra dans la chambre d'hôpital le cœur lourd de remords. Il y avait deux lits, mais un seul était occupé. Occupé par un adolescent à la chevelure éparse châtain, les paupières closes.
Le bip régulier de la machine à ses côtés rendit le noiraud nerveux. Il voulait s'approcher, mais il était paralysé sur place, ses jambes lui semblaient s'être transformées en plomb. Voir celui qu'il aimait mal en point le dévastait, il craignait de craquer.
Il finit par s'avancer lentement et par s'installer au chevet de Felix. Son corps était recouvert par une épaisse couverture blanche, mais Changbin pouvait aisément deviner les dégâts, les marques. Ses bras étaient bandés, de même pour la partie tuméfiée de son visage.
Le noiraud s'en voulait énormément, c'était pire que la première fois. Le souffle du châtain était profond et lent, il craignait qu'il ne reprenne jamais d'inspiration.
L'aîné saisit délicatement une des petites mains de l'Australien dans la sienne et la caressa doucement. Le contact de sa peau chaude le réconforta aussitôt.
Son esprit se mit à vagabonder. Il songea à chacun des moments qu'il avait passé en présence du châtain, et un sourire béat fleurit sur ses lèvres à ces souvenirs.
Il pensa soudainement à l'enregistrement. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas écouté, il avait beaucoup trop été obnubilé par Felix pour y songer. Il n'avait pas vraiment cherché à trouver à qui appartenait la voix, mais il ne comptait désormais plus dénicher ce garçon.
Changbin n'avait d'yeux que pour l'adolescent au visage piqueté de milliers de taches d'or allongé à ses côtés. Il désirait intensément revoir ses prunelles sombres, son sourire maussade, il souhaitait qu'il lui donne un quelconque signe de vie. Mais Felix semblait plongé dans un sommeil paisible, profondément ancré dans le royaume des rêves.
La pièce était baignée d'un silence uniquement troublé par les bruits récurrents de la machine, et cela angoissait le noiraud. De son pouce, il se mit à tracer de petits cercles sur la peau douce du blessé. Cela le réconforta de se sentir proche de celui qu'il aimait.
Il voulait simplement pouvoir s'excuser auprès du châtain, mais Changbin n'osait pas essayer de le réveiller. Felix semblait si bien ainsi, les traits délicats de son visage étaient pour la première fois détendus, les commissures de sa bouche s'étiraient en un faible sourire tranquille. Il était loin de tous ses problèmes, loin de la souffrance morale et physique qu'il subissait sans relâche depuis des années.
Mais le noiraud avait ce désir égoïste implanté dans sa poitrine en un doux sentiment ravageur. Il était amoureux. C'était une sensation plus que délicieuse, mais il en ressentait les effets néfastes, étant affligé à la seule idée de perdre le châtain.
Changbin savait désormais qu'il ne pouvait pas vivre sans Felix. Toute cette passion éthérée qu'il ressentait à l'égard de celui-ci devenait corrosive, se transformant lentement en un poison mortel.
Il avait besoin de lui.
Des larmes plus caustiques que l'acide glissaient sur ses joues et s'échouaient sur sa main qui se cramponnait à celle du châtain dans un geste de pure détresse, comme si elle risquait à tout moment de se volatiliser. Changbin s'attachait à un espoir qui lui semblait vain mais qui semait en lui une vague de conviction profonde qui le poussait à scruter le châtain avec attention.
Felix s'agita légèrement dans ses couvertures, et le plus âgé exerça une pression plus forte sur son bras. Le blessé laissa échapper une plainte quasiment imperceptible et serra doucement les doigts du noiraud des siens, avant de finalement ouvrir les yeux.
Il battit plusieurs fois des paupières, le temps que ses pupilles s'amenuisent et s'habituent à la luminosité ambiante. D'un air hagard, il fouilla la pièce du regard, et finit par le poser sur le noiraud à ses côtés. Il ne sembla pas le reconnaître.
— Felix... comment tu te sens ? s'enquit doucement Changbin, craignant de le brusquer.
L'invalide peinait à se reconnecter à la réalité. Puis d'un seul coup, tout lui revint en une onde de choc qui le frappa de plein fouet. Sonné, il tendit une main tremblante en direction du verre d'eau posé sur la table de chevet, et son compagnon s'empressa de l'aider à boire.
Ils restèrent un instant silencieux, à s'observer mutuellement. Un léger voile rosé avait recouvert les joues du châtain devant le regard empli de tendresse dont le couvait le noiraud.
Mais ce dernier devait faire comprendre à son vis-à-vis qu'il avait été terriblement inquiet. Alors les mots fusèrent finalement de sa bouche en s'enchevêtrant.
— Lix, comment t'as pu me faire un coup pareil ? Partir sans avertissements en me laissant une lettre douloureuse ? Comment t'as pu croire un seul instant que je pouvais t'oublier ?! Je t'aime à la folie, Felix, et rien ni personne ne pourrait atténuer ce que je ressens pour toi ! T'as vu dans quel état tu...
— Je suis désolé, Binnie.
Le regard du noiraud fureta aux alentours, mais il ne vit personne. Il le reposa alors sur le blessé qui lui adressa un sourire triste.
Changbin ouvrit la bouche avec ahurissement. Il n'en revenait tout simplement pas, Felix venait-il réellement de parler ?
— Je... Je n'ai jamais été aphone.
Le plus âgé était totalement estomaqué. Entendre cette voix familière jaillir de la bouche de l'Australien semblait être complètement improbable. Non, c'était impossible. Surtout que cette voix rauque, il l'avait déjà entendue pour y être complètement accro. C'était la même que celle de l'enregistrement, la même qui le rendait complètement dingue, la même qu'il avait écoutée incessamment pendant plusieurs semaines.
Et cette voix avait depuis tout ce temps appartenu à Felix.
— Je t-t'ai menti Changbin, reprit doucement le châtain en fixant leurs mains enlacées. Je suis vraiment désolé... ce n'était pas ce que je voulais, mais...
Il déglutit difficilement, n'osant pas affronter l'expression médusée du noiraud.
— Au début, quand je me faisais harceler, c'était pour ma voix. Ça pourrait te sembler absurde, mais ils m'insultaient pour ça, ils proféraient sans arrêt qu'elle était démoniaque et horrible. Alors je... j'ai petit à petit cessé de parler... je préférais largement qu'on me prenne pour quelqu'un privé de parole que de devoir subir autant de méchancetés...
Felix secoua la tête en se remémorant d'anciens souvenirs.
— J'aimais beaucoup rapper avant ça, et je m'étais enregistré... J'ai envoyé ça à un inconnu parce que... j'avais prévu de disparaître. C'était le temps où je me sentais au plus mal. Mais ensuite, je t'ai rencontré, et tout a changé. Je voulais rester en vie pour pouvoir te voir chaque jour... Puis j-je me suis finalement rendu compte que la personne à qui j'avais envoyé mon rap, c'était toi. Je me sentais tellement coupable...
Des larmes roulèrent sur les pommettes constellées de taches de rousseur du châtain, tandis que de faibles sanglots traversaient récurremment la barrière de ses lèvres.
— J-Je suis v-vraiment d-désolé... B-Binnie...
Felix ne parvint pas à prononcer un seul mot de plus. Ses paroles étaient entrecoupées de brusques hoquets, son souffle était haché.
Il était en proie à une peur oppressante. Il ne voulait pas perdre Changbin, il ne pouvait pas. Toute cette histoire était la conséquence de son égoïsme et de sa fragilité.
Le noiraud posa une main réconfortante sur le dos du blessé avant de passer ses bras autour de ses épaules pour le serrer contre son torse de toutes ses forces. D'abord surpris, le châtain répondit timidement à l'étreinte en glissant ses petites mains dans le dos de son vis-à-vis.
Changbin sentait le corps de Felix trembler contre lui, et il caressa délicatement sa douce chevelure pour le consoler, emmêlant les mèches entre ses longs doigts.
L'invalide ne cessait de murmurer des excuses au creux de son oreille, mais le noiraud ne répliquait rien. Il ne se lassait pas de l'écouter. Il voulait l'entendre, encore et encore, et ressentir ses étranges frémissements partout sur son corps. Sa proximité avec Felix le rendait également fébrile, sa fragrance lui faisait tourner la tête.
Lorsque ses pleurs s'arrêtèrent finalement, le plus âgé s'écarta doucement. Il essuya délicatement les larmes sur les joues du châtain, attardant son regard sur ses traits si angéliques. Il le trouvait vraiment sublime, il était la perfection incarnée.
Felix gardait ses yeux vissés en direction du sol, mais le noiraud le força à le dévisager. Il esquissa un doux sourire.
— Ta voix est magnifique Lixie, murmura-t-il. Tu ne devrais pas en avoir honte.
— A-Alors ça v-veut dire que... tu me p-pardonnes ?
— Je n'ai rien à te pardonner, puisque je n'ai rien à te reprocher.
Le châtain renifla bruyamment et exhala un soupir, soulagé.
— M-Merci... mais, tu le penses v-vraiment ? Que m-ma voix...
— Bien sûr que oui ! En plus, ajouta Changbin sur un ton plus bas, ce timbre est hyper sexy...
Felix écarquilla des yeux, puis un léger rire vint fendre ses lèvres.
— Maintenant, explique-moi ce qui t'as pris de partir, exigea le plus âgé.
— J-Je... te l'ai déjà dit... je veux que tu aies une relation amoureuse avec quelqu'un qui te mérite. Je ne veux pas que tu continues à traîner avec moi, je suis horrible et d-dégoûtant.
— Lix, écoute-moi. Sérieux, arrête de te rabaisser de la sorte, tu n'es pas horrible, ni dégoûtant, ni méprisable, ou je ne sais quoi encore. J'ai des sentiments pour toi, et rien de ce que tu diras ne pourra me faire changer d'avis. Je t'aime pour ce que tu es.
Felix n'osait plus répliquer devant le regard on ne peut plus sérieux du noiraud.
« Il peut bien rester avec toi, de toute manière, tu sais très bien que tout n'est qu'une question de temps. Tôt ou tard, il finira par te trouver abject, comme chaque être peuplant cette terre. Il suffit de posséder un semblant de jugeote pour constater à quel point tu es ignoble », ricana la petite voix.
Le châtain ne se dévalorisait pas, il ne faisait que dire la stricte vérité. Enfin, c'était ce à quoi il croyait dur comme fer.
— Qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu te retrouves dans un état pareil ? s'enquit ensuite Changbin avec inquiétude.
— J-J'ai rencontré Taeyong et Changkyun sur ma route...
L'aîné serra les poings avec rogne.
— Un de ces jours, j'irai leur en foutre une pour tout ce qu'ils t'ont fait, siffla-t-il.
De ses mains, il effleura délicatement la peau meurtrie de Felix, lui arrachant une grimace.
— Comment tu te sens ? demanda le noiraud dans un souffle. Et si tu me réponds « ça va, j'ai déjà eu pire », je ne me retiendrais pas d'envoyer mon poing dans la figure de ces gars avec tellement de force qu'ils finiront défigurés. Et je leur arracherai les yeux pour les leur faire bouffer.
Il avait dit cela avec un calme feint, car au fond, il fulminait. La seule raison qui l'empêchait de partir mettre son plan à exécution, c'était l'Australien, qui semblait le supplier silencieusement de rester à ses côtés.
Le plus jeune opta pour la vérité, n'osant pas contrarier le noiraud.
— J'ai mal absolument partout, répondit-il prudemment. Mais maintenant que tu es là, ça va déjà mieux.
Il adressa à Changbin un sourire radieux, faisant totalement fondre celui-ci. Felix avait une beauté surnaturelle qui l'envoûtait. Il avait envie de l'embrasser, là, tout de suite, sur ce lit d'hôpital.
Il voulait lui montrer à quel point il l'aimait.
Sans qu'il ne s'en rende compte, il s'était mis à dévorer du regard les traits doux du châtain. Même avec des blessures et un air éreinté, il restait magnifique.
— Qu'est-ce que t-tu regardes comme ç-ça ? balbutia Felix.
Ce dernier était complètement subjugué par les prunelles d'un noir d'encre de Changbin, il ne parvenait pas à en détourner les yeux.
— T'es trop beau, putain, lâcha l'aîné.
Le châtain piqua un fard et chercha à dissimuler son visage cramoisi avec ses petites mains, mais le noiraud l'en empêcha en agrippant ses poignets.
Changbin était submergé par une très forte envie de déposer ses lèvres contre celles du plus jeune.
— Laisse-moi t'embrasser.
Le blessé en fut tellement ahuri qu'il ne réagit pas, laissant son vis-à-vis s'approcher de plus en plus de lui, jusqu'à ce que leurs souffles se mêlent doucement.
— Eh Changbin-ah, tu veux boire quoi, café, ou so...
La porte s'était ouverte sur Chan, qui s'était instantanément interrompu en voyant la position compromettante de ses amis. Ces derniers s'étaient par ailleurs brusquement écartés.
— Euh... je vais aller acheter du soda, marmonna-t-il, avant de refermer la porte.
Changbin poussa un soupir et secoua la tête. Embarrassé, Felix avait plongé sous ses couvertures pour cacher ses pommettes écarlates, ce qui fit rire le noiraud.
Leurs cœurs battaient à la chamade, mais aucun d'entre eux n'osaient faire le premier pas. L'aîné craignait de se faire rejeter une fois de plus, tandis que son compagnon avait peur, tout simplement.
Tous les deux savaient que, un jour ou l'autre, ils devraient faire face à leurs sentiments. Mais ils n'étaient pas pressés, ils avaient tout leur temps.
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Chris sortit de la chambre en se maudissant intérieurement d'avoir gâché un moment important pour son meilleur ami. Marchant dans le couloir, il ne cessait de cogiter. Il se demandait comment il allait pouvoir arranger sa relation avec le Maknae, parce que des problèmes, il en avait des tas.
Avec découragement, il appuya sur le bouton de l'ascenseur. Il attendit quelques secondes avant que les portes ne s'ouvrent, et entra sans regarder devant lui.
— Chan ? résonna une voix familière.
Le blondinet releva la tête et déglutit.
En face de lui se tenait un jeune adolescent aux cheveux de jais, un appareil dentaire ornant ses dents.
— Jeong...
— Il faut qu'on parle.
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