𝟑𝟐 : Savanna
Minho
Je m'apprêtais à rentrer. Jisung et moi avions passé la soirée ensemble, et je l'avais raccompagné jusqu'à l'orphelinat.
J'étais heureux d'avoir enfin osé avouer mes sentiments, même si j'étais persuadé que ce n'était pas réciproque. Sauf qu'en l'embrassant, il n'avait opposé aucune résistance, et avait même réitéré le geste. Je savais désormais que j'avais ma chance, et cela me rendait complètement euphorique.
J'avais enfin pu goûter aux lèvres de celui que j'aimais, et j'en voulais encore.
Mais ma joie fut de courte durée.
Un adolescent aux cheveux d'ébène me fit soudainement face, et je perdis mon sourire.
— Salut, pédé. Comment tu vas depuis le temps ?
— Ferme ta gueule, Changkyun, crachai-je. Laisse-moi passer.
— Voyons... c'est comme ça que tu traites un vieil ami ?
— Vieil ami, mon cul. Casse-toi.
— Non. Amusons-nous un peu, d'abord.
Du coin de l'œil, j'aperçus Taeyong se placer derrière moi.
— Où est l'autre ? demandai-je avec une inquiétude croissante.
La mine pateline du roux fut déformée par une grimace de rogne.
— Il ne mérite même pas qu'on l'évoque, oublie-le.
Je remarquai soudainement que leurs mains étaient entaillées, et leurs habits poussiéreux.
— À qui vous êtes-vous pris ? m'enquis-je en retenant mon souffle.
Changkyun ricana méchamment.
— De toute façon, il ne manquera à personne.
— Qui avez-vous frappé ?! hurlai-je.
— Un châtain. Pas très grand, une pédale, comme toi.
Mes yeux s'écarquillèrent.
— Felix...
Maintenant, tout prenait son sens pour moi. Je me maudis intérieurement de ne pas l'avoir deviné plus tôt, c'était pourtant si évident. Taeyong et ses acolytes s'en prenaient toujours aux plus vulnérables, à ceux qui étaient seuls et à qui la volonté s'anéantissait facilement.
C'était aussi comme ça que j'étais, avant que je ne rencontre le groupe. Et je m'étais promis de ne jamais laisser quelqu'un tomber dans un état pareil, pourtant, le trio de l'enfer était tout de même parvenu à harceler Felix sans que je m'en aperçoive.
En proie aux remords, je me mordis la lèvre inférieure.
— Qu'est-ce que vous lui avez fait ? questionnai-je d'une voix dégoulinante de haine.
— Oh pas grand-chose, rit nonchalamment Taeyong, quelques coups par-ci, par-là. Ce pédé est vraiment très fragile, je crois bien qu'on l'a brisé. Un peu comme toi, à l'époque.
Ce fut trop pour moi. Je m'approchai du rouquin, et mon poing lui heurta violemment le visage.
— Tu devrais finir en tôle pour tout le malheur que tu as causé, connard !
— Parce que tu crois que toi pas ? T'es une pédale, les gens de ta sorte devraient tous mourir !
Changkyun me donna un coup de pied dans le fond du dos, me faisant gémir de douleur. J'étais prêt à subir autant qu'il le fallait, mais je n'allais pas me laisser faire. J'allais leur montrer ce que c'était, de souffrir. J'allais venger toutes leurs victimes, mais surtout Felix.
Taeyong m'attrapa par le collet et me plaqua contre un mur. Il faisait souvent ça, c'était sa façon d'assaillir ses victimes, mais je savais comme m'y dérober. Je donnai un violent coup dans l'entrejambe de mon vis-à-vis, faisant s'estomper l'expression dédaigneuse de son visage. Il se dégagea de moi, mais Changkyun prit aussitôt le relais.
Je n'avais certes pas la capacité de me défendre contre deux personnes.
— Lâchez-le !
Je regardai par-dessus l'épaule du noiraud et aperçus un adolescent à la chevelure de jais tachée de violet.
C'était Jisung. Sans son bob.
Le roux éclata d'un rire sec.
— T'es qui d'abord pour nous donner des ordres ? Son mari ? siffla-t-il sur un ton acrimonieux.
Jisung ne broncha pas. Il avait l'air plus froid et intimidant que de coutume. À vrai dire, il l'était toujours, mais cette fois-ci, c'en était effrayant.
Il releva la tête et je croisai son regard. Quelque chose avait changé.
Ses iris étaient d'une couleur vermillon, d'un rouge étincelant, et ses pupilles n'avaient plus rien d'humain. Elles étaient verticales et minces, semblable à celles des serpents.
— Laisse-le partir.
Sa voix avait un timbre différent, transcendant et métallique. Cela me donna la chair de poule, et un semblant de peur me traversa.
À la place de Taeyong et Changkyun, j'aurais filé, loin. Mais eux étaient apparemment trop stupides pour saisir le danger dans lequel ils s'étaient fourrés, car ils se contentèrent de ricaner et de raffermir leurs prises sur mon col.
Le roux m'asséna un coup dans la mâchoire, et je la sentis se déboîter. La douleur était assourdissante, mais rien de comparable à ce que j'avais dû subir par le passé.
Le regard vissé vers le sol, j'entendis Changkyun pousser un cri d'effroi. Je levai la tête et aperçus Jisung.
Ou était-ce seulement encore lui ?
Son visage était recouvert d'écailles couleur charbon, et sa chevelure sombre s'apparentait désormais plus à une crinière ombreuse.
J'étais en état de choc, complètement abasourdi.
Ce fut encore pire lorsqu'il sortit lentement une main de sa poche, et que cinq griffes effilées jaillirent du bout de ses doigts.
Taeyong et Changkyun ne restèrent pas plus longtemps et s'enfuirent en courant, me laissant choir au sol.
J'étais terrifié, complètement sous l'emprise d'une peur paralysante.
Je ne reconnaissais plus du tout Jisung. Cet individu mi-homme mi-animal ne lui ressemblait pas, et pourtant...
✵
Jisung
Je n'avais pas réfléchi, et j'avais perdu le contrôle.
À peine retourné à l'orphelinat, j'avais eu un mauvais pressentiment qui m'avait poussé à retourner sur mes pas. Et j'avais eu raison. J'avais alors aperçu Minho, acculé contre un mur, surplombé par un rouquin et un noiraud.
Le premier coup qu'il avait reçu m'avait mis dans une rage folle.
J'avais laissé le don qui courait dans mes veines prendre possession de mon être. Je l'avais accueilli à bras ouverts, d'abord tout doucement, laissant à peine une bribe de pouvoir m'envahir.
La dernière once de conscience que j'avais eue m'avait soufflé de ne pas me laisser complètement aller, au prix de conséquences désastreuses. Alors j'avais ordonné aux deux garçons de laisser Minho tranquille.
Mais ils ne m'avaient pas écouté.
Et cela avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase.
Je m'étais ouvert à mon don, l'encourageant à se nourrir de mon énergie vitale pour s'implanter en moi. Et j'avais ressenti les premiers changements physiques.
La peau de mon visage s'était mise à picoter, jusqu'à me faire éprouver une sensation de brûlure intense. Mes cheveux s'étaient soudainement retrouvés plus longs, ondoyant autour de mon crâne sous l'effet d'une brise imaginaire.
Ce fut la douleur de lames transperçant la chair de mes doigts qui m'avait fait me rendre compte que j'étais allé beaucoup trop loin.
Le roux et le noiraud avaient déjà détalé sans demander leur reste, mais je m'en fichais.
Toute mon attention était dirigée vers Minho, affalé sur l'asphalte, le visage ensanglanté. Il fixait le sol, son corps tremblant comme une feuille.
Lorsqu'il releva la tête vers moi, je croisai son regard.
Il était terrifié, horrifié. Il me scrutait comme s'il ne me reconnaissait pas, comme si j'étais...
Un monstre.
Mais de toute façon, c'était ma véritable nature, n'est-ce pas ?
Cette vision me brisa le cœur. Sans avoir le courage d'affronter une nouvelle fois les prunelles de Minho, je fuis.
Le vent me giflait violemment, les larmes roulaient et s'échappaient dans l'air, et je courais, sachant pertinemment que personne ne pourrait me rattraper. Ma vitesse et mon endurance étaient félines, personne ne pouvait s'y comparer.
Je n'étais pas humain. Je ne savais pas ce que j'étais, une sorte de créature maudite.
Je n'étais plus parvenu à me maîtriser. Et à cause ça, j'avais perdu Minho, la personne qui comptait le plus pour moi.
Je me haïssais pour cela.
Il ne voudrait probablement plus jamais avoir affaire avec moi, et je le comprendrais. J'aurais dû tout lui dire depuis le début, mais je n'avais pas pu m'y résoudre.
Maintenant, je souffrais, mais j'étais résigné à l'éviter pour son bien. Je ne tenterai plus de l'approcher, même si cela me dévastait.
Les baisers que nous avions échangés me revenaient sans cesse en mémoire, mes lèvres en réclamaient encore. Mais elles n'auront plus jamais la chance d'y goûter.
✵
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