𝟒𝟐 : Savage
Jisung
Mes doigts glacés se plaquèrent instinctivement contre mes tempes, comme s'ils cherchaient à contenir la douleur.
Ma tête me brûlait atrocement, je perdais progressivement le contrôle.
À chaque inspiration que je prenais, j'avais l'impression que mes poumons se calcinaient. L'oxygène irritait ma trachée, m'arrachant des geignements, et je fus alors pris d'une incontrôlable quinte de toux.
Mes jambes ne me portèrent plus et je m'effondrai sur la moquette de ma chambre d'orphelinat. Avec peine, je me traînai en direction de la porte.
Je devais la fermer à tout prix. Cela épargnerait bien des vies.
Ma vision devint de plus en plus floue, mais je trouvai suffisamment de force pour tourner la clé dans la serrure, jusqu'à ce que j'entende un clic. Je lâchai un soupir de soulagement.
Je sentis alors comme une deuxième conscience s'introduire en moi. Médisante, elle cherchait à prendre la maîtrise de mon corps.
Je ne devais pas la laisser faire. J'étais plus fort que cela, j'allais me battre.
J'entendis un rire dans ma tête. Un rire antipathique et froid qui prenait bien trop d'ampleur, je ne percevais presque plus mes propres pensées.
Mes bras s'étaient recouverts d'un pelage couleur d'ébène, mes doigts s'étaient allongés et amincis, des griffes sombres veinées de nervures violettes y paraissaient désormais.
À ce stade, la bague n'y pouvait plus rien, exactement comme le jour de l'incident. Ma nature sauvage était bien trop forte, rien ne pouvait la vaincre.
« C'est fini... », soupirai-je tristement.
J'eus juste le temps d'apercevoir le reflet d'un monstre dans la psyché : un visage à l'épiderme noirâtre, des iris de la couleur du sang, des vêtements se déchirant à cause de la présence d'attributs bestiaux... Je n'avais désormais plus rien d'humain.
Peut-être était-ce un moyen pour me dire que je n'avais pas ma place dans ce monde.
Pourquoi Minho restait-il près de moi, sachant qu'il était en couple avec ça ?
Mes lèvres s'étirèrent en un sourire chargé de morosité. Il allait être déçu de constater que je n'étais pas parvenu à me contrôler, une fois encore.
L'esprit s'empara de mon être, m'enfermant dans mon propre corps. Avec impuissance, je me retrouvai coupé du monde extérieur, privé de mes cinq sens.
✵
Minho
— Sungie ! Ouvre cette putain porte, tout de suite !
La directrice de l'orphelinat m'avait appelé, prétextant une urgence. Un air inquiet sur le visage, elle m'avait appris que la chambre de Jisung était fermée depuis ce matin, et que, malgré ses appels répétés, elle n'avait reçu aucune réponse.
J'avais d'abord frappé et demandé gentiment à mon copain de sortir de cette pièce, mais il avait obstinément gardé le silence. Je m'étais ensuite légèrement énervé, et me voilà en train de crier contre cette fichue porte.
— Il ne répond pas, observai-je. Vous êtes sûre qu'il est là ?
— Absolument.
J'exhalai un soupir. J'allais apparemment devoir utiliser la manière forte.
— Est-ce que vos portes sont solides ? demandai-je.
— Euh... je n'en sais rien.
Bon. Nous allions le savoir tout de suite.
Un énorme fracas retentit dans le couloir lorsque mon épaule percuta le bois dur. Je réprimai difficilement un gémissement de douleur.
— Mais ça va pas ?! s'exclama la directrice. Arrête ça tout de suite, tu vas te faire mal !
— Je n'ai pas frappé assez fort...
Je pris de l'élan, et cette fois, la porte céda.
Mon souffle se coupa. Je m'étais attendu à tout, sauf à ce que j'avais sous les yeux.
La chambre était sens dessus dessous : l'armoire était couchée au sol, tous les vêtements et objets éparpillés par terre. Les murs étaient recouverts de traces récentes de grosses griffures, il n'y avait pas de doute possible quant à leur provenance. Aucun animal n'était capable de faire de tels dégâts.
En plein milieu de la pièce se trouvait Jisung, recroquevillé sur lui-même. Ses vêtements étaient en lambeaux, et sa peau meurtrie, recouverte d'un fin pelage sombre. De petites griffes jaillissaient du bout de ses doigts, tandis son visage se crispait sous la souffrance. Était-il en train de se battre contre son don ? Cela semblait être le cas.
— Sungie !
Je voulus me précipiter vers lui, mais une poigne ferme sur mon épaule m'en empêcha.
— N'y va pas, c'est dangereux.
— Il est mal en point, il a besoin de moi !
— Bon. Je t'aurais prévenu.
La directrice me lâcha, quitta la pièce en veillant à refermer derrière elle, et je courus m'agenouiller auprès de mon petit ami. Je lui caressai doucement les cheveux pour le réconforter, quand soudain, je remarquai ses ailes translucides, ainsi que la longue queue au poil rougeâtre fusant du bas de son dos.
Je ne pus m'empêcher de m'interroger à ce sujet. Qu'était-il exactement ?
Sans y cogiter davantage, je chassai rapidement cette pensée.
— Sungie... réveille-toi, je t'en supplie.
Cela me faisait horriblement mal au cœur de le voir ainsi. Il avait déjà suffisamment souffert...
Ses paupières papillonnèrent et s'entrouvrirent légèrement, laissant paraître des pupilles verticales et des iris vermeils.
— Minho... va-t'en...
Sa voix, à nouveau empreinte d'un timbre métallique, était atrocement faible.
— Jisungie, où est ta bague ? demandai-je sans l'écouter.
Je venais de remarquer son absence au doigt de mon petit ami. Je ne connaissais pas vraiment ses propriétés, mais je me souvenais qu'elle avait eu un effet bienfaisant sur lui.
— Je n'en sais rien...
Il fallait coûte que coûte que je la retrouve. Elle pourrait sûrement l'aider à combattre son don. Je jetai un regard découragé devant la tâche monumentale qui m'attendait, c'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin.
— Jisung, combien de temps tu penses pouvoir tenir ? m'enquis-je alors, soucieux.
Il avait refermé ses yeux, sa respiration s'était ralentie. J'entendis à peine sa réponse.
— Pas longtemps...
J'étouffai un juron. Je me précipitai vers la pile de vêtements, les fouillai un par un le plus vite possible, puis soulevai l'armoire pour pouvoir y jeter un bref coup d'œil.
— Minho... pars d'ici... avant qu'il ne soit trop tard...
— Conserve ton énergie. Il n'est pas question que je te laisse seul.
J'inspectai chaque objet sur lequel je tombais, mes mains trémulaient. J'avais peur, mais pas pour moi, pour Jisung. Bien qu'il se cache extrêmement bien, je l'avais bien vite cerné. Il souffrait affreusement.
Mon petit ami se mit soudainement à gémir. Il s'agitait au sol, me rendant ainsi plus nerveux encore.
— Résiste, je t'en conjure, résiste Sungie...
Ma voix oscilla et se brisa. Mes mouvements se firent moins précis, je cherchais désormais à la va-vite. Mais impossible de mettre la main sur cette foutue bague.
— Merde ! m'écriai-je sous l'angoisse.
Vite... Où était-elle ?
— Minho... je suis... désolé...
Un fracas me fit me retourner, et je poussai une exclamation de surprise.
Je n'avais plus du tout un humain en face de moi, mais bien une bête hybride ; un félin, de la taille d'un tigre, au poil reluisant aussi noir que la nuit, et aux prunelles chatoyant d'un éclat incarnat. Deux immenses appendices diaphanes se déployaient dans son dos.
Je déglutis nerveusement face au regard de braise, débordant de mépris, de Jisung.
Il fallait que je trouve un moyen de le lénifier. Je fis un pas dans sa direction, mais il se mit à grogner, laissant paraître des crocs tranchants.
« Ok, donc pas d'approche », décidai-je en déglutissant.
Je voyais bien qu'une part de lui-même était toujours présente, car le félin hésitait. Il restait figé, un combat intérieur faisant rage dans son cœur.
Je devais l'aider. Mais comment ?
Lentement, je m'accroupis, veillant à n'esquisser aucun geste brusque qu'il pourrait interpréter comme une tentative d'attaque.
— Eh, Jisungie... c'est moi, Minho, tu me reconnais ?
Le félin pencha la tête de côté, ses oreilles se tendant dans ma direction.
— Je suis ton copain, tu te rappelles ?
Je m'avançai furtivement vers lui, gardant mes mains près de ma tête. Après un instant, il se mit à gronder, ses poils se dressant brusquement.
— Tout doux, Sungie...
Je fis un pas de plus, qui sembla être celui de trop, car il poussa un rugissement qui me paralysa sur place. Un élan de courage me traversa, et je franchis les derniers mètres qui nous séparaient en courant, avant de me jeter sur lui pour le prendre dans mes bras.
Extérieurement, cette scène aurait pu sembler incroyablement stupide. J'ignorais moi-même ce qui m'avait pris d'agir d'une manière aussi suicidaire. Mais malgré tout, c'était totalement réfléchi.
J'avais une odeur, et les sens de Jisung s'étaient exacerbés. Il dut donc reconnaître mes effluves, puisqu'au lieu de crocs se plantant dans mon cou, ce fut sa langue, me léchant affectueusement, que je sentis.
Je lâchai un pauvre rire nerveux, soulagé. Gardant mes paupières closes, j'enfouis ma tête dans la fourrure étonnamment douce de mon copain.
Son pelage devint de moins en moins épais, puis d'un seul coup, je ressentis deux bras me serrer contre un torse.
Mes lèvres s'étirèrent en un sourire apaisé. J'avais réussi.
✵
Jisung, assis devant son ordinateur, poussa soudainement une exclamation de surprise.
— J'ai reçu un studio !
— Vraiment ? m'étonnai-je. Mais c'est une super nouvelle !
— J'aimerais aller le voir.
— Maintenant ?
— Ouais.
Nous y parvînmes rapidement, et mon petit ami fut heureux de constater que le directeur n'avait pas fait les choses à moitié. Le studio était plutôt grand, car il possédait en outre une salle de bain, une petite cuisine, ainsi qu'une chambre.
Nous retournâmes alors à l'orphelinat, où je l'aidai à rassembler ses affaires, puis il quitta les lieux sans même une once de regret. Quand je lui demandai pourquoi, il me répondit qu'il n'avait que des mauvais souvenirs de cet endroit. Il était plus qu'impatient de vivre seul.
Suite à cette phrase, je plaisantai, lui disant qu'il ne se débarrasserait pas de moi aussi facilement.
Après s'être installé, Jisung voulut immédiatement essayer son nouveau matériel. Il avait l'air d'un gamin ouvrant ses cadeaux de Noël, et cela me fit rire.
Une fois sa prestation terminée, j'allai déposer un baiser sur ses lèvres. Devant son regard empli d'incompréhension, je lâchai simplement :
— T'es hyper sexy quand tu chantes, ça te rend beaucoup trop attirant.
Il s'empourpra violemment, et je m'esclaffai.
✵
Jisung sortit de la douche, s'exhibant torse nu et dévoilant ses abdominaux marqués.
Le linge autour de sa taille avait terminé au sol dans les secondes qui suivirent, ainsi que mon propre t-shirt.
Sur le nouveau lit de mon copain, je m'étais emparé de sa bouche avec enfièvrement, ne lui laissant pas un instant de répit. Je l'embrassais, encore et encore, avec toujours plus de fougue, y ajoutant ensuite ma langue. Nos lèvres se caressaient avec passion, j'étais complètement sous son emprise.
Lorsque nos prunelles se rencontrèrent, je constatai que les siennes, semblables à des améthystes, luisaient de lubricité. À ma grande surprise, une étincelle violette s'échappa soudainement de la paume de sa main et se fondit dans la mienne.
Je retirai ensuite ses bagues une par une, et mon copain ne m'empêcha pas de les ôter, puisqu'il avait perdu la plus importante.
Inconsciemment, je passai ma langue sur ma lippe. Nos intimités en érection se frottaient l'une contre l'autre, et cela me donnait des idées folles, surtout en apercevant les épaules musclées de Jisung.
Je vis un puissant frémissement le parcourir de la tête aux pieds. Il vint sceller nos lèvres à nouveau, laissant ses mains venir se saisir de mes fesses pour les malaxer. Puis d'un seul coup, il se détacha de moi, une expression penaude sur le visage.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je en lui saisissant doucement les mains.
— Avant ça... je dois te dire un truc.
— C'est grave ?
— Oui... il faut que je t'explique pourquoi j'ai déménagé en Corée.
— Ça ne peut pas attendre ? On est quand même à poil.
Mon vis-à-vis secoua la tête sans même l'ombre d'un sourire.
✵
Troisième personne
Lors d'une soirée, Jisung était à la recherche de sa mère. Il la trouva finalement dans sa chambre, un cadre entre les mains.
Quelque chose l'interpella immédiatement.
— Maman, c'est qui, ce bébé ?
Elle frémit et força un sourire qui se voulait rassurant, avant de cacher l'objet sous son oreiller.
— C'est t-toi, mon cœur.
— Non, ne me mens pas ! J'ai déjà vu des photos de moi enfant, je ne ressemble pas à ça ! Et ce n'est pas Hyunjin non plus, j'en suis certain !
— Écoute chéri, il vaut mieux que certaines choses se terrent dans les ténèbres.
Il était parti sans plus insister, et ils n'avaient plus reparlé de cet évènement.
Mais un matin, Jisung fut réveillé par une violente dispute. Il descendit les escaliers et se cacha lorsqu'il remarqua un homme qui lui était inconnu se tenant dans la cuisine, face à sa mère. Il vociférait avec force contre elle, mais l'adolescent ne comprit pas le motif de leur querelle.
Il s'avança, et lorsque l'homme l'aperçut, celui-ci eut un mouvement de recul et le pointa du doigt. Son visage était façonné par la terreur, par la haine.
— Non ! cria-t-il. Ne t'approche pas, démon !
Le jeune adolescent l'avait alors dévisagé sans comprendre. La mine réticente de sa mère lui avait fait comprendre qu'elle n'allait pas prendre son parti cette fois-ci. Elle agréait avec cet homme sur ce point.
Cela l'avait mis hors de lui.
Son vis-à-vis, oppressé par la peur, quitta la maison après avoir crié à la femme qu'« il n'allait pas le lui rendre ».
Puis Jisung, ne se contrôlant plus, avait laissé le don qui parcourait ses veines envahir son corps entier. Mais sans le savoir, il avait signé l'arrêt de mort de sa mère.
Ce fut le trou noir.
Il se réveilla ensuite à l'hôpital, des plaies sur les bras. Les médecins lui indiquèrent simplement qu'ils avaient retrouvé la femme complètement déchiquetée par d'immenses griffures.
Elle avait souffert.
Le noiraud savait qu'elle aurait pourtant pu se défendre en usant de son don. Mais elle ne l'avait pas fait.
Elle avait préféré mourir plutôt que de faire le moindre mal à son fils.
Mais le jeune adolescent était en proie au chagrin, à une profonde culpabilité.
Il avait peur de ce qu'il était capable de faire.
Finalement, il ne possédait pas le don de se métamorphoser, mais celui d'infliger la mort.
✵
Lorsque Jisung termina son récit, les larmes coulaient à flots sur ses joues. Il ne voulait en aucun cas que Minho ait peur de lui après ça, mais il n'osait pas le supplier de ne pas le détester. Cela serait une réaction tout à fait normale, et il l'accepterait sans autre.
Mais son petit ami ne partit pas.
À la place, il essuya doucement les pommettes du plus jeune et se remit à l'embrasser avec luxure.
Le plus jeune ne comprenait pas, il était sous le choc. Lorsque son amant se rendit compte qu'il ne répondait pas au baiser, il cessa pour lui sourire tendrement.
— T'es con... je ne vais pas revenir sur ma décision à cause de ça...
— J'ai tué quelqu'un, Minho.
Celui-ci haussa les épaules avec désinvolture.
— Peut-être, mais c'était un accident. Ce n'était pas entièrement de ta faute.
— Tu n'as pas peur que je te fasse du mal ? s'enquit Jisung d'une voix étranglée.
— Non. Maintenant, ta gueule et prends-moi.
Le cadet l'embrassa alors à pleine bouche et laissa cours à tout son amour.
Il n'avait jamais autant aimé quelqu'un de sa vie.
✵
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