𝟏𝟔 : Error
Chan
En fin d'après-midi, lorsque j'avais aperçu Minho courir après le garçon asocial, je m'étais sérieusement demandé s'il ne cachait pas quelque chose. Certes, il nous avait informés de son obsession plutôt étrange pour ce mec, mais jamais je n'aurais pensé que cela atteindrait de telles proportions. Apparemment, il était son ami. Mais pourtant, je ne l'avais jamais vu l'approcher auparavant.
Moi qui voulais lui demander conseil pour ma relation avec mon père, cela tombait à l'eau. Minho s'y connaissait, c'était pour cela que j'avais souhaité lui parler. Mais tant pis, j'attendrai.
Hyunjin, parti à l'infirmerie suite à un malaise, avait été suivi peu après par Seungmin. Mais ce dernier était revenu seul, beaucoup plus serein qu'au départ, mais néanmoins profondément songeur.
Il se passait vraiment des choses étranges dans notre groupe d'amis, et je ne montrais même pas le bon exemple.
En me remémorant la discussion que j'avais eue avec Changbin vendredi soir, je songeai à quel point je ne le méritais pas. Il m'acceptait tel que j'étais, et de surcroît, il avait décidé de m'aider. En contrepartie, j'étais simplement réduit à pouvoir le remercier.
Je savais que sa famille était plutôt riche, mais accepterait-elle réellement de m'héberger en cas de problèmes ? Je ne pouvais qu'espérer qu'elle répondrait à l'affirmative.
J'arrivai bientôt devant chez moi, et ouvris lentement la porte d'entrée, avant de la refermer derrière moi. En m'avançant dans la maison, je ressentis alors une étrange ambiance. Il y avait une tension quasiment palpable.
L'atmosphère était lourde, pleine d'allusions qui me rendaient anxieux. Il n'y avait pas un seul son dans cette demeure pourtant occupée par des enfants plus tapageurs que des animaux de zoo.
Il se passait quelque chose de grave.
Je pénétrai dans la cuisine, mais à peine avais-je fait un pas que je me retrouvai nez à nez avec mon père. Il n'était pas très grand, mais sa seule présence suffisait pour que je me sente minuscule à ses côtés.
Sa chevelure bouclée, dont j'avais hérité la couleur ébène et les frisures, était ébouriffée, comme s'il n'avait pas pris la peine de se rendre présentable. Ses prunelles onyx m'inspiraient une crainte incommensurable, et ainsi, de la sueur froide me coula le long de la nuque.
L'expression horriblement placide qui avait pris place sur son visage ne me disait rien qui vaille.
Avant même que je ne puisse cligner des yeux, il s'avança vers moi et me gifla violemment. Il plaqua sa main à mon collet et m'envoya une claque de l'autre. Il se pencha vers moi, sa bouche hideuse frôlant mon oreille, et siffla :
— I don't want any faggot in my home.
Mon souffle, sous le choc, se coupa. Comment avait-il su ?
Je n'eus pas le temps d'y songer davantage, car aussitôt, il me traîna dans la maison par le col. Il tirait cruellement dessus, manquant de peu de m'étouffer.
Lorsque nous arrivâmes devant la porte, je commençai à comprendre le pétrin dans lequel j'étais.
Mon père ouvrit d'un geste sec et me balança dehors. J'atterris durement sur les escaliers du perron, avant de rouler jusque sur l'asphalte, m'égratignant çà et là lors de ma chute.
Je relevai la tête pour croiser le regard de mon père dont toute trace de bienveillance avait été étouffée. Il était impassible, affreusement dénué de toutes émotions.
— Don't come here never again. I don't know you, you're nothing for me. You're disgusting, a monster. You're just an error.
Il claqua la porte, et j'entendis la clé tourner pour la verrouiller. D'une main tremblante, je sortis mon téléphone portable et composa le numéro de Changbin.
Les paroles fielleuses de mon père me faisaient beaucoup plus mal que ses gifles. Mes joues me brûlaient, mais ce n'était rien comparé à mon âme qui s'était brisée, à l'espoir en moi qui avait fondu comme neige au soleil. Ses mots étaient plus tranchants que des lames, plus douloureux que des coups.
Sous la pression que je ressentais, je mis à sangloter.
— Allô Chris ?
J'exhalai un soupir de soulagement, souriant à travers mes larmes.
— Changbin...
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
Le ton de sa voix était doux, profondément inquiet.
— Viens m'aider, s'il te plaît... Je me sens terriblement mal, putain...
— Où tu es ?
— Chez moi.... Enfin... devant...
— Bouge pas, j'arrive tout de suite.
Je reniflai bruyamment à travers le combiné.
— Merci...
Je raccrochai et en l'attendant, sondai rapidement mon corps du regard.
Je m'étais entaillé les jambes, les bras et le ventre, probablement aussi le dos. Ce n'était que des blessures bénignes, mais je saignais légèrement, je devais impérativement me désinfecter pour éviter un risque d'infection.
Des bruits de pas se firent entendre, et j'aperçus Changbin courir vers moi. Il avait été indéniablement rapide.
Il s'agenouilla aussitôt à mes côtés, son visage dépeignant une expression alarmée.
— Qu'est-ce que... pourquoi tu pleures ?
— ... mon père, articulai-je entre deux sanglots.
— Putain de merde Chan, il t'a frappé ?!
— J-Juste giflé...
— Et ça, s'écria-t-il en pointant les écorchures, c'est quoi ?
— Il m'a p-poussé. Il a d-dit qu'il n-ne voulait pas de p-pédé chez lui et que je n'étais qu'un m-monstre...
— Putain je suis désolé...
— Il m'a o-ordonné de ne p-plus revenir, que j'étais d-dégoûtant, et que j-je n'étais qu'une e-erreur...
— Bordel Chan, ne l'écoute pas, c'est vraiment n'importe quoi !
Il rapprocha mon corps du sien pour m'étreindre chaleureusement. Sa main atterrit dans ma chevelure, la caressant doucement.
— Je suis d-désolé...
— Ce n'est pas ta faute, tu n'as pas à t'excuser. Calme-toi, d'accord ? Je ne bougerai pas d'ici avant que tu ne te sentes mieux.
Je me laissai aussitôt tomber contre son torse, et passai mes bras dans son dos pour le serrer de toutes mes forces.
Je ne reverrais probablement jamais mon petit frère et ma petite sœur, mais peut-être cela valait-il mieux pour eux. Désormais, papa allait redevenir comme avant, et ils allaient pouvoir profiter de son amour. Quant à ma mère, elle n'avait jamais été présente pour moi, elle n'avait fait que se soumettre aux désirs de mon père. Je ne ressentais aucune affection pour elle. Et finalement, j'étais déjà majeur, donc je pouvais très bien me débrouiller seul. Je comptais bien finir mes études, et trouver un job.
— Je vous emmerde ! hurlai-je alors, faisant sursauter Changbin.
— Ça va mieux, on dirait.
— Hmm. Allons-nous-en.
Il se releva et agrippa mes mains pour me hisser sur mes pieds. Nous nous mîmes ensuite à marcher en silence. Alors que je ruminais mon malheur, les larmes se remirent à couler contre mon gré. Je luttais pour ne pas éclater en sanglots.
— Eh Chan, murmura Changbin. Prends ça.
Il me tendit ses écouteurs branchés à son portable.
— Pour quoi faire ?
— Te changer les idées.
— C'est quoi ? demandai-je.
— Écoute d'abord, je t'expliquerai ensuite.
Je les saisis alors et les insérai dans mes oreilles. Aussitôt, une sombre musique se fit entendre, et je me concentrai immédiatement dessus. Le garçon rappait en Anglais, aussi je fis taire mes mauvaises pensées pour déceler ce qu'il disait. Et c'était loin d'être joyeux.
— Alors ? s'enquit Changbin avec une impatience qui m'intrigua. Qu'est-ce que ça dit ?
— D'abord, tu m'expliques.
Le noiraud esquissa une moue boudeuse. Intérieurement, il bouillonnait.
— J'ai reçu ça d'un numéro anonyme. J'ai cherché pour savoir si c'était une reprise d'une chanson, mais je n'ai rien trouvé, donc je pense qu'il l'a écrite lui-même. J'essaie de savoir qui il est. Je me suis dit que tu le connaissais peut-être, puisqu'il m'a l'air d'avoir un accent australien.
— Il est effectivement Australien, acquiesçai-je, mais cette voix ne me dit rien, désolé. Par contre, ce gars n'a pas l'air bien. Les paroles sont carrément sombres et tristes, même un peu suicidaires.
Changbin poussa un gros soupir. Quant à moi, quelque chose me titillait.
— Pourquoi t'es si obnubilé par cette chanson ?
Les joues du noiraud prirent une teinte rougeâtre. Attendez, il rougissait ?
— J'aime bien cette voix.
J'essayai tant bien que mal de ne pas penser à des choses... indécentes. Je décidai de changer de sujet.
— Sinon, le gars de l'hôpital, il va bien ? m'enquis-je.
Son visage vira au cramoisi.
— Je... je l'ai revu ce matin. Il se faisait tabasser et je l'ai ramené chez lui, mais après il m'a jeté dehors.
Cela me rappela douloureusement ma situation actuelle. Je secouai la tête. Je ne devais pas y penser, cela ne me ferait que plus de mal.
— Tu joues les héros, maintenant ? ris-je.
— Je m'inquiète beaucoup pour lui, tu sais, m'avoua le noiraud. Il n'avait vraiment pas l'air bien. J'aurais au moins voulu connaître son nom...
Je restai silencieux. Apparemment, Changbin s'était profondément entiché de ce gars. Cela ressemblait même à de futurs sentiments.
— À quoi il ressemble ? questionnai-je, curieux.
— Il... il a des cheveux châtain et des taches de rousseur.
Des taches de rousseur, hein ? Changbin m'avait déjà confessé qu'il appréciait énormément les taches de rousseur. Il regrettait même que très peu d'asiatiques en possèdent.
Tiens donc, mon meilleur ami tomberait-il amoureux ? Un sourire effleura mes lèvres à cette idée. Il y avait quelques minutes encore, je pensais dur comme fer que voir Changbin amoureux serait inconcevable, et le voilà maintenant en train de parler d'un garçon en s'empourprant.
— Si tu te mets à écrire des chansons d'amour, je t'étrangle.
— Qu'est-ce que t'as dit ?
— Non, non, rien.
— On est arrivés, viens.
J'opinai tandis qu'il entrait dans sa gigantesque demeure.
— Eh Bin ?
— Hmm ?
— T'étais vraiment sérieux quand tu m'as dit que je pourrais habiter chez toi si...
— Bien sûr que oui.
— Mais t'es sûr que tes parents seront d'accord pour ça ?
Le noiraud haussa nonchalamment les épaules.
— S'ils ne veulent pas, je les forcerai.
— J-Je veux surtout pas être un fardeau.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Ne prends pas au pied de la lettre ce que t'a dit ton père, c'est qu'un connard qui ne sait pas ce qu'il perd en te reniant. T'es quelqu'un de bien, Bang Christopher Chan, et c'est pas tes préférences de cul qui vont y changer quoi que ce soit. Si tu oses penser une seule fois le contraire, je te fais bouffer tous mes brouillons de chansons.
À mesure qu'il parlait, mon âme précédemment fracturée se consolida. Il y avait toujours de profondes cicatrices, mais elles s'estomperaient avec le temps.
— Je suis désolé de ne pas avoir été présent cette dernière semaine, m'excusai-je. J'avais juste besoin de temps pour réfléchir à tout ça.
— T'inquiète, je comprends.
— Mais maintenant, je n'ai plus le choix. Je vais devoir vivre sans ma famille et me débrouiller pour acquérir assez d'argent pour repayer tes parents.
— J'aime te voir aussi déterminé.
— Merci d'être là pour moi, Changbin-ah.
— Je n'allais quand même pas laisser mon meilleur pote affronter sa galère tout seul ! Allez, assez discuté, j'ai un plan fabuleux pour te changer les idées. On va tous aller au café du coin. Ça fait un sacré bail qu'on s'est plus revus tous ensemble. Alors, qu'est-ce que t'en dis ?
— J'en dis que cette idée est géniale.
— Parfait ! Attends ici, je vais juste chercher une trousse de secours pour tes plaies. Envoie un message sur le groupe.
J'obtempérai, et mon meilleur ami revint bientôt avec tout le matériel nécessaire pour me soigner.
Il fit alors une drôle de tête, si bien que je demandai :
— Ça va ?
— Ouais. C'est juste que ça me rappelle ce matin...
— Ah.
Je décidai de ne pas m'y mêler plus. Sous l'œil vigilant du noiraud, je commençai alors à désinfecter mes meurtrissures.
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